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Le Canada fait l’objet d’un examen des droits humains aux Nations unies, une évaluation par les pairs à laquelle les 193 pays membres doivent se soumettre tous les deux ou trois ans pour mesurer leurs progrès en matière de respect des droits fondamentaux de tous, indépendamment de l’âge, de l’appartenance ethnique, de la langue, de la religion ou de tout autre statut.

En novembre, le Canada a fait état de ses progrès réalisés en matière de droits humains depuis l’examen de 2018, et d’autres pays ont formulé de multiples recommandations en vue d’améliorations supplémentaires. Le Canada doit répondre officiellement à ces propositions à Genève le 22 mars.

En tant que médecin de famille ayant travaillé dans des communautés urbaines pendant plusieurs décennies, une recommandation de la Thaïlande a particulièrement attiré mon attention : « assurer un meilleur accès aux services de santé pour tous, en particulier pour les personnes en situation de vulnérabilité et celles qui n’ont pas de statut d’immigrant. »

La Thaïlande accueille des millions de sans-papiers et de réfugiés. Elle a joué un rôle de premier plan dans sa région en développant des politiques de soins de santé pour ces populations.

Cette recommandation m’a touché.

En Ontario, un grand nombre des personnes que nous accueillons dans les centres de santé communautaires n’ont pas de statut d’immigrant.

On estime qu’entre 20 000 et 500 000 personnes au Canada sont des migrants sans papiers. La plupart d’entre eux deviennent des sans-papiers après être arrivés légalement, puis dépassent la période de séjour autorisée ou ne peuvent pas se qualifier pour les programmes d’immigration existants.

Les centres de santé communautaire peuvent demander un financement spécial pour fournir des services de soins primaires aux résidents qui n’ont pas de carte de santé. En raison de leur capacité limitée, ils ne peuvent soigner qu’une petite partie des milliers de sans-papiers qui vivent en Ontario.

Mais les soins de santé devraient être un droit humain fondamental pour tous les Canadiens.

En outre, les centres de santé communautaires ne sont équipés que pour fournir des soins primaires. D’importants obstacles subsistent pour les personnes qui ont besoin de services spécialisés ou hospitaliers. Ceux-ci peuvent coûter des milliers de dollars, de sorte que les personnes ayant un statut d’immigration précaire ne cherchent pas à se faire soigner avant que leur situation médicale ne soit catastrophique. Dans de nombreux cas, une intervention précoce permettrait d’éviter des complications et des souffrances inutiles.

Un accès inadéquat aux soins préventifs affecte également notre système de santé dans son ensemble en augmentant le nombre de patients dans les services d’urgence et les hôpitaux surchargés.

Comme beaucoup d’autres médecins, les atteintes à la santé physique et mentale que j’ai constatées chez les individus et leurs familles m’ont incité à défendre la cause publiquement.

Il existe de nombreuses façons de se retrouver sans papiers, et donc, sans assurance au Canada. Il peut s’agir d’une rupture de parrainage, du rejet d’une demande d’asile ou d’un dépassement de la durée de validité d’un visa.

Les étudiants internationaux, dont beaucoup occupent des emplois à temps partiel, bénéficient d’une assurance maladie liée à leurs études, mais peuvent la perdre s’ils quittent leur programme d’études. Les travailleurs étrangers temporaires ont accès à un certain niveau d’assurance maladie, mais ils la perdent s’ils quittent le programme à la recherche de meilleures conditions de travail.

Le système d’immigration complexe du Canada aboutit souvent à un statut d’immigration précaire qui a des conséquences immédiates sur l’accès aux soins de santé.

En parallèle, nous continuons à compter sur ces travailleurs pour soutenir notre main-d’œuvre, en particulier dans l’agriculture, les travaux domestiques, l’industrie manufacturière et même les soins de santé. Les universités et les collèges dépendent des étudiants internationaux pour les frais de scolarité exorbitants qu’ils paient, ce qui compense la baisse des investissements publics dans les établissements d’enseignement.

