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La Presse rapportait récemment, sur la base d’un article de La Presse canadienne écrit en partenariat avec le StoryLab du Collège Humber, que la croissance des transferts fédéraux en santé dépassait les augmentations des dépenses de santé dans toutes les provinces. Sous-entendu : les provinces se plaignent à tort, puisqu’Ottawa a haussé sa contribution.
L’article souligne que des décennies de comptes publics provinciaux et de transferts fédéraux ont été passés au peigne fin, et que les résultats contrastent fortement avec le discours voulant que le gouvernement fédéral ne contribue pas adéquatement à la hausse des dépenses de santé des provinces.
Selon StoryLab, les transferts fédéraux aux provinces auraient crû de 212 % de 2004-2005 à 2022-2023, comparativement à 158 % pour les dépenses de santé des provinces.
Mais qu’en est-il exactement?
En premier lieu, il faut savoir qu’entre 1995-1996 et 2004-2005, le fédéral s’était fortement désengagé en matière de transferts en santé, dans une perspective d’assainissement des finances publiques. On doit aussi se rappeler qu’en 2004, première année d’existence du Conseil de la fédération, les provinces faisaient valoir que le déséquilibre fiscal entre elles et Ottawa nécessitait une injection immédiate de fonds. C’est dans cette perspective qu’un accord sur la santé a été signé en 2004, et qui a fait en sorte qu’il y a eu rattrapage important : en seulement un an, soit de l’année financière 2004-2005 à 2005-2006, le transfert canadien en matière de santé a augmenté de 33 %.
Dans un tel contexte, le point de départ a une importance cruciale dans l’analyse de StoryLab. Si elle avait débuté en 2005-2006 au lieu de 2004-2005, la conclusion aurait été inversée!
En effet, les dépenses de santé des provinces ont augmenté de 141 % entre 2005-2006 et 2022-2023, comparativement à 133 % pour le transfert canadien en santé. La croissance des dépenses provinciales excède aussi la croissance du transfert fédéral si on allonge l’analyse jusqu’à l’année en cours (2024-2025) : ramenée sur une base annuelle, la croissance des dépenses des provinces atteint alors 5,3 %, contre 5,1 % pour le transfert fédéral.
En limitant la comparaison aux 10 dernières années, soit de 2015-2016 à 2024-2025, et même en tenant compte de bonifications proposées par Ottawa en 2023 (et signées par le Québec au début de 2024) majorant les transferts et garantissant une croissance minimale de 5 % par an pendant cinq ans, les dépenses des provinces ont crû annuellement plus vite que le transfert fédéral, à raison de 5,3 % contre 4,8 %.
Si la comparaison portait plutôt sur la croissance depuis la situation prépandémique (2019-2020), le résultat serait le même : les dépenses des provinces ont augmenté de 6,5 % par an, contre 5,2 % pour le transfert fédéral.
Il est intéressant de noter que dans tous les cas, l’écart entre la croissance du transfert fédéral et celle des dépenses en santé est plus grand au Québec que pour la moyenne des provinces, comme le montre le tableau 1.
La raison est que le transfert fédéral augmente en bloc à un taux déterminé, par exemple, un plancher de 3 % ou 5 %. Ensuite, le transfert est ramené à un montant par habitant et finalement versé aux provinces selon la population de chacune. Ainsi, comme le poids démographique du Québec diminue dans la fédération canadienne, le transfert fédéral en santé croit globalement moins vite au Québec que pour la moyenne des provinces.
Les différences de quelques points de pourcentage annuellement peuvent paraître minimes, mais étant donné que l’écart s’accumule avec le temps, des sommes considérables sont en jeu.
Enfin, lorsque les provinces demandent un financement accru du fédéral en santé, ce n’est pas tant en regard du passé, mais surtout parce qu’elles ont les yeux tournés vers l’avenir. À cet égard, les données du Directeur parlementaire du budget ne laissent aucun doute : cet organisme indépendant projette que la croissance annuelle moyenne des dépenses de santé des provinces sera de 4,5 % entre 2025 et 2040, contre 4,2 % pour le transfert fédéral.
Il est possible de souligner qu’après avoir chuté à la fin des années 1990 et au début des années 2000, la part du financement fédéral dans le total des dépenses de santé a augmenté à compter du milieu des années 2000 en raison de l’entente sur la santé de 2004. Toutefois, depuis la fin de cette entente, la croissance du transfert fédéral pour la santé est limitée au rythme de la croissance du PIB nominal, sous réserve d’un plancher de 3 %.
Même si ce plancher a été haussé à 5 % pour la période allant de 2023-2024 à 2027-2028, il n’est pas surprenant que l’on constate une tendance à la baisse de la part du financement fédéral. La raison est simple : la croissance des dépenses de santé des provinces excède la croissance du transfert canadien en matière de santé que verse Ottawa. C’est mathématique!