Vous avez aimé la dernié€re cam- pagne électorale fédérale? Si oui, tant mieux, car on recom- mence bientoÌ‚t, en mode mineur. Sinon, rassurez-vous, le paysage poli- tique n’a pas beaucoup changé et per- sonne n’a intéré‚t aÌ€ relancer la course avant quelque temps. Du coÌ‚té des électeurs, la demande évolue, mais du coÌ‚té des partis, l’offre ne s’ajuste que lentement.
Apré€s les élections, les premiers bilans ont surtout insisté sur le carac- té€re houleux de la campagne, les li- mites des sondages, et l’ambivalence et la propension aÌ€ s’abstenir des électeurs.
L’équipe de l’étude électorale canadienne, par exemple, a mis l’ac- cent sur les mouvements de l’opinion pendant la campagne et sur les hésita- tions des Canadiens. De nombreux électeurs ne se seraient résignés aÌ€ appuyer le Parti libéral de Paul Martin qu’aÌ€ la dernié€re minute. Au Québec, par contre, la bonne performance de Gilles Duceppe lors du débat des chefs expliquerait l’incapacité du Parti libéral aÌ€ rallier les indécis dans les derniers jours.
Claire Durand a également insisté sur les soubresauts de l’opinion, en notant la difficulté des sondeurs aÌ€ en rendre compte. Elle pense aussi que de nombreux électeurs ont opté aÌ€ la dernié€re minute pour le Parti libéral.
Louis Massicotte et les dirigeants du Parti libéral ont, pour leur part, souligné les taux d’abstention élevés dans certaines circonscriptions tradi- tionnellement libérales, présumant que ceux qui s’abstenaient étaient surtout des électeurs libéraux.
Il y a certainement une part de vrai dans ces premié€res analyses du comportement des électeurs. Mais avec un peu de recul, la situation apparaiÌ‚t bien moins mouvante qu’elle l’a sem- blé sur le coup, et finalement plus riche d’enseignements.
En février 2004, au lendemain du rapport de la vérificatrice générale, les intentions de vote en faveur du Parti libéral ont chuté de 10 points, princi- palement au profit du Parti conserva- teur et du Bloc québécois. En janvier, le Parti libéral obtenait 48 p. 100 des appuis populaires, contre 19 p. 100 pour le Parti conservateur et 10 p. 100 pour le Bloc (36 p. 100 au Québec). Un mois et un rapport plus tard, les libéraux étaient tombés aÌ€ 38 p. 100, les conservateurs atteignaient 27 p. 100 et le Bloc montait aÌ€ 43 p. 100 au Québec. Paul Martin a repoussé la date des élec- tions, espéré une embellie, et mené une campagne tré€s négative contre les conservateurs et le Bloc, mais n’a obtenu en bout de ligne que 37 p. 100 des votes. Stephen Harper a joué de prudence et fait naiÌ‚tre des espoirs de changement, dans l’Ouest notam- ment, mais n’a gué€re fait mieux qu’en février avec 29 p. 100 des votes.
Cette campagne mouvementée s’est donc soldée, par rapport aÌ€ février 2004, par une perte de 1 point pour les libéraux et un gain de 2 points pour les conservateurs. Apré€s le rap- port de la vérificatrice générale, les jeux étaient déjaÌ€ aÌ€ peu pré€s faits. Sauf pour le Bloc québécois. On ne l’a pas dit souvent, mais initialement le Bloc n’a pas profité davantage que le Parti conservateur du rapport sur les com- mandites. Mais, aÌ€ la différence de celui-ci, le Bloc a continué de monter dans les intentions de vote, et ce jusqu’aÌ€ la fin de la campagne.
Les bloquistes, il est vrai, ont fait une excellente campagne. Mais, aÌ€ l’ex- ception de quelques dérapages, la cam- pagne des conservateurs n’a pas été si mauvaise. Et le Bloc a également été attaqué par des publicités libérales négatives. La différence est ailleurs, et elle est relativement simple. Le Bloc représente bien les Québécois. Son pro- gramme et ses interventions corres- pondent de pré€s aux valeurs qui dominent au Québec, et ses orienta- tions sociales-démocrates et souverai- nistes plaisent aÌ€ un grand nombre. Tout ce qui manque au Bloc, c’est la capacité de prendre le pouvoir. Les électeurs cherchent donc toujours une bonne raison d’appuyer un parti qu’ils apprécient mais qui est condamné aÌ€ l’opposition. En 2004, ils ont obtenu cette raison, que le Bloc a intégrée explicitement aÌ€ son slogan de cam- pagne. Les conservateurs, par contre, ont encore beaucoup de travail aÌ€ faire pour se rapprocher de l’électeur cana- dien moyen et il n’est pas certain que Stephen Harper soit la personne la mieux placée pour réaliser ce rap- prochement. Tentés par le change- ment, de nombreux Canadiens ont reculé parce que l’offre conservatrice ne correspondait pas aÌ€ leurs attentes.
Au-delaÌ€ des aléas de la campagne, on retrouve donc des tendances lour- des dans le paysage politique canadien. Celles-ci tracent la voie aÌ€ suivre pour les conservateurs (vers le centre), mais aussi pour les libéraux, qui devront se donner des priorités claires dans des domaines de compétence fédérale, sans revenir au patronage et aux comman- dites, ainsi que pour le Bloc québécois, qui devra consolider des acquis qui demeurent encore fragiles et donner un sens plus clair aÌ€ une démarche sou- verainiste qui se situe pour l’instant aÌ€ un horizon relativement lointain.