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La polarisation croissante de la politique canadienne et l’aggravation de la partisanerie toxique ont fait de la Chambre des communes une arène de plus en plus hostile, où les partis se livrent à des jeux à somme nulle qui érodent l’efficacité du Parlement.

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence de profonds clivages entre les Canadiens, notamment lors des manifestations de convois à Ottawa au début de l’année 2022. Les dirigeants politiques de tous côtés ont adopté une rhétorique de plus en plus clivante, et les députés sont confrontés à une hausse des menaces de violence dans un contexte de toxicité croissante au sein d’un Canada de plus en plus divisé. Il y a quelques jours, on apprenait que le nombre de menaces de mort envers le premier ministre avait fortement augmenté l’an dernier.

Un domaine de la politique qui a été relativement épargné par l’hyperpartisanerie est celui des comités parlementaires, où les députés de tous les partis représentés travaillent ensemble pour examiner les actions et la législation du gouvernement, remplissant ainsi une fonction essentielle de la Chambre : demander des comptes au gouvernement.

Autrefois, les comités passaient inaperçus et faisaient avancer les choses tranquillement. Leurs travaux n’étaient pas diffusés et le public et les médias avaient tendance à les ignorer. Cela permettait aux membres des comités de laisser la partisanerie à la porte et de travailler par-delà des clivages politiques, sur des questions communes d’intérêt public.

En 1991, les commissions ont commencé à diffuser leurs travaux – une décision qui allait entraîner des changements, mais pas tout de suite. En 1998, le fonctionnement des comités était encore considéré comme « relativement informel, collégial et moins partisan que celui de la Chambre ». Mais en 2010, leur atmosphère avait changé radicalement. Keith Martin, alors député libéral, a déploré que les comités avaient été contaminés par « la partisanerie qui a empoisonné l’air du Parlement », et dit qu’elles étaient en train de devenir « une extension du ring de boxe qu’est actuellement la Chambre ».

Aujourd’hui, les commissions sont sous les feux de la rampe et attirent de plus en plus l’attention des médias et du public. Et comme la polarisation politique continue à s’étendre, il y a des raisons de craindre que les comités ne finissent par être eux aussi entièrement rongés par la même partisanerie toxique qui gangrène le Parlement.

Bienvenue au 21e siècle politique

Les réalités de la « campagne permanente », la discipline rigoureuse des partis et l’utilisation accrue des médias sociaux en politique ont érodé l’efficacité des comités. Et le risque d’une nouvelle érosion existe. Les députés considèrent de plus en plus les comités comme une simple extension de la joute partisane globale, ce qui empêche un examen efficace de l’action gouvernementale, même sur les questions susceptibles de faire l’objet d’une coopération entre les partis.

Les partis – et la partisanerie – ont toujours fait partie du Parlement. Mais au 21e siècle, les députés doivent faire preuve d’une loyauté plus féroce, ce qui entraîne une rivalité inflexible envers leurs adversaires. Plusieurs facteurs contribuent à cet état de fait : la concentration des pouvoirs au sein du cabinet du premier ministre, qui exige déférence et obéissance de la part des députés; le recours fréquent à l’attribution de temps, qui permet de faire passer la législation gouvernementale au Parlement avec un examen et un débat limités; la période des questions, qui n’est pas prise au sérieux en tant que moyen de responsabilisation du gouvernement – et que la plupart des Canadiens la considèrent uniquement comme du « théâtre chargé politiquement ».

L’an dernier, un rapport du GreenPAC a montré que la discipline de parti excessive et la partisanerie étaient des obstacles majeurs à l’avancement de l’action climatique, sur la base d’entretiens avec de députés anciens et actuels.

Plus de polarisation

Des exemples récents de travaux de comités médiatisés démontrent que le braquage des projecteurs risque de générer encore plus de polarisation.

En 2019, le Parti libéral a utilisé sa majorité à la Chambre pour entraver l’enquête du Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur la controverse SNC-Lavalin, en empêchant les témoins d’assister aux audiences et en limitant le temps consacré à l’examen du scandale.

En 2021, une opposition unie a pu exercer une pression importante sur le gouvernement libéral minoritaire par l’entremise du Comité spécial sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine. Le comité a demandé des documents non expurgés concernant le licenciement de deux scientifiques du Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, sur lequel elle enquêtait. Le gouvernement a toutefois refusé de communiquer les documents, invoquant le droit à la vie privée et les intérêts de la sécurité nationale. La commission a répondu par des critiques publiques, allant jusqu’à faire admonester Iain Stewart, président de l’Agence de santé publique du Canada, par le président de la Chambre pour avoir refusé de produire les documents. Ce faisant, M. Stewart est devenu le premier non-parlementaire à être réprimandé par le président de la Chambre en plus d’un siècle.

Marco Mendicino sourit en pointant un doigt vers la caméra. Il est assis à une longue table avec d’autres personnes.
Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, fait un geste en direction d’un journaliste alors qu’il attend de comparaître devant le Comité spécial sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine, à Ottawa, le 6 février 2023. LA PRESSE CANADIENNE/Spencer Colby

Plus récemment, l’impact de la partisanerie sur les opérations des comités a été utilisé comme argument à l’appui des demandes d’enquête publique sur les allégations d’ingérence étrangère dans les élections fédérales de 2019 et 2021. Richard Fadden, ancien directeur du SCRS et sous-ministre de la défense nationale, a fait valoir que le travail du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre « sera entravé par la partisanerie », car le comité est « tellement partisan que cela met en doute sa capacité à parvenir à un ensemble de conclusions objectives ».

Le député néodémocrate Peter Julian a également fait référence à l’hyperpartisanerie dans les comités dans sa motion demandant une enquête publique, arguant qu’un examen en comité verrait les élus marquer des points politiques plutôt que de se pencher efficacement sur les allégations d’ingérence étrangère dans les élections.

Pour une politique de coopération

Bien sûr, toute partisanerie n’est pas néfaste en soi. Les partis jouent un rôle important dans la politique canadienne en regroupant les intérêts, en élaborant des politiques et en organisant l’opinion publique. Il n’est pas réaliste d’attendre des députés qu’ils se débarrassent complètement de leur identité partisane au sein des comités.

Cependant, cette tendance à l’hyperpolarisation et à l’hostilité au sein du Parlement empêche les députés de jouer leur rôle essentiel dans la reddition de comptes du gouvernement. Si l’on ajoute à cela l’attention accrue du public et des médias sur les travaux des comités, il est clair que quelque chose doit changer.

Il est urgent d’adopter un style de politique plus coopératif au Canada. Une initiative telle que l’Institut des futurs législateurs, qui vise à sensibiliser les candidats aux élections à l’importance d’un environnement politique plus coopératif, constitue un bon point de départ.

Plutôt que d’être un autre chemin par lequel la discipline de parti s’incruste au Parlement, les comités devraient être un lieu où les députés ont l’occasion de mettre de côté la partisanerie et de travailler ensemble. Le travail important qu’ils accomplissent ne doit pas être éclipsé par la joute partisane et les slogans.

Cet article fait partie du dossier spécial Pour un Meilleur Parlement.

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Cynthia Huo
Cynthia Huo est au baccalauréat spécialisé en sciences politiques à l’Université Western. Twitter @cynthiachuo
Jonathan Malloy
Jonathan Malloy est professeur de sciences politiques à l’Université de Carleton et titulaire de la Chaire Bell sur la démocratie parlementaire canadienne.

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