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Au Canada, nous sommes exceptionnellement doués pour mettre le doigt sur ce qui ne va pas dans l’organisation et la gestion de la fonction publique. On pourrait dire qu’il s’agit d’une tradition nationale, stimulée et nourrie par les universitaires, les administrateurs publics et les dirigeants politiques de toutes allégeances, et qui fait l’objet d’un consensus étonnant. Malheureusement, bien que nous soyons tous d’accord sur les graves problèmes en jeu, aucun gouvernement – conservateur ou libéral – n’a encore fait grand-chose pour les résoudre.

Quels sont ces graves problèmes? Depuis – au moins – les années 1960, les greffiers du Conseil privé, les vérificateurs généraux, les chercheurs en administration publique et les initiatives de réforme du gouvernement ont critiqué la fonction publique fédérale pour son éventail de règles et de processus internes confus et inefficaces, sa rétention d’informations, sa collaboration limitée et son faible engagement public.

Les cadres sont régulièrement accusés de souffrir d’une aversion au risque à la fois excessive et mal placée, associée à une peur paralysante d’un examen externe. Des exigences coûteuses de reddition de comptes et de lourdes chaînes hiérarchiques ont donc proliféré dans une culture qui se préoccupe davantage de respect du processus que de l’obtention de résultats. Cela a pour effet d’étouffer la créativité et rend presque impossible de répondre aux besoins des employés et des citoyens.

Certains experts avaient prédit que les pressions exercées par la pandémie de COVID-19 pousseraient les gouvernements à adopter rapidement des méthodes de travail novatrices, ce qui aurait conduit à une modernisation du secteur public que l’on attend depuis longtemps. Cependant, un an après le début de la pandémie, il est apparu clairement que les problèmes chroniques de gestion persistaient – et, dans certains cas, s’aggravaient – en réaction à la pandémie.

La précipitation avec laquelle Ottawa a demandé à son personnel de retourner au bureau en est un bon exemple. Il est difficile d’y voir autre chose que la recherche d’un positionnement politique plus favorable face aux critiques de l’opposition, ainsi qu’un scepticisme quant à la capacité des fonctionnaires à travailler efficacement depuis leur domicile. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas encore reçu d’explication suggérant que cette politique du travail en présentiel était motivée par des données probantes sur la meilleure façon de favoriser une organisation innovante et productive.

La surveillance est la première étape

Si la COVID n’a pas suffi, qu’est-ce qui pourrait inspirer un changement significatif dans la culture et le fonctionnement de la fonction publique fédérale? Il semble peu probable que cela se produise sans un examen politique approfondi de sa gestion. L’absence d’un tel examen explique en partie pourquoi nous n’avons pas vu d’efforts de réforme réfléchis et bien financés jusqu’à présent.

Historiquement, les discussions sur la gestion du service public fédéral se sont déroulées dans des cercles plutôt restreints. Après tout, ce n’est pas un enjeu qui retient l’attention des électeurs ou des candidats qui cherchent à obtenir leurs votes… Pourquoi, en effet, un gouvernement consacrerait-il du temps et de l’argent à l’amélioration du fonctionnement de la fonction publique s’il pressent qu’il ne gagnera pas de votes en le faisant, et qu’il n’en perdra aucun s’il ne le fait pas?

Heureusement, un examen rigoureux de cette question a commencé via l’enquête menée par le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes, sur la dépendance croissante du gouvernement canadien à l’égard des fournisseurs privés. Cet examen a mis en lumière les problèmes de gestion qui peuvent pousser les ministères à recourir à la sous-traitance.

Des témoins experts, des représentants syndicaux et des ministres et des gestionnaires fédéraux (anciens et actuels) ont expliqué au Comité que des enjeux de ressources humaines, de conformité de processus et de reddition de comptes fastidieux peuvent faire en sorte qu’il est plus simple et plus rapide de sous-traiter le travail gouvernemental – même si le résultat ne vaut pas toujours le montant considérable que nous payons (15 milliards $ par an, selon certaines estimations). Si l’on ajoute à ce contexte un investissement minimal dans le recrutement des talents et la formation des cadres, on comprend mieux pourquoi les Deloitte et les McKinsey de ce monde sont les premiers bénéficiaires de décennies d’inaction en ce qui a trait au renouvellement de la gestion publique fédérale.

Besoin d’engagements politiques fermes

Avec ces preuves en main et le dépôt imminent d’un rapport du Comité qui énoncera des recommandations pour relever ces défis, l’agitation politique et médiatique autour de l’augmentation des coûts de services-conseils pourrait être la bougie d’allumage qui poussera enfin les partis politiques fédéraux à s’engager sérieusement dans une réforme de la gestion publique fédérale. Ces engagements ne doivent pas se limiter à de vagues déclarations sur les changements nécessaires : nous en avons déjà entendu beaucoup. Au contraire, chaque parti devrait proposer des engagements publics clairs et mesurables à l’égard desquels il pourra être tenu responsable.

Tout parti s’estimant apte à gouverner devra expliquer concrètement comment il réduira les fardeaux administratifs particuliers qui sapent l’efficacité, le moral et l’efficience de la fonction publique, en tenant compte du point de vue du personnel. Le rapport Cutting Internal Red Tape de 2016, préparé par des fonctionnaires fédéraux est un bon point de départ.

Les partis devront également expliquer comment elles comptent recruter, entretenir et rémunérer les talents recherchés qui sont nécessaires à la gestion de toute organisation de services moderne. Ils devront également identifier la formation et les incitations qu’ils mettraient en place pour garantir que les gestionnaires actuels de la fonction publique fédérale rompent avec la tradition de contrôle de l’information, d’aversion au risque et d’autorité excessive du haut vers le bas dans laquelle ils ont été élevés.

Pour bien des gens, ce type d’engagements semblera trop banal et technique pour se retrouver dans la plateforme électorale d’un parti politique. Pourtant, aucun des engagements politiques les plus contraignants pris par nos partis pour obtenir des votes ne pourra être mis en œuvre de manière efficace et efficiente sans investissements dans les fonctionnaires qui sont censés concevoir et gérer ces politiques.

En fait, tous les engagements politiques resteront des vœux pieux si nous ne rompons pas avec la tradition canadienne, et si nous ne nous engageons pas enfin, et de manière significative, à réformer la fonction publique fédérale.

Cet article fait partie de la série Vers des institutions publiques plus résilientes : apprendre de la pandémie de COVID-19.

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Amanda Clarke
Amanda Clarke est professeure associée à l’école de politique et d’administration publiques de l’Université de Carleton. Elle est l’auteure de Opening the Government of Canada : The Federal Bureaucracy in the Digital Age et co-créatrice de govcanadacontracts.ca. Mme Clarke figure sur la liste des 100 universitaires les plus influents auprès du gouvernement établie par Apolitical.

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