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À moins d’une semaine du scrutin fédéral, les électeurs canadiens sont, comme à chaque élection, inondés de promesses : baisses d’impôt, construction massive de logements, relance du transport ferroviaire régional, nouvelles places en garderie… Chaque parti y va de sa vision pour séduire l’électorat. Mais dans ce déluge d’engagements, une question demeure jusqu’au moment du vote : que peut-on réellement croire?
Pour éclairer ce choix démocratique, il vaut la peine de faire un retour sur les promesses passées, notamment celles de Justin Trudeau, qui, après près d’une décennie au pouvoir, offre un terrain d’évaluation concret.
Les gouvernements Trudeau successifs ont-ils rompu plus de promesses qu’ils n’en ont tenues? Et comment les gouvernements fédéraux précédents se sont-ils comportés en matière de réalisation des promesses et qu’est-ce que cela suggère pour les promesses de la campagne électorale de 2025?
Dans un livre récemment publié, notre groupe de recherche dresse un bilan des gouvernements libéraux de Justin Trudeau en matière de réalisation des promesses, tout en analysant les facteurs qui influencent la capacité des partis au pouvoir à respecter leurs engagements. Cette analyse repose sur plus de dix années de suivi rigoureux des promesses électorales au Canada, mené par l’équipe du Polimètre. Le Polimètre est un outil indépendant et non partisan conçu et géré par des politologues du Centre d’analyse des politiques publiques, en collaboration avec des partenaires en Ontario et au Nouveau-Brunswick.
Une promesse, c’est une promesse! Pas toujours…
Commençons par clarifier la définition d’une promesse électorale. Selon le Polimètre, une promesse électorale doit répondre à trois critères spécifiques.
D’abord, elle constitue un engagement formel présenté par un parti politique dans le cadre d’une élection (que ce soit dans une plateforme officielle, un communiqué de presse ou un document soumis au Directeur parlementaire du budget).
Ensuite, elle doit concerner la réalisation d’une action ou d’un résultat donné, ou l’adoption, le maintien ou le retrait d’une politique, d’une loi, d’une réforme, d’un projet ou d’un programme, en cas d’élection.
Enfin, elle doit être suffisamment claire pour permettre aux citoyens d’identifier un résultat mesurable ou une action (ou absence d’action) politique observable. Ainsi, certaines déclarations des partis politiques sont des promesses, tandis que d’autres ne sont que de la rhétorique.
Par exemple, une déclaration affirmant que le parti rendra la vie plus abordable pour les familles est trop vague pour constituer une promesse. Cependant, s’engager à rendre la vie plus abordable pour les familles en réduisant les impôts sur le revenu, en supprimant la TPS sur certains produits ou en augmentant l’Allocation canadienne pour enfants peut être catégorisé comme une promesse électorale. De même, s’engager à réduire le taux de pauvreté au Canada de 10 % ou à équilibrer le budget en trois ans constituent des promesses visant à atteindre un résultat mesurable et observable.
Les gouvernements tiennent parole… la plupart du temps
Les données du Polimètre, combinées aux résultats d’études internationales, montrent que les gouvernements tiennent généralement la majorité de leurs promesses, totalement ou partiellement. Ainsi, il est essentiel que les électeurs examinent attentivement les programmes des partis politiques et leurs promesses pour éviter les surprises après les élections.
La Figure 1 compare le bilan des trois gouvernements libéraux de Justin Trudeau en matière de réalisation des promesses entre 2015 et 2025. Le gouvernement Trudeau majoritaire (2015-2019) a établi un record avec le plus grand nombre de promesses formulées (353) à ce moment-là, ainsi que le plus grand nombre de promesses réalisées (236) et partiellement réalisées (92), par rapport aux gouvernements précédents de 1993 à 2015. En tout, le premier gouvernement Trudeau a réalisé ou partiellement réalisé 92,2 % de ses 353 promesses.
Ce bilan contraste avec celui du deuxième mandat du gouvernement libéral (2019-2021), marqué par un pourcentage record (48 %) et un nombre élevé (165) de promesses rompues. Près de 52 % des 343 promesses ont été entièrement ou partiellement réalisées. Bien que la pandémie mondiale de COVID-19, survenue quelques mois après le début du mandat, puisse expliquer une partie de ce bilan, le facteur le plus déterminant reste la décision du gouvernement de déclencher des élections anticipées après moins de deux ans au pouvoir, réduisant ainsi le temps disponible pour honorer ses engagements.
Le deuxième gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau (2021-2025) a réalisé 44 % des 354 promesses faites lors des élections de 2021, tandis que 32 % ont été partiellement réalisées et 24 % rompues. Au total, 76 % des promesses ont été réalisées, totalement ou partiellement, un pourcentage supérieur à la moyenne des gouvernements canadiens depuis 1993 (70 %). Cependant, seulement 44 % des promesses ont été entièrement réalisées, un chiffre inférieur à la moyenne de 56 %. Ce mandat montre qu’un gouvernement minoritaire bénéficiant d’un accord de soutien et de confiance, comme celui conclu avec le NPD, peut rester en fonction presque toute la durée prévue d’un mandat, ce qui lui permet plus facilement de réaliser davantage de promesses qu’un gouvernement minoritaire de courte durée.
Bien que les données présentées ici soient claires et validées par des experts, les résultats ne tiennent pas compte de l’importance relative des promesses. Pour en savoir plus sur les promesses électorales de l’ère Trudeau et vous forger une opinion sur son bilan selon les enjeux qui vous tiennent à cœur, l’équipe du Polimètre invite les consommateurs de données politiques et les citoyens en général à explorer l’application web du Polimètre canadien. Cette application offre un accès à une base de données regroupant les promesses électorales passées et actuelles des gouvernements fédéraux et de certains gouvernements provinciaux. Les utilisateurs peuvent trier les informations par mandat, domaine de politique publique et verdict.
