Dans une lettre envoyée le 10 janvier dernier aux ministres provinciaux et territoriaux de la santé, le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland a fait connaître sa nouvelle politique fédérale concernant la Loi canadienne sur la santé (LCS). Imprécise et incomplète, cette interprétation soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

La politique prévoit qu’à compter du 1ᵉʳ avril 2026, « les frais imposés aux patients pour des services médicalement nécessaires, qu’ils soient dispensés par un médecin ou un autre professionnel de la santé fournissant des services équivalents à ceux d’un médecin, seront considérés comme de la surfacturation et des frais modérateurs ». Les provinces et territoires ne seront tenus de produire les déclarations à ce sujet qu’en décembre 2028, mais s’ils ne se conforment pas à la nouvelle politique, ils s’exposeront à une réduction du financement fédéral pour la santé.

Cette position, attendue depuis longtemps, est en phase avec l’évolution des champs d’exercice de plusieurs professionnels de la santé qui peuvent aujourd’hui offrir des services qui, à une autre époque, ne pouvaient l’être que par des médecins. Elle s’inscrit également dans une transformation nécessaire des systèmes de santé, qui doivent sortir de l’approche médico-hospitalo-centrique et miser sur l’ensemble des ressources compétentes disponibles pour mieux répondre aux besoins de la population.

Plus de soins couverts, mais lesquels ?

Toutefois, le diable étant dans les détails, on peut constater que cette initiative fédérale souffre de plusieurs limites, tant sur le plan de sa formulation que sur le plan juridique. Selon ce qui y est précisé, la nouvelle politique n’a pas pour but « d’élargir le panier de base des services couverts en vertu de la LCS ». Il s’agit plutôt d’étendre la couverture des services médicalement nécessaires à des professionnels autres que les médecins. Mais lesquels?

En plus des infirmières praticiennes spécialisées (IPS), les pharmaciens et les sage-femmes sont mentionnés à titre d’exemple dans la lettre ministérielle. Par ailleurs, il n’y a pas de définition de ce qui est « médicalement nécessaire » dans la loi, la jurisprudence à ce sujet n’étant pas non plus très éclairante.

Il y a déjà plusieurs variations dans la couverture des services médicaux établie par les régimes publics provinciaux et territoriaux. La situation devient encore plus confuse avec le fait que la politique indique qu’elle « n’inclut pas les prestataires de soins de santé agréés dont le champ d’activité chevauchait celui des médecins avant la promulgation de la LCS en 1984 et dont les services n’étaient pas considérés comme assurés à l’époque ».

Le cas des services de psychothérapie

Par exemple, au Québec, les médecins peuvent généralement offrir des services de psychothérapie couverts par le régime public, même en première ligne. Avant la promulgation de la LCS, en 1984, les psychologues pouvaient également offrir de tels services, mais ceux-ci n’étaient pas couverts par le régime public lorsqu’ils les rendaient en cabinets privés. Depuis 1984, d’autres professionnels ont été autorisés à offrir de tels services, moyennant l’obtention d’un permis additionnel à cette fin.

Est-ce à dire que les services de psychothérapie offerts par ces professionnels en cabinets privés devront être couverts par le régime public, mais pas ceux des psychologues? La même question pourrait se poser à l’égard de bien d’autres services médicalement nécessaires qui, selon le cas, étaient déjà autorisés pour d‘autres professionnels en 1984 ou le sont devenus depuis, que ce soit pour les nutritionnistes, les podiatres ou les optométristes.

Par ailleurs, est-il suffisant pour une province d’assumer la couverture des services à l’intérieur de son réseau institutionnel, comme les services d’IPS financés par l’État au Québec dans les groupes de médecine familiale et certaines cliniques publiques d’IPS, ou cette couverture doit-elle s’étendre à l’ensemble des services rendus en cabinets privés?

Les soins virtuels ne sont pas visés

Enfin, le ministre a indiqué en entrevue que les soins virtuels ne sont pas visés par sa politique, alors que lui-même et son prédécesseur annonçaient le contraire dans des déclarations précédentes, soulevant l’opposition de plusieurs acteurs du milieu de l’assurance et des plateformes commerciales de télésanté.

Or les services privés de téléconsultation sont en plein développement et misent en grande partie sur des non-médecins pour offrir toute une gamme de services pouvant être qualifiés de « médicalement nécessaires », aux frais des patients ou de tiers-payeurs, comme les assureurs ou les employeurs. Attendre trop longtemps avant d’encadrer le financement de ces services risque de rendre la situation irréversible.

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Même si la LCS soulève traditionnellement un débat autour du respect du partage des compétences fédérales-provinciales, sa validité constitutionnelle est plutôt bien établie. Sur le plan juridique, la principale difficulté est surtout liée à l’élargissement, par simple politique ministérielle, de la notion de « services assurés » qui y est prévue.

S’inscrivant dans la foulée des lois fédérales antérieure sur l’assurance hospitalisation et l’assurance maladie, cette notion est définie à l’article 2 de la LCS et vise précisément les services hospitaliers et ceux rendus par un médecin, à l’hôpital ou ailleurs, ainsi que les services de chirurgie dentaire rendus à l’hôpital.

