Au Canada, les enfants et les jeunes sont bien malgré eux la source de l’un des problèmes politiques et sociaux les plus urgents de l’heure : les gouvernements doivent en effet décider si les écoles demeurent ouvertes, alors que le nombre de cas de COVID-19 à travers le pays ne cesse d’augmenter. La réponse à cette question a des conséquences importantes et variées.

Au cours de l’été, les parents, qui avaient désespérément besoin de répit après avoir passé des mois de télétravail en ayant leurs enfants à la maison, ou avoir cessé de travailler pour garder leurs enfants, ont réclamé un retour des élèves à l’école à temps plein en septembre. Toutefois, plusieurs études mettent en garde contre les risques pour la santé et les défis que présente le fait de garder les écoles ouvertes à temps plein quand on observe des hausses constantes des cas de COVID-19. Parents, enseignants et employeurs retiennent leur souffle en attendant de voir qui aura la charge d’éduquer et de prendre soin des enfants et des jeunes, alors que la deuxième vague semble de plus en plus inévitable.

Cela dit, les enfants et les jeunes Canadiens ne sont pas des « problèmes ». Ce sont des êtres humains et ils ont des droits. Or la reconnaissance de ce fait évident a été largement absente du débat jusqu’à présent.

Une approche centrée sur les enfants et les jeunes

Le Canada est l’un des 193 États membres qui a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). Ce document sur les droits de la personne est l’accord international le plus largement approuvé dans le monde et représente un fait historique. En vertu de cette entente, les enfants et les jeunes sont reconnus comme étant des êtres humains et des détenteurs de droits de la personne ; ils ne sont pas de simples bénéficiaires passifs des actions des adultes. Tous les gouvernements doivent donc s’assurer que leurs décisions et leurs gestes sont conformes à la CDE.

Plusieurs mesures mises en œuvre pour prévenir la propagation du coronavirus depuis le début de la pandémie ont eu un impact démesuré sur les enfants et les jeunes. Pendant les premiers mois du confinement, nombre d’entre eux n’avaient pas le même accès Internet que les adultes et ont alors perdu presque tout contact avec leurs amis, alors que les adultes continuaient d’entretenir des relations professionnelles et sociales par le biais de plateformes audiovisuelles et de médias sociaux. Cette rupture sociale a été particulièrement pénible pour les adolescents, pour qui les relations avec les amis ne sont pas un luxe, mais bien une nécessité pour assurer leur bon développement.

En vertu de la CDE, les États sont tenus d’accorder la plus grande importance à l’intérêt supérieur des enfants et des jeunes dans toutes les questions qui les concernent. Or cette obligation ne semble pas avoir été pleinement respectée dans l’élaboration de certaines des politiques mises en place pendant la pandémie. Prenons, par exemple, la phase 2 du plan de réouverture de l’Ontario. Alors que les adultes pouvaient prendre l’apéro sur des terrasses ou se faire manucurer, les autorités maintenaient les restrictions permanentes à l’égard d’activités à faible risque telles que jouer dans les parcs, les terrains de jeux et les terrains de balle. En même temps, plusieurs villes permettaient que les stationnements et les espaces publics soient utilisés par les restaurants et les bars, mais pas pour les activités destinées aux enfants et aux jeunes. Le droit des enfants et des jeunes de jouer, garanti par la CDE et essentiel à leur développement, a continué d’être bafoué.

Le droit à l’éducation

Le droit à l’éducation est intrinsèquement lié à l’intérêt supérieur des enfants et des jeunes, lequel est également garanti par la CDE. Les enfants ont droit à une éducation qui développe leur plein potentiel, y compris le respect de leurs droits en tant que personnes et celui de leur sentiment d’identité, d’affiliation et de socialisation, dans un environnement qui les prépare à aborder tous les aspects de la vie.

Comme l’a fait observer le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies : « L’éducation est à la fois un droit fondamental en soi et une des clefs de l’exercice des autres droits inhérents à la personne humaine. » Un large éventail des droits des enfants est respecté dans les écoles. Ceux-ci comprennent le droit d’être protégé contre la violence, de recevoir des informations, de jouer et d’accéder à un soutien social et à une liberté de pensée.

Notre société se doit de corriger les situations dans les écoles lorsqu’elles donnent lieu à la discrimination, à l’injustice et à l’agression, ce qui, hélas, arrive encore trop souvent. Cependant, les écoles peuvent aussi être un refuge pour les enfants et les jeunes marginalisés. Par exemple, c’est souvent dans les écoles que l’on identifie les enfants à risque de violence ou d’agression, ou les familles qui ont besoin des services sociaux. De nombreux enfants et jeunes handicapés comptent sur leur école pour accéder aux technologies qui les aideront à surmonter les obstacles à la communication dans d’autres aspects de leur vie. Les alliances gais-hétéros offrent aux étudiants LGBTQ2 une sécurité et une confidentialité qui leur permettent de s’affirmer et de se renseigner sur l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre. Le nombre de ménages où l’on parle plus d’une langue grandit sans cesse, et l’école contribue alors à soit intégrer les enfants de milieux de langues officielles en situation minoritaire, soit à contrer l’assimilation linguistique et culturelle dans des communautés majoritaires.

