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Les repas de famille tendus lors de la pandémie, le « Convoi de la liberté » en 2022 et, plus récemment, les affrontements sur la question de l’identité de genre témoignent de la polarisation sociale et de la propagation de la désinformation. Ces phénomènes fragilisent la cohésion sociale, exacerbent les divisions et les préjugés et affaiblissent la démocratie.

C’est pourquoi l’appel à plus d’éducation à la citoyenneté est devenu un refrain familier dans l’espoir de régler ou de prévenir ces crises sociales. Cette idée repose sur le principe que des citoyens informés, engagés et responsables sont essentiels pour maintenir une société démocratique fonctionnelle et résiliente.

Toutefois, bien que cette demande puisse sembler raisonnable, ne devrions-nous pas d’abord analyser la qualité actuelle des services offerts avant d’en réclamer davantage ? C’est précisément l’objet du rapport L’Éducation civique mise au second plan, qui brosse un portrait de la perception des enseignants canadiens sur le sujet. Pour y parvenir, 1922 professionnels de l’éducation à travers tout le pays ont été sondés. Des groupes de discussion et des entretiens individuels ont permis d’approfondir certains éléments de l’enquête.

Le constat est clair : l’éducation civique est gravement dévalorisée au Canada, ce qui compromet son efficacité. Partant de cet état de fait, il importe d’outiller les enseignants dans leur lourde tâche de préparer les jeunes à devenir des citoyens engagés et bien informés.

Qu’est-ce qu’une « bonne » éducation civique ?

L’éducation à la citoyenneté comprend l’étude formelle des processus politiques, du rôle des gouvernements ainsi que des droits et responsabilités des citoyens. Toutefois, à un niveau plus fondamental, elle concerne la communauté et la manière dont nous nous identifions aux autres et interagissons avec eux.

Ce qui fait toute la différence est l’approche pédagogique de l’enseignant.

Une bonne éducation civique privilégie une participation active des élèves plutôt que la simple transmission des connaissances, des faits et des dates.

Les meilleures pratiques mettent l’accent sur des méthodes pédagogiques qui placent les élèves en situation d’observation et d’expérimentation, par exemple des discussions constructives sur des enjeux politiques, des simulations de processus politiques ou des projets d’action civique.

Mais pour y parvenir, les enseignants ont besoin de beaucoup de temps, de formation et de ressources afin de mettre en œuvre les meilleures pratiques.

L’état de l’éducation civique au Canada

Sur papier, les programmes scolaires présentent la citoyenneté active comme l’un des plus importants objectifs de l’éducation, mais sur le terrain, c’est une tout autre chose.

Près des deux tiers des enseignants ont déclaré dans le cadre de l’étude que ce volet n’est pas une priorité dans leur école. Ce manque de valorisation au sein du système scolaire compromet son efficacité, notamment parce que les enseignants ne disposent pas de formation adéquate et de suffisamment de temps ou de ressources pour l’enseigner.

L’étude révèle des lacunes dans la formation des enseignants en matière d’éducation à la citoyenneté : 25 % des répondants ont suivi une formation en enseignement à cet effet, ce qui n’est pas le cas pour presque deux fois plus d’entre eux (48 %). Il n’est donc pas surprenant que plusieurs enseignants n’aient pas suffisamment confiance en leur capacité à enseigner la politique, ressentent une certaine pression ou se sentent démunis face au manque de lignes directrices de la part du système scolaire, qui inclut les écoles, les centres de services scolaires, les commissions scolaires, les districts ou les ministères de l’Éducation. Ce manque d’encadrement et d’intégration du programme peut d’ailleurs donner l’impression que l’éducation civique est une compétence facultative, tant aux yeux des enseignants que des élèves.

Pourtant, la majorité des programmes d’études canadiens décrivent des attentes élevées en la matière. Par exemple, les programmes d’études des provinces de l’Atlantique affirment que « les sciences humaines, plus que tout autre domaine du programme, sont essentielles au développement de la citoyenneté », car elles « incarnent les grands principes de la démocratie ». Toutefois, la plupart de ces programmes n’offrent pas de conseils ou des consignes précis sur la manière d’atteindre ces objectifs d’apprentissage.

Si certains enseignants profitent de cette flexibilité pour mettre en œuvre des projets d’éducation civique authentiques, ce n’est pas le cas pour tous. La plupart d’entre eux ont plutôt indiqué avoir besoin de stratégies pédagogiques et didactiques concrètes afin d’atteindre les objectifs d’apprentissage prescrits.

Actuellement, ces activités prennent plus souvent qu’autrement la forme de discussions sur les événements d’actualité et des enjeux politiques. Or, des stratégies pédagogiques d’apprentissage actif ou par l’expérience se sont avérées beaucoup plus efficaces, par exemple des discussions constructives bien encadrées, des simulations authentiques d’élection ou des projets d’action civique qui permettent aux élèves de réinvestir leurs apprentissages dans leur communauté.

Comment surmonter ces obstacles ? 

Pour aider les jeunes à devenir des citoyens engagés, informés et actifs dans leurs communautés, l’éducation civique doit devenir une priorité, tant pour les enseignants que les autorités scolaires.

Il faut d’abord investir dans la formation des enseignants à tous les niveaux, aussi bien des actuels que des futurs professeurs. Ils doivent être en mesure de développer leurs propres connaissances et compétences civiques, en plus de maîtriser les stratégies pédagogiques fondées sur des données probantes. La formation est l’un des principaux moyens pour apprendre les meilleures pratiques en la matière, qui permettront aux élèves d’avoir des discussions constructives et de participer à des projets expérientiels et authentiques.

De plus, les enseignants doivent avoir accès à des stratégies pédagogiques concrètes et des exemples tangibles sur la manière d’intégrer la matière dans leur classe, quelle que soit la matière enseignée. Cela peut se traduire par des ressources pédagogiques clé en main qui les aident à bien préparer leurs élèves à voter lors d’une simulation électorale, des guides ou encore des plans de leçons qui leur permettent de bien encadrer les discussions politiques en classe.

Enfin, il faut investir dans une infrastructure pour soutenir la création d’une communauté de partage entre les enseignants, qui pourraient alors se partager les recherches émergentes en éducation civique, les meilleures pratiques et des ressources. Malgré leur volonté, peu de professionnels de l’éducation ont le temps ou les moyens de se tenir au fait des recherches actuelles en la matière. Il faut souvent payer pour accéder aux articles scientifiques, et y dédier un certain nombre d’heures pour les synthétiser ou s’en servir pour mettre en pratique de nouvelles approches pédagogiques. Nous avons donc besoin d’une infrastructure capable de rassembler les recherches émergentes et d’aider les pédagogues à lier ces recherches à leur pratique, de manière concrète et réalisable.

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Dana Cotnareanu
En tant que directrice de la programmation francophone chez CIVIX, Dana Cotnareanu contribue aux nombreux programmes de l’organisation qui visent à développer les compétences et les habitudes d’une citoyenneté active et informée chez les jeunes. Depuis cinq ans, elle participe à l’élaboration des ressources pour les programmes de l’organisme et a dirigé de nombreuses sessions de développement professionnel pour les enseignants.
Amély Paquet
Après avoir enseigné le français au secondaire, Amély Paquet a rejoint CIVIX, une organisation dédiée à l’éducation civique chez les jeunes, en tant que rédactrice de contenu pédagogique francophone. Dans le cadre de son travail, Amély élabore du matériel éducatif innovant et engageant pour les enseignants francophones du Canada et soutient les pédagogues dans la mise en œuvre des programmes d’éducation civique de l’organisme.

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