Ainsi, les deux seules professions qui sont spécifiquement identifiées dans la LCS sont celles de médecin et de dentiste. Il n’y a pas d’exigence de couverture pour les services des « autres professionnels de la santé », la condition d’intégralité prévue à l’article  9 indiquant qu’il appartient aux provinces de la déterminer. Dans l’affaire Auton en 2004 (par. 43), la Cour suprême du Canada indiquait d’ailleurs que la LCS « garantit seulement le financement intégral des services essentiels, qui s’entendent des services fournis par un médecin ».

La validité de l’interprétation est questionnable

À ce titre, il est douteux qu’il soit possible de considérer qu’une IPS, ou un autre professionnel de la santé, corresponde dorénavant à la définition de « médecin » prévue à l’article 2 de la LCS. Ces diverses professions conservent une identité propre et leurs champs d’exercice, même lorsqu’ils chevauchent celui de la médecine, restent configurés distinctement, de sorte qu’on ne peut prétendre qu’elles sont toutes assimilables à la médecine. Encore aujourd’hui, une IPS ne peut légalement se prétendre médecin et lorsqu’une IPS procède à un diagnostic ou à un traitement de façon autonome, elle exerce en fait la profession d’infirmière et non pas celle de médecin.

Qui plus est, rien dans la LCS n’interdit la prestation de services privés aux frais des patients, celle-ci exigeant plutôt que les provinces et territoires mettent en place un système public conforme aux conditions qu’elle établit, notamment celles de l’universalité et de l’accessibilité. Dans l’arrêt de la Cour suprême rendu dans l’affaire Chaoulli (par. 16), la juge Deschamps, qui écrivait pour la majorité, soulignait ainsi que « la Loi canadienne sur la santé ne prohibe pas les services de santé privés […] ».

En définitive, on voit mal comment une politique ou une lettre ministérielle, soit un instrument qui n’est pas juridiquement contraignant, pourrait, à ce point, modifier la portée de la loi. Bien sûr, à ce jour, la LCS a surtout été interprétée et appliquée sur des bases politiques et administratives, mais la validité de cette nouvelle lettre d’interprétation pourrait être sérieusement remise en question s’il s’avérait qu’elle était contestée devant les tribunaux, par des provinces ou d’autres intervenants.

L’incertitude sur la portée réelle de la nouvelle lettre ministérielle ne tient pas qu’à son contenu, mais découle également de l’actuelle effervescence électorale à Ottawa. On ne sait trop si cette politique sera maintenue et, si oui, comment elle sera appliquée par le prochain gouvernement.

Une occasion ratée de moderniser la Loi

Pendant ce temps au Québec, on tolère que 5% des médecins de famille aient le statut de non participants au régime public et puissent ainsi facturer des services « médicalement nécessaires » à leurs patients, ce qui est également le cas, dans une moindre mesure, pour les médecins spécialistes. On fait de même avec les IPS et d’autres professionnels qui exercent en cabinet privé, hors des groupes de médecine familiale. Dans son état actuel, le projet de loi 83 présenté en décembre dernier par le ministre de la Santé du Québec, changera peu de chose à cette situation puisqu’il ne vise qu’à interdire aux médecins qui sont dans leurs cinq premières années d’exercice à prendre le statut de médecins non participants. Pour rappel, l’Ontario a plutôt décidé d’éliminer ce statut en 2004.

L’approche québécoise actuelle serait donc a priori contraire à la nouvelle politique fédérale, pour ce qu’on peut en comprendre du moins. Mais compte tenu de son caractère flou et de ses assises fragiles, il n’est pas acquis que cette politique change réellement le cours des choses. D’autant plus que malgré une réduction des transferts fédéraux de 42M$ en 2023 en raison de l’absence de couverture des services diagnostiques hors du milieu hospitalier, le Québec n’a semble-t-il toujours pas corrigé le tir. Il sera d’ailleurs intéressant de voir le suivi accordé à ce sujet dans le prochain rapport annuel relatif à la LCS, attendu sous peu.

L’avenir dira si cette politique ministérielle aura une certaine pérennité et efficacité, mais si ce n’est pas le cas, peut-être qu’il faudra conclure qu’il y a eu une occasion ratée au cours des dernières années de procéder à une véritable modernisation de la LCS. Celle-ci aurait pu permettre de mieux intégrer les autres initiatives fédérales en ce qui concerne l’assurance médicaments et les soins dentaires, mais aussi de mieux réguler, sans nécessairement les interdire, certains développements en cours en ce qui concerne les services privés, tant au Québec qu’ailleurs au Canada.

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Marco Laverdière
Marco Laverdière est avocat et chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé et au H-POD de l’Université de Montréal. Il enseigne aux programmes de deuxième cycle en droit et politiques de la santé à l’Université de Sherbrooke. Il est également directeur général de l’Ordre des optométristes du Québec.

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