Le mois dernier, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (EIE) Pierre Fitzgibbon a déposé un projet de loi visant essentiellement à rapatrier à son ministère le dossier de la recherche, qui relève actuellement du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (ERST). Ce changement était prévisible puisque le gouvernement du Québec avait déterminé par décret, en octobre 2022, « qu’à l’égard de la recherche, de la science et de l’innovation et de la technologie, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie exerce les fonctions de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie ». Y a-t-il matière à inquiétude ?

Un coup d’œil aux changements législatifs proposés permet de comprendre ce qui est en train de se produire. Ces changements, tous majeurs, sont au nombre de trois :

  • L’élaboration d’une politique nationale en matière de recherche et d’innovation  serait désormais confiée au ministre de l’EIE, qui devra en coordonner la mise en œuvre et en assurer le suivi ;
  • Le ministre de l’EIE se verrait conférer l’autorité sur les trois Fonds de recherche du Québec, qui seraient fusionnés ;
  • La responsabilité de la Commission de l’éthique en science et en technologie serait elle aussi transférée au ministère de l’EIE.

Les articles au sujet de la commission susmentionnée sont tout simplement retirés de la Loi sur le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche de la Science et de la Technologie et insérés dans la Loi sur le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Les articles au sujet des Fonds de recherche du Québec sont quant à eux abrogés dans la loi sur le ministère de l’ERST. S’ils se retrouvent, pour la plupart, dans la loi sur l’EIE, certaines modifications sont apportées. Il en sera question plus loin.

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Nous assistons à l’officialisation de la prise de contrôle, entamée à l’automne 2022, du portefeuille de la recherche par le ministre de l’EIE. Dans les faits, on revient à un stade antérieur de la répartition des portefeuilles ministériels. En effet, si le projet de loi 44 est adopté, la responsabilité de la recherche retournera au ministre titulaire du portefeuille de l’Économie, elle qui avait été attribuée au ministre de l’ERST en 2012 par la première ministre Pauline Marois.

D’aucuns se demanderont pourquoi le gouvernement du Québec souhaite un tel changement qui est tout sauf anodin. En effet, si on exclut les dispositions modificatives, le texte de la loi sur le ministère de l’ERST serait amputé de 57 de ses 91 articles, et les trois Fonds de recherche du Québec seraient fusionnés en un seul, un autre retour à un état antérieur des choses qui n’est pas sans en inquiéter certains. Pourquoi dissocier le portefeuille de la recherche de ceux de l’enseignement supérieur, de la science et de la technologie, alors que le premier est étroitement lié aux trois autres ?

Interrogé à ce sujet, le ministre Fitzgibbon a fait valoir qu’il s’agit simplement d’une « question de gouvernance, et qu’il sera plus efficace d’avoir un seul conseil d’administration de 19 personnes que trois d’une quinzaine ». On conviendra que cette justification est plutôt mince pour un changement de si grande envergure.

Dans un communiqué de presse daté du 8 février 2024, les administrateurs des Fonds de recherche du Québec soutiennent de leur côté que le regroupement des trois fonds actuels permettra de « maximiser les synergies entre les secteurs de recherche et leur agilité dans le déploiement de leurs mandats », en plus de « mieux prendre en compte l’intersectorialité dans les programmes de bourses et de subventions ».

Or, curieusement, l’article 22.2 du projet de loi 44 où le rôle du scientifique en chef est décrit n’inclut pas le second paragraphe de l’article 33 de la loi actuelle sur le ministère de l’ERST, selon lequel « le scientifique en chef assure la coordination des enjeux communs aux trois Fonds et des activités de recherche intersectorielles ». Voilà qui est pour le moins surprenant.

Les promoteurs du projet de loi 44 ont tôt fait d’objecter, en s’appuyant sur le même article, que « le scientifique en chef favorise le rapprochement entre la science et la société ».

S’il est tout à fait vrai que la science doit servir la société, peut-on conclure qu’elle doit être également subordonnée à l’économie ? Cette question doit être posée. Jusqu’à preuve du contraire, cette hiérarchie semble refléter la vision de la CAQ sur la place de la recherche.

Abordé sous cet angle, le projet de loi 44 est inquiétant. Au plan philosophique, la science et la recherche sont au service de l’humanité dans son étroit rapport avec son environnement, ce qui est considérablement plus vaste que la seule économie. Sur le terrain, les impacts de nature économique ne sont qu’un des effets parmi tant d’autres de la recherche.

S’il fallait en venir à financer d’abord et avant tout les projets de recherche bénéfiques pour l’économie, et ce dans un contexte où l’enveloppe de l’éventuel Fonds de recherche du Québec demeure la même, des projets de recherche exclus par ce critère pourraient être boudés. Or, de tels projets, par exemple dans le domaine de la santé ou des sciences humaines, peuvent avoir des retombées d’envergure pour une société, et ce, même s’ils ne créent pas nécessairement des « jobs payants ».

En proposant de transférer le portefeuille de la recherche vers le ministère de l’EIE, Québec laisse entendre que la recherche devrait être d’abord et avant tout, voire uniquement, au service de l’économie. Il est ainsi permis de craindre que dans un avenir rapproché, le même gouvernement puisse orienter la recherche de manière telle qu’en répondant principalement à des impératifs économiques, les autres besoins de la population en pâtiraient.

Hélas, un tel scénario est réaliste, vu l’importance que ce gouvernement accorde à ce qu’il appelle « la richesse ».

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Denis Hurtubise
Denis Hurtubise est vice-recteur aux études de l’Université de Sudbury.

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