Le Rapport annuel de 2023-2024 sur l’application de la Loi canadienne sur la santé a été publié discrètement en juin dernier, plus tardivement qu’à l’habitude en raison des élections fédérales du printemps. Sa lecture donne à réfléchir sur certains enjeux liés à l’accès aux services de santé à travers le pays.

Dans le cas du Québec, on y apprend qu’après la déduction de 42 millions $ (sur 10 milliards $) du Transfert canadien en matière de santé (TCS) en 2022-2023 pour non-respect des conditions de la Loi canadienne sur la santé (LCS) découlant de l’absence de couverture par le régime public des services diagnostiques à l’extérieur du milieu hospitalier (comme les IRM en cliniques privées), il subit de nouvelles déductions de 36 millions $ (sur 11 milliards $) en 2023-2024 pour cette même raison. Toutes proportions gardées, le Québec et l’Alberta sont les provinces qui se distinguent par les déductions le plus importantes.

Pour ces deux mêmes années, un remboursement de 50 % (47 millions $) de ces déductions est toutefois prévu, sur la base d’un « plan d’action pour le remboursement » présenté par Québec.

Celui-ci s’appuie sur une réorganisation du système de santé qui résulte de l’entrée en vigueur du Projet de loi 15 en décembre 2024 et du « Plan Santé » présenté en 2022. Or, rien dans cette loi ni dans le Plan santé ne vise spécifiquement à ce que le régime public couvre les services diagnostiques extrahospitaliers. De plus, aucune donnée probante n’est soumise pour démontrer une amélioration concrète de l’accessibilité à ces services au sein du système public.

D’ailleurs, Québec indique qu’il « ne dispose d’aucune donnée relativement aux frais que choisissent volontairement de débourser certains citoyens pour la prestation privés (sic) de services diagnostiques ». Cette réponse occulte ainsi le fait que ce choix résulte souvent des délais d’attente jugés déraisonnables dans le système public pour l’obtention des services diagnostiques en question, et non pas d’un « caprice de privilégiés ».

La nouvelle politique fédérale vient en rajouter

En outre, une nouvelle politique fédérale concernant la LCS, publiée en janvier 2025, prévoit qu’à compter du 1ᵉʳ avril 2026, les services « médicalement nécessaires » rendus non seulement par les médecins, mais aussi par les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) et par d’autres professionnels de la santé ne pourront faire l’objet de frais imposés aux patients. En cas de violation de cette règle, les frais seront considérés comme de la surfacturation et des frais modérateurs. Cette politique repose sur des assises incertaines sur les plans conceptuel et juridique, mais elle est totalement en phase avec l’évolution des champs d’exercice de plusieurs professionnels et les orientations à privilégier pour la transformation des systèmes de santé provinciaux.

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Alors qu’il n’arrive déjà pas à se conformer aux conditions de la LCS, on peut se demander quels seront les impacts de cette nouvelle politique pour le Québec. Rappelons qu’actuellement, le Québec tolère que plus de 5 % des médecins de famille aient le statut de non-participants au régime public et puissent ainsi facturer des services « médicalement nécessaires » à leurs patients. Bien que l’adoption du Projet de loi 83 en avril dernier ait peut-être ralenti sa progression, le nombre de demandes de médecins souhaitant devenir non participants n’a pas diminué. Santé Québec aurait depuis donné son aval à plus de 240 demandes de ces demandes. Pour rappel, l’Ontario a plutôt décidé d’éliminer ce statut en 2004, ce que le Québec pourrait également faire s’il le souhaitait.

Quant aux IPS et aux autres professionnels qui offrent des services médicalement nécessaires en cabinet privé, hors des groupes de médecine familiale, rien n’est actuellement prévu pour assurer la couverture de leurs services par le régime public, sauf pour certains services spécifiques (comme les services pharmaceutiques, dentaires et optométriques). À moins de considérer que la nouvelle politique fédérale ne vise que les services rendus dans les établissements publics. et leurs cliniques affiliées, ce qui en limiterait beaucoup la portée, la situation du Québec ne serait donc pas conforme à celle-ci.

Des déductions qui ne sont pas assez dissuasives ?

Dans le passé, lorsque des déductions ont été appliquées au Québec pour des manquements à la LCS, il avait réussi à obtenir leur remboursement après avoir apporté les correctifs requis. Ce fut notamment le cas pour les frais accessoires facturés aux patients pour des services assurés, qui ont longtemps été tolérés au Québec, mais qui ont finalement été interdits en 2017.

Il est toutefois difficile d’anticiper la suite pour l’épisode actuel concernant les services diagnostiques et celui à venir découlant de la nouvelle politique sur les services rendus par les non-médecins. Les déductions appliquées au Québec restent somme toute infimes considérant la totalité des versements du TCS (soit environ 0,4 %) et encore plus en fonction de son budget actuel global de 61,5 G$ consacré à la santé (soit environ 0,06 %).

