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Le 28 avril, jour des élections fédérales, les électeurs choisiront leur gouvernement et scelleront du même coup le sort de CBC/Radio-Canada. Comme un gladiateur dans l’arène, le diffuseur public attend le verdict : pouce levé ou pouce baissé.

Les libéraux de Mark Carney promettent de le défendre et d’augmenter son financement. À l’inverse, le chef conservateur, Pierre Poilievre, est pressé de tenir sa promesse de couper les vivres aux services anglophones de CBC, qu’il juge inutiles. Selon le Parti conservateur, « CBC propose des opinions et une couverture déjà largement accessibles dans un marché médiatique concurrentiel. »

Pour les conservateurs, les Canadiens, surtout anglophones, n’ont plus besoin de l’État pour accéder à l’information et à la culture. Une rupture nette avec près de 90 ans de politiques culturelles canadiennes.

Depuis sa création, en 1936, CBC/Radio-Canada est subventionnée par les gouvernements successifs. L’objectif : protéger le pays de l’influence massive des contenus américains. Le célèbre slogan de Graham Spry résumait bien cette approche : « l’État ou les États-Unis ». Cette logique imprègne encore la Loi sur la radiodiffusion, qui place la souveraineté culturelle au cœur de ses principes.

Mais, depuis que le pouvoir conservateur s’est déplacé vers l’Ouest et la droite, d’abord avec le Parti réformiste, dans les années 1990, puis avec la refonte du Parti conservateur, en 2003, les politiques culturelles sont devenues l’apanage des libéraux. Elles ont été maintenues à contrecœur sous Stephen Harper, de 2006 à 2015.

Un irritant depuis toujours pour les conservateurs

Parmi ces politiques, c’est le financement public de CBC/Radio-Canada (1,4 milliard de dollars en 2024-2025) qui irrite le plus les conservateurs. À leurs yeux, le diffuseur public occupe un espace trop central au Canada, est trop bien nanti et couvre l’actualité avec un biais contre les idées conservatrices.

Andrew Scheer et Erin O’Toole avaient déjà évoqué des compressions, voire une abolition, mais ils avaient reculé en campagne. En 2021, lors de la convention du Parti, les délégués conservateurs ont réclamé plus qu’une simple révision du mandat. Aujourd’hui, la promesse de Poilievre de sabrer le financement de la CBC marque une rupture franche. La position du parti est maintenant sans équivoque.

Supprimer le financement de la CBC est devenu une promesse phare du Parti conservateur. Elle plaît à sa base électorale et génère des dons. L’exception, cette fois, concerne les services francophones : Poilievre promet que les compressions n’auront aucun impact sur Radio-Canada.

Mais une Société Radio-Canada autonome, financée à hauteur de 600 millions de dollars par les coffres fédéraux, deviendrait une cible facile pour les électeurs anglophones. Qu’ils défendent ou pourfendent la CBC, ces derniers auraient peu d’intérêt à maintenir les services en français. La promesse de Poilievre n’a donc rien de rassurant pour les francophones et pour la classe politique québécoise.

Pour justifier cette position, des commentateurs reprennent les critiques fréquemment adressées à la CBC : son contenu serait de mauvaise qualité, trop orienté à gauche et trop « woke ». Ils lui reprochent également de concurrencer de manière déloyale les médias privés en accaparant une part des maigres revenus publicitaires, d’attirer un auditoire restreint et de devenir obsolète dans l’ère numérique. Certains suggèrent même de rediriger les fonds vers des subventions directes à la culture.

Des services privatisés et offerts par abonnement

Mais le Parti conservateur n’a présenté aucun cadre concret pour appuyer sa proposition. L’analyse la plus structurée vient de Peter Menzies, ancien éditeur du Calgary Herald et ex-vice-président du CRTC.

Il y a deux ans, Menzies proposait de réduire et de réformer CBC. Comme plusieurs défenseurs du diffuseur, il recommandait de le retirer du marché publicitaire, de décentraliser ses opérations, et d’élargir la diversité de ses contenus, tant régionaux qu’idéologiques. Mais dans un texte plus récent, il va beaucoup plus loin : il propose d’abolir les services anglophones (sauf dans le Nord) et de maintenir Radio-Canada temporairement.

L’entrée du bâtiment est dotée de trois portes vitrées. Le bâtiment est de conception moderne avec des murs en verre.
Les studios d’enregistrement de CBC à Vancouver, en septembre 2023. À l’époque, c’était le plus grand site de production de la CBC au Canada anglais. LA PRESSE CANADIENNE/Don Denton

Selon le plan de Menzies, les services anglophones de CBC seraient privatisés et offerts par abonnement selon un tarif mensuel de 30 $. Tous les médias, publics et privés, perdraient leurs subventions. Ce sont les consommateurs de nouvelles qui recevraient des bons (vouchers) pour s’abonner au service.

Il est impossible d’évaluer la radiodiffusion publique de manière isolée, sans considérer l’ensemble de l’écosystème médiatique canadien, souligne Menzies. Mais il voit la précarité de cet écosystème comme un argument contre, et non en faveur, du maintien du financement public de CBC. Il soutient que CBC nuit aux médias privés en leur faisant une concurrence déloyale pour attirer les auditoires et des revenus publicitaires.

Le plan de Menzies repose toutefois sur une foi inébranlable dans la prospérité future des médias privés canadiens, pourtant fragilisés, dans un marché libre toujours en quête de rares revenus publicitaires.