Les travailleurs sans papiers paient des taxes sur les ventes et les entreprises génèrent des profits grâce à leur travail. Les aides familiaux et les employés d’entretien ménager soutiennent les familles en permettant à leurs membres de travailler à l’extérieur.

De nombreux sans-papiers effectuent ce que tout le monde appelle un travail « essentiel ». Mais trop souvent, dès qu’ils cherchent à se faire soigner, ils sont décrits comme des « clandestins » qui « profitent » du système.

Mais l’accès aux soins de santé ne devrait pas dépendre du statut d’immigration ou de la valeur économique d’une personne.

En mai 1976, le Canada a adhéré au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, s’engageant à œuvrer en faveur du « droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre » (article 12).

Les interprétations ultérieures du pacte par les Nations unies soulignent que chacun a le droit d’accéder aux soins de santé, y compris les populations les plus marginalisées telles que les immigrés clandestins.

J’ai récemment reçu une affiche du Mois de l’histoire des Noirs sur laquelle figure l’une des plus grandes défenseures des droits humains au Canada.

Nell Toussaint était une migrante sans papiers née à la Grenade et venue au Canada avec un visa temporaire dans les années 1990. À la recherche d’une vie meilleure, elle a occupé plusieurs emplois pendant des années, payé ses impôts et subi des déductions sur son salaire.

Ses premières tentatives pour obtenir la citoyenneté canadienne ont échoué, en grande partie à cause d’un consultant malhonnête. Elle a développé des problèmes de santé graves et chroniques, mais n’avait pas les moyens de payer les soins de santé dont elle avait besoin ; elle a donc attaqué le gouvernement canadien en justice. Mme Toussaint a fondé son argumentation sur la Charte canadienne des droits et libertés et sur les traités internationaux que le Canada a signés et qui garantissent les droits à la vie, à la santé et à la non-discrimination.

Lorsque les tribunaux ont rejeté sa contestation, elle a porté son affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, lui demandant de déterminer si ses droits à la vie et à la non-discrimination en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques avaient été violés. Le comité lui a donné raison en août 2018.

Il s’agit d’une victoire incroyable, d’autant plus que Mme Toussaint n’a pas seulement pris ces mesures pour elle-même, mais aussi pour tous les sans-papiers du pays.

Le Canada continue pourtant de rejeter les conclusions de la commission, ce qui a privé des milliers de nos voisins, travailleurs et amis d’accès aux soins de santé. Mme Toussaint a fini par obtenir la citoyenneté pour des raisons humanitaires et de compassion – et donc l’accès aux soins de santé – mais il était trop tard. Ses problèmes médicaux ont conduit à son décès en janvier 2023, à l’âge de 53 ans.

Alors que le gouvernement fédéral n’a cessé de traîner les pieds, l’Ontario a mis en œuvre la vision de Mme Toussaint pendant la pandémie de COVID-19. Au début de l’année 2020, le ministère de la Santé a alloué des fonds pour les hôpitaux et les médecins privés afin de fournir des soins de santé à tous. Puis, sans évaluation ni consultation publique, le programme a été brusquement annulé en mars 2023.

De nombreuses organisations médicales, infirmières et communautaires ont protesté, mais en vain. Healthcare For All, une coalition de prestataires de soins de santé de l’Ontario (dont je fais partie), d’étudiants, de chercheurs et d’agents de développement communautaire, se bat pour la même vision depuis de nombreuses années et continuera à le faire (vous pouvez signer notre pétition ici).

Comme beaucoup d’autres, je placerai l’affiche de Mme Toussaint dans mon bureau. Et alors que notre gouvernement canadien prépare sa soumission au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, nous appellerons nos députés et pousserons nos dirigeants à soutenir les droits de la personne pour lesquels Mme Toussaint s’est battue.

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Wendell Block
Wendell Block est médecin de famille au Gateway CHC de Tweed Ontario, le Centre canadien pour les victimes de la torture (depuis 1986), et membre de la Coalition pour les soins de santé pour tous.

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