Certes, la période de rigueur budgétaire en cours pourrait l’inciter à chercher à récupérer la totalité des déductions, mais il se peut aussi qu’il soit jugé moins onéreux de les absorber que d’assurer le financement public des services en question. On ne peut exclure non plus qu’il y ait une volonté de préserver les intérêts des entreprises privées qui offrent ces services, lesquelles, si l’on en juge par le registre des activités de lobbying au Québec, prennent les moyens requis pour se faire entendre auprès des autorités gouvernementales.

Faut-il envisager une pénalité discrétionnaire?

Pour changer la donne, il faudrait peut-être augmenter le montant des déductions de façon telle qu’elles deviennent vraiment dissuasives. Or, sans qu’on sache trop pourquoi, Ottawa considère les frais exigés pour les services diagnostiques hors du milieu hospitalier comme de la « surfacturation », ce qui ne correspond pas réellement à la définition de la loi (art. 2). Ce n’est pas un « excédent » facturé aux patients par rapport au tarif du régime public, mais bien la totalité du coût du service, celui-ci n’étant tout simplement pas couvert en contexte extrahospitalier. Dans les cas de surfacturation, la LCS (art. 20) limite le montant de déduction aux sommes qui ont été surfacturées au cours d’une période donnée, selon une estimation qui repose sur un rapport des provinces et sur une méthode de calcul qui reste assez opaque.

Si Ottawa considérait plutôt qu’il s’agit d’une contravention à la condition d’accessibilité (art. 7 et 12), et si on y ajoutait le cas des médecins non participants et autres professionnels qui facturent des médicalement nécessaires, alors que le système public peine à les offrir, il serait possible d’envisager une « pénalité discrétionnaire » qui tiendrait compte de la « gravité du manquement », voire qui pourrait, de façon improbable, correspondre à la totalité des versements prévus à la province (art. 15). Autrement dit, il serait alors possible pour Ottawa de se donner un rapport de force plus grand pour assurer le respect de la LCS. Cela dit, de telles pénalités discrétionnaires n’ont jamais été appliquées.

Un même objectif d’accès universel au Québec

Quant à l’impact politique d’un manquement à la LCS, une loi souvent associée à ce qui constitue l’identité canadienne, on peut penser qu’il n’est pas nécessairement le même au Québec que pour d’autres provinces. Lorsqu’un tel manquement est rapporté en ce qui concerne le Québec, plusieurs acteurs politiques locaux vont avoir tendance à dénoncer l’ingérence fédérale dans l’exercice de ses compétences constitutionnelles et à minimiser les entorses aux principes d’accessibilité aux services. Il peut en résulter qu’au niveau fédéral, on décide de faire preuve de plus ou moins de retenue ou de complaisance à l’égard du manquement identifié. On peut parfois avoir l’impression que, de part et d’autre et, selon le contexte politique, on cherche à éviter les affrontements intergouvernementaux trop directs ou trop intenses. C’est aussi vrai sur le plan judiciaire, alors que le Québec ne semble pas enclin à contester certaines politiques et décisions d’Ottawa relativement à la LCS, malgré leurs failles potentielles.

Pour autant, au-delà des habituelles « chicanes de compétences » avec Ottawa, il y a généralement un assez large consensus au Québec sur le fait qu’il faut assurer l’accès aux services de santé pour toute la population, grâce à un « système public fort », même s’il y a évidemment des divergences sur les moyens à prendre pour y parvenir. Le « Plan santé » de l’actuel gouvernement, même s’il n’exclut pas le recours au privé pour la prestation de certains services, insiste d’ailleurs sur l’importance d’assurer « le respect de l’universalité et de la gratuité des soins ». Ces principes sont, d’une façon ou d’une autre, inscrits dans les lois québécoises et se reflètent dans les orientations des différents partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. Pour l’essentiel donc, ce sont les mêmes principes que ceux véhiculés par la LCS.

En définitive, il faudra voir, dans les prochains mois et les prochaines années, comment les dynamiques politiques et contraintes budgétaires, de part et d’autre, influenceront le cours des choses. Si ce n’est pas pour se conformer à la LCS, le Québec pourrait toujours s’en remettre à ses propres principes pour prendre les décisions requises en matière d’accès aux services médicalement nécessaires, qui lui permettraient d’obtenir le plein remboursement des déductions antérieures et d’en éviter d’autres pour les prochaines années.

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Marco Laverdière

Marco Laverdière est avocat et chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé et au H-POD de l’Université de Montréal. Il enseigne aux programmes de deuxième cycle en droit et politiques de la santé à l’Université de Sherbrooke. Il est également directeur général de l’Ordre des optométristes du Québec.

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Marco Laverdière est avocat et chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé et au H-POD de l’Université de Montréal. Il enseigne aux programmes de deuxième cycle en droit et politiques de la santé à l’Université de Sherbrooke. Il est également directeur général de l’Ordre des optométristes du Québec.

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