Une obligation et non une question de choix

À l’heure actuelle, les gouvernements doivent prendre des décisions difficiles tout en tenant compte de divers enjeux tels que la santé publique et la durabilité économique.

Cependant, toutes leurs décisions doivent être conformes au droit international des droits de la personne. Cela signifie qu’offrir une éducation de qualité à nos enfants et à nos jeunes n’est pas facultatif et doit constituer plus qu’une priorité gouvernementale parmi tant d’autres. Il s’agit d’une obligation.

Recentrer le débat sur les écoles de nos enfants et de nos jeunes et y voir une question liée aux droits de la personne contribue à dépolitiser la question. Il ne s’agit pas de faire passer les intérêts financiers des autres avant ceux des parents ; c’est simplement ce que les gouvernements doivent faire.

Cela signifie-t-il que les enfants et les jeunes ont le droit de continuer de fréquenter les écoles en personne à temps plein, peu importe les circonstances ? En vertu du droit international des droits de l’homme, tout indique que la CDE n’autorise aucune mesure régressive s’agissant du droit à l’éducation. En d’autres termes, réduire la qualité de l’enseignement dispensé aux enfants et aux jeunes ne peut se faire que dans un nombre très limité de cas. Et tout gouvernement qui veut le faire doit démontrer qu’il a d’abord mûrement évalué toutes les autres solutions possibles et fourni le maximum de ressources pour éviter de violer ce droit à l’éducation.

Tout gouvernement qui veut réduire la qualité de l’enseignement dispensé aux enfants et aux jeunes doit démontrer qu’il a d’abord mûrement évalué toutes les autres solutions et fourni le maximum de ressources pour éviter de violer ce droit à l’éducation.

Par exemple, alors que les cas de COVID-19 se multiplient, les gouvernements doivent sonder tous les autres lieux physiques à leur disposition pour organiser des cours en personne, afin de garantir des classes de petite taille et de se conformer aux politiques de distanciation sociale si l’infrastructure actuelle fait défaut. Des plans d’accommodement doivent être élaborés pour les élèves et les enseignants immunodéprimés. Il faut augmenter la capacité de dépistage pour les enfants qui doivent s’absenter de l’école en attendant le résultat du test. Il faut aussi mettre en œuvre des plans pédagogiques de qualité pour les étudiants qui se trouvent dans la même situation.  Plus généralement, on doit faire passer les droits de nos enfants et de nos jeunes avant toute autre considération. À cet égard, #SchoolsNotBarsqui demande la fermeture de certaines activités commerciales non essentielles avant celle des écoles, est plus qu’un mot-clic accrocheur de tendance sur les réseaux sociaux. Il met en avant les décisions politiques que les gouvernements doivent prendre pour garantir le respect des droits des enfants et des jeunes à l’éducation.

Si l’enseignement en personne devient vraiment impossible pour des raisons de santé publique invoquées par les experts et après avoir examiné toutes ces options, il faut fournir aux enseignants une formation et un soutien pour s’assurer d’offrir aux enfants et aux jeunes une éducation en ligne de qualité et qui est accessible à ceux qui ont des besoins particuliers. Élaborer des programmes d’études de manière improvisée n’est pas acceptable. D’autres mesures, telles que la programmation d’un contenu pédagogique à la télévision ou à la radio, devraient être envisagées. Parallèlement, tous les paliers de gouvernement doivent envisager toutes les options pour inverser la tendance générale à la hausse des cas de COVID-19, afin de permettre aux écoles de rester ouvertes.

Il n’est pas rare que le respect des droits de la personne entraîne des dépenses considérables et crée des obstacles logistiques complexes. Le droit de vote, par exemple, exige la mise en place de 20 000 bureaux de vote et l’embauche de plus de 233 000 responsables de bureaux pour un seul jour d’élection.

Aplatir la courbe de la COVID-19 a exigé un effort collectif de la population, particulièrement de la part des enfants et des jeunes. Les adultes doivent faire à leur tour des efforts similaires pour assurer le respect continu des droits des enfants et des jeunes à une éducation de qualité dispensée de façon sécuritaire durant la pandémie. 

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

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Anne Levesque
Anne Levesque est professeure au Programme de common law français de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Son domaine d’expertise comprend aussi les droits de la personne. Elle est coprésidente de l'Association nationale Femmes et droit.
Mona Paré
Mona Paré est professeure agrégée à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les droits de la personne et des enfants. Elle est une des membres fondatrices du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l'enfant.

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