Il dépend aussi du succès des bons d’achat que les contribuables pourraient réclamer pour leurs abonnements aux nouvelles, en l’absence de la CBC et de subventions aux médias privés. Or, comme 80 % des Canadiens ne paient pas pour s’informer, c’est un pari politique risqué de croire que ces bons suffiront à maintenir du contenu local, régional et national derrière des murs payants pour des lecteurs occasionnels, qui forment la majorité.

Les dangers d’un effondrement de l’écosystème

En somme, Menzies estime que les subventions actuelles représentent une menace existentielle pour l’indépendance de la presse et la démocratie libérale. Ce qu’il craint, c’est l’avènement d’un écosystème médiatique dépendant des gouvernements qui financent les médias.

Pour les défenseurs de CBC, le danger est plutôt l’effondrement de l’écosystème médiatique. Sans la CBC, sans revenus publicitaires (accaparés par les géants numériques), et sans appui aux médias privés, la diversité de l’information s’effondrerait. Les médias ne pourraient plus contrebalancer les discours partisans ni freiner la désinformation et les ingérences étrangères.

Les analystes peuvent débattre du scénario le plus inquiétant. Mais l’élection du 28 avril pourrait bien faire office de référendum sur la question.

Les libéraux, eux, défendent la CBC. Le premier ministre a repris certaines propositions de l’ex-ministre du Patrimoine Pascale St-Onge, notamment sur les nouvelles locales. Reste à savoir où et comment investir sans nuire aux médias privés.

La proposition des libéraux : s’inspirer de la BBC

Mark Carney propose une hausse modeste : 150 millions de plus, soit 35,50 $ par Canadien, contre 32 $ actuellement. Les augmentations plus ambitieuses, comme celle proposée par St-Onge (jusqu’à 62 $), attendront.

En réalité, Radio-Canada est déjà financée à un niveau comparable aux standards européens. C’est le service anglophone qui souffre, avec un budget similaire à celui des diffuseurs publics américains.

Carney n’a pas retenu l’idée de retirer la publicité des émissions d’affaires publiques, probablement parce que la logique financière ne tient pas : les 150 millions de dollars promis compenseraient à peine les 100 millions en revenus publicitaires. Pourtant, une CBC sans publicité séduirait sans doute davantage, comme c’est déjà le cas à la radio.

L’entrée du bâtiment est dotée de trois portes vitrées. Le bâtiment est de conception moderne avec des murs en verre.
Les studios d’enregistrement de CBC à Vancouver, en septembre 2023. À l’époque, c’était le plus grand site de production de la CBC au Canada anglais. LA PRESSE CANADIENNE/Don Denton

Il propose néanmoins une réforme importante : inscrire le financement à long terme dans la Loi sur la radiodiffusion, afin de le soustraire aux arbitrages budgétaires annuels. Ce modèle s’inspire du Royaume-Uni, où un contrat de 11 ans lie le Parlement et la BBC. Les termes sont clairement définis : un financement stable en échange de résultats et du respect du mandat de service public.

Procéder à des audits externes

Un nouveau rapport rédigé par le sénateur indépendant Andrew Cardozo propose plusieurs mesures visant à contrer le cynisme ou l’hostilité envers CBC/Radio-Canada et ainsi renforcer la confiance du public. Cardozo suggère entre autres que le contenu de l’information de la CBC fasse l’objet d’audits externes annuels, une recommandation également faite par Peter Menzies et l’ancien cadre de la CBC Richard Stursberg.

Sur mon blogue MediaPolicy.ca, j’ai proposé de déménager le siège social de la CBC vers l’Ouest canadien et de convoquer régulièrement des « assemblées citoyennes » comprenant des membres de l’auditoire pour évaluer la programmation de la CBC.

Même si la CBC survit à l’élection du 28 avril, cela ne mettra pas fin aux débats canadiens sur son rôle dans les médias et la démocratie libérale.

Les objectifs attribués à la CBC dans la Loi sur la radiodiffusion n’ont pas permis de dégager un consensus au Canada sur son rôle, sauf sur une chose : elle doit offrir une programmation différente ou complémentaire à celle des médias privés, tout en contribuant à notre souveraineté culturelle.

Protéger la souveraineté culturelle

Ce dernier enjeu est devenu prioritaire devant la menace du président Trump d’annexer le Canada par la force économique.

Les Canadiens ne cesseront probablement jamais de débattre du type du contenu culturel que la CBC devrait offrir. Et nous ne nous entendrons jamais tous sur la question de savoir si la CBC News est biaisée. Imaginez une seconde si la salle de nouvelles de la CBC décidait consciemment de mettre de l’avant des points de vue et enjeux conservateurs : elle se ferait démolir de toutes parts pour cela.

Mais une CBC améliorée peut poursuivre sa vocation de diffuseur public : raconter des histoires canadiennes populaires et authentiques, qui résonnent tant l’échelle régionale que nationale. Offrir une information rigoureuse, basée sur les faits, et des analyses éclairantes. Rassembler les Canadiens dans un espace commun. CBC est notre principal levier de politiques publiques dans les domaines des médias et de la culture. Et elle doit réussir si nous voulons défendre notre souveraineté culturelle.

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Howard Law
Howard Law est éditeur de MediaPolicy.ca et auteur de Canada vs California: How Ottawa took on Netflix and the streaming giants. X : @howardalaw Bluesky : @mediapolicy. bsky.social

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