(English version available here)

Ce texte est le second d’une série de deux articles sur le rôle et la portée de la Loi canadienne sur la santé. Le premier texte article est disponible ici.

Dans sa forme actuelle, la Loi canadienne sur la santé (LCS) permet-elle toujours au gouvernement fédéral de soutenir le développement de systèmes de santé publics « forts » dans les provinces et territoires? Dans un texte précédent, nous avons montré comment la décision récente du ministre fédéral de la Santé Jean-Yves Duclos de réduire les versements effectués à certaines provinces en vertu de la LCS, offre un exemple des malentendus habituels sur sa portée, notamment quant à l’interdiction de soins privés.

La Loi canadienne sur la santé n’interdit pas les soins privés

Un autre volet de la lettre du ministre Duclos aux provinces et territoires qui apparait difficilement conciliable avec la LCS concerne les services rendus par des professionnels autres que les médecins. Le ministre note que l’élargissement du champ d’exercice des travailleurs de la santé pourrait améliorer la prestation de soins, mais il exprime des préoccupations à propos de la facturation de frais pour des soins médicalement nécessaires, ajoutant que « j’ai l’intention de clarifier ce point dans une lettre d’interprétation distincte de la Loi canadienne sur la santé que peu importe […] la façon dont ils reçoivent des soins médicalement nécessaires, ils doivent pouvoir accéder à ces services sans avoir à débourser d’argent ».

Il est vrai qu’au cours des dernières années, au gré de différentes réformes législatives intervenues au Québec et ailleurs au Canada, les champs d’exercice des divers professionnels de la santé ont été régulièrement élargis. Ainsi, plusieurs services qui n’étaient disponibles qu’auprès des médecins dans les années 60, 70 et 80, au moment où les fondements de la LCS et des divers systèmes de santé provinciaux et territoriaux ont été établis, le sont maintenant auprès d’infirmières praticiennes spécialisées et de pharmaciens, mais aussi d’autres professionnels, tels les physiothérapeutes, les nutritionnistes, les optométristes, etc.

Au Québec, le « Plan santé » du ministre Christian Dubé prévoit accentuer ce « décloisonnement » des professions du secteur de la santé, afin de « favoriser un accès plus rapide aux soins pertinents, prodigués par les ressources compétentes ».

Une loi mal adaptée à la diversification de l’offre de soins

Or, les services de santé assurés aux fins de la LCS ne concernent que les « services hospitaliers, médicaux ou de chirurgie dentaire ». Les services médicaux sont définis comme étant les « services médicalement nécessaires fournis par un médecin », alors que les services de chirurgie dentaire sont ceux qui sont nécessaires sur le plan médical ou dentaire offerts en milieu hospitalier. Le terme « médecin » réfère à une « personne légalement autorisée à exercer la médecine au lieu où elle se livre à cet exercice ».

La condition d’intégralité posée par la LCS fait elle-même la distinction entre les médecins et les « autres professionnels de la santé », en indiquant que les services de ces derniers devraient être assurés « lorsque la loi de la province le permet ». Les provinces auraient donc le dernier mot en cette matière.

On voit donc mal quels leviers le ministre Duclos pourrait activer, sur la base de la LCS, pour forcer les provinces à inclure dans la couverture du régime public les services des professionnels de la santé non-médecins rendus à l’extérieur des hôpitaux. On peut penser ici à tous les services qui peuvent être rendus en cabinets privés par ces professionnels, mais aussi à ceux dispensés en téléconsultation, que ce soit en les offrant directement aux patients ou par l’entremise de régimes d’avantages sociaux offerts par des employeurs.

Les limites des déclarations ministérielles

Au cours des dernières années, l’affaire Cambie a retenu l’attention de ceux qui, au Canada, s’intéressent au rôle du secteur privé dans le domaine de la santé. Dans ce dossier, les tribunaux de la Colombie-Britannique ont confirmé la validité, au regard des droits protégés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, de deux mesures d’une loi provinciale. Ces dispositions ne sont pas étrangères aux conditions posées par la LCS.

La première concerne l’interdiction de l’assurance privée « duplicative », soit la couverture par une assurance privée pour des services déjà assurés par un régime public provincial. La seconde porte sur l’interdiction de la « surfacturation », soit la facturation suivant un tarif supérieur prévu par le système public, en chargeant l’excédent au patient.

La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’en appeler dans cette affaire. On peut en comprendre qu’elle valide en quelque sorte l’analyse des tribunaux de la Colombie-Britannique, mais pour autant, elle ne fait pas non plus disparaître l’arrêt Chaoulli qu’elle a rendu il y a près de vingt-ans et dans lequel la Cour s’était montrée moins favorable aux restrictions imposées aux services privés. Par une courte majorité et en vertu de la Charte québécoise, la Cour avait alors invalidé des dispositions des lois québécoises interdisant la couverture de soins par des régimes d’assurance privée.

Quoiqu’il en soit, l’affaire Cambie n’est que l’une des récentes manifestations d‘un intérêt certain du secteur à but lucratif en santé pour le développement d’une offre de services financés par les patients ou par l’entremise d’assureurs privés. Les failles des systèmes publics à bout de souffle suite à la pandémie, les technologies actuelles facilitant l’offre de soins virtuels et la possibilité de recourir au potentiel « sous exploité » des professionnels de la santé non-médecins constituent des opportunités à saisir pour ce secteur.

Devant cette situation, il n’est pas certain que le ministre fédéral dispose vraiment d’un pouvoir déclaratif tel qu’il pourrait à lui seul élargir la portée de la LCS pour continuer d’influer de façon utile sur le cours des choses, que ce soit par des politiques ou des « épîtres » aux provinces. On peut d’ailleurs penser que si les tribunaux étaient saisis d’un litige qui les conduisait à se prononcer de façon précise sur la portée de la loi, ils pourraient en tirer d’autres conclusions que celles que le ministre fédéral semble privilégier, sur différents aspects.

En somme, l’offre de services de santé, qui continue de se diversifier, tend à évoluer de plus en plus à l’extérieur de l’orbite « hôpital-médecin », et même du système public. Il serait peut-être temps de mettre à jour la LCS et de mieux définir en quoi consiste un accès satisfaisant aux soins à l’intérieur du système public.

Ce texte est le second d’une série de deux articles sur le rôle et la portée de la Loi canadienne sur la santé. Le premier texte est disponible ici.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Marco Laverdière
Marco Laverdière est avocat et chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé et au H-POD de l’Université de Montréal. Il enseigne aux programmes de deuxième cycle en droit et politiques de la santé à l’Université de Sherbrooke. Il est également directeur général de l’Ordre des optométristes du Québec. Twitter @m_laverdiere

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License