Une bonne note pour les gouvernements fédéraux canadiens
Les Figures 2 et 3 présentent les bilans de réalisation des promesses des gouvernements fédéraux, en comparant l’ère Trudeau à tous les gouvernements fédéraux précédents pour lesquels nous disposons de données (1993-2015). Que l’on considère le nombre total de promesses ou les pourcentages de promesses réalisées et partiellement réalisées, les faits sont clairs : les gouvernements fédéraux canadiens réalisent généralement plus de promesses qu’ils n’en rompent.
Selon nos recherches, les gouvernements tendent à réaliser leurs promesses, même en période de crise. De nombreux facteurs influencent la réalisation des promesses. L’un de ces facteurs est la formulation des promesses : plus une promesse est détaillée et complexe, ou fait référence à des recommandations dans un rapport spécial, plus elle est susceptible d’être partiellement réalisée, en raison des conditions supplémentaires nécessaires à sa pleine réalisation.
Prenons l’exemple de la promesse du gouvernement Trudeau de mettre en œuvre les recommandations de l’ancienne juge Louise Arbour concernant la culture toxique dans les forces armées canadiennes. Seulement 17 recommandations sur 48 ont été pleinement mises en œuvre. Le grand nombre de recommandations constituait autant de conditions à remplir pour tenir cette promesse, augmentant ainsi le risque qu’elle ne soit réalisée que partiellement.
Les gouvernements majoritaires sont plus fiables au Canada
Un autre facteur est la nature du changement annoncée dans la promesse : il est plus facile de maintenir le statu quo que de mettre en œuvre des engagements visant à transformer un domaine de politique publique. De plus, les promesses qui impliquent une collaboration avec d’autres acteurs ou qui dépassent la compétence exclusive du gouvernement fédéral, seront plus difficiles à réaliser.
Il faut donc considérer avec précaution les promesses de résultats en matière de santé ou d’éducation, car elles requièrent la collaboration et l’action publique des provinces, des territoires et des communautés autochtones, ces enjeux relevant de leurs compétences. Le gouvernement fédéral ne peut pas contraindre les autres gouvernements à atteindre une cible ni leur imposer de conséquences en cas d’échec.
Sans surprise, les partis politiques fédérales utiliseront alors des formulations telles que «nous négocieront les ententes bilatérales…» ou «nous travaillerons avec les provinces et territoires…» ou encore «nous investirons un montant X pour un programme », car ils entendent utiliser le pouvoir de dépenser fédéral pour orienter les priorités des autres ordres de gouvernement.
De même, pour les promesses liées à la défense nationale ou aux affaires étrangères, le Canada doit collaborer avec d’autres pays partenaires, l’OTAN, et les organisations internationales qui ont leurs propres dynamiques politiques et objectifs collectifs. Peu importe les promesses des partis face aux menaces de Trump, la seule certitude est que le prochain gouvernement devra renégocier les ententes commerciales et de sécurité avec lui.
Le statut du gouvernement influence la réalisation des promesses. Les gouvernements minoritaires canadiens ont tendance à accomplir moins de promesses que les gouvernements majoritaires, malgré des études internationales montrant des bilans similaires pour les deux types de gouvernements. Parmi les autres facteurs, on trouve les conditions économiques nationales et mondiales, l’équilibre budgétaire du gouvernement et l’idéologie du parti politique.
Des conditions économiques et fiscales favorables facilitent la réalisation des promesses, tandis que des conditions défavorables peuvent entraîner des pressions pour réduire les dépenses ou augmenter les impôts, ce qui peut aller à l’encontre de certaines promesses. Les partis conservateurs sont généralement plus enclins à réaliser leurs promesses de réduire les dépenses publiques que les partis libéraux.
Les promesses dictent les priorités pendant deux ans
Contrairement aux stéréotypes négatifs bien ancrés, les données du Polimètre et les résultats de recherches internationales révèlent que, une fois au pouvoir, les gouvernements s’efforcent généralement de concrétiser leurs promesses électorales. Au Canada, les promesses électorales tendent à orienter les priorités gouvernementales durant les deux premières années du mandat. Dès la troisième année de son mandat, la cadence de réalisation des promesses ralentit. Le gouvernement se concentre sur les nouveaux défis émergents, imprévus au moment des élections précédentes, et commence à se préparer pour les élections à venir. Les partis politiques au pouvoir accordent de l’importance à leur bilan en matière de réalisation des promesses, car ils cherchent à renforcer leur base partisane et à prouver à l’ensemble des électeurs qu’ils incarnent une marque crédible et fiable.
La couverture médiatique des élections met souvent en lumière les promesses les plus marquantes du jour, tandis que les partis politiques utilisent des messages ciblés pour séduire des groupes d’électeurs précis. En conséquence, les électeurs connaissent généralement seulement une petite fraction des promesses totales formulées. Dans la campagne actuelle, les enjeux et promesses de la santé et de l’environnement n’ont pas encore reçu beaucoup d’attention médiatique.
Comme nos données montrent que les partis au pouvoir tendent à réaliser, en tout ou en partie, la majorité de leurs promesses, il est essentiel que les électeurs examinent attentivement les documents électoraux de chaque parti, en se concentrant sur les enjeux et politiques qui leur tiennent le plus à cœur.