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En principe, les causes de la faible productivité des entreprises canadiennes sont connues, et bien documentées : elles investissent peu, dépensent moins en recherche et développement que les autres pays riches, et ont une faible propension à innover. Ces comportements tendent à limiter leurs gains de productivité et, conséquemment, restreignent la croissance de l’économie canadienne.

On comprend donc mal d’où provient la résistance de nos entreprises à se mouiller dans des activités qui sont au cœur de la réussite de pays comparables, ou pourquoi le gouvernement fédéral continue de rester les bras croisés quand le résultat est que l’économie canadienne s’est laissée distancer.

Une trajectoire inquiétante

Il y a urgence d’agir, car les conséquences de l’inaction sont énormes. Par rapport aux principales économies occidentales, les Canadiens jouissaient en 1981 d’un niveau de vie par habitant de 3000 $ plus élevé (la donnée tient compte de l’inflation et des fluctuations des devises). Quarante ans plus tard, le Canada en était à 5000 $ sous cette même moyenne. Et s’il persiste sur cette même trajectoire d’ici 2060, le retard se chiffrera à près de 18 000 $ par habitant. Le ministère des Finances du Canada a lui aussi signalé ces projections alarmantes (p. 29).

 

Chers Canadiens, veuillez vous faire concurrence

En examinant pourquoi les entreprises canadiennes sont si peu enthousiastes à investir et à innover, le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) a conclu que le problème vient d’un manque de concurrence interne. La concurrence entre les entreprises canadiennes est trop faible et ne génère tout simplement pas les incitations qui devraient normalement stimuler leur compétitivité.

Les entreprises canadiennes évoluent dans de petits marchés très dispersés et très segmentés économiquement et législativement. Elles se concurrencent donc beaucoup moins entre elles que les entreprises américaines ou européennes, qui évoluent dans deux importants marchés intérieurs très unifiés et intégrés, qui assurent un niveau de pression concurrentielle adéquat. Rien de tel chez nous : les entreprises canadiennes n’ont pas besoin d’investir et d’innover autant pour se démarquer et préserver leurs parts de marché. Ce faisant, leur compétitivité est insuffisante pour s’imposer sur les marchés étrangers. La croissance en souffre et l’économie du pays s’enlise.

Ce qui rend ce problème particulièrement embarrassant, c’est que la Commission Macdonald l’avait clairement identifié dès le début des années 1980. Elle avait même proposé des solutions viables – dont un bon nombre sont encore applicables.

Un accord de libre-échange, et puis… rien

Malheureusement, les pouvoirs publics n’ont retenu qu’une seule solution : un accord de libre-échange avec les États-Unis. Une fois cet accord entériné, leur intérêt pour les autres solutions s’est rapidement estompé, et le gouvernement du Canada n’a pas fait aboutir les réformes requises. Les conséquences de cette inaction se sont révélées particulièrement dommageables pour la compétitivité canadienne et sa capacité à assurer la croissance économique.

Certes, les exportations canadiennes ont beaucoup profité de l’accord de libre-échange avec les États-Unis au cours des années 1990. Mais en réalité, ce « succès » tenait largement à la dépréciation du dollar canadien, plutôt qu’à la qualité et à la quantité des investissements et des innovations canadiennes. Et au début des années 2000, lorsque la devise canadienne a commencé à s’apprécier par rapport au dollar américain, les entreprises des économies émergentes ont rapidement surclassé les canadiennes. Et le Canada, inadéquatement préparé à la concurrence, a commencé son enlisement sans pouvoir profiter de l’intégration des marchés mondiaux, comme il aurait dû le faire.

À l’aube de 2023, le Canada demeure coincé dans une logique interventionniste vouée à la protection des intérêts immédiats des entreprises canadiennes. Les gouvernements successifs n’ont jamais su se défaire de leurs réflexes protectionnistes et imposer les réformes nécessaires : il aurait fallu ajuster le cadre réglementaire afin de stimuler la compétitivité des entreprises canadiennes sur leur marché intérieur. Si bien que les entreprises canadiennes continuent d’évoluer dans un cadre institutionnel dépassé qui ne valorise pas les forces de la concurrence.

Un indice de l’OCDE, qui évalue l’impact des politiques publiques sur la concurrence, montre combien le cadre réglementaire canadien est désuet. Il en ressort que l’intervention du gouvernement canadien dans l’activité économique engendre davantage de distorsions qu’ailleurs en Occident. De plus, les barrières à l’entrée au Canada sont plus nombreuses et nettement plus contraignantes, et le cadre règlementaire est globalement plus restrictif. Autrement dit, le Canada devra mettre les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu et implanter une véritable culture de la concurrence.

Remettre la concurrence à l’avant-plan

Pour inverser la tendance et sortir de cette spirale descendante, le gouvernement fédéral doit replacer la concurrence au cœur la stratégie économique canadienne. La priorité devrait être de s’attaquer à tout ce qui freine le développement d’un marché intérieur fort et résilient. Trop d’obstacles réglementaires plombent les échanges commerciaux entre les provinces. Et le Canada, lorsqu’il arbitre les enjeux de concurrence, devrait replacer l’intérêt des consommateurs au centre de ses décisions, au lieu de privilégier les entreprises.

Nos gouvernements auront beau multiplier les ententes commerciales, à défaut de replacer la concurrence au cœur de la stratégie économique du Canada, la croissance demeurera insuffisante et notre niveau de vie continuera son déclin tranquille.

(Ce texte a initialement été publié en décembre 2022. Les données ont été mises à jour en avril 2023.)

Pour plus de détails, consultez : Jonathan Deslauriers, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité et prospérité au Québec – Bilan 2022, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Mars 2023

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Jonathan Deslauriers
Jonathan Deslauriers est directeur exécutif du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers
Robert Gagné
Robert Gagné est professeur titulaire à HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers

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