Lors de la récente élection fédérale, un nombre record de 47 députés issus de minorités visibles ont été élus, ce qui représente une augmentation de 9 % à 14 % depuis les élections de 2011. Et bien que cette proportion reste encore en deçà des 19 % de la population de minorités visibles au Canada, le résultat constitue un bond majeur dans leur représentation politique à Ottawa. Il nous amène à nous questionner sur l’influence de ce segment de la population, toujours en pleine croissance, sur les dynamiques politiques au sein de la fédération canadienne.

À l’heure actuelle, la presque totalité des membres des minorités visibles (96,5 %) est née à l’extérieur du Canada ou née au Canada de parents immigrés. Cette population étant aussi plus jeune que la moyenne canadienne, une forte proportion parmi elle n’a pas vécu les nombreuses querelles constitutionnelles, de la commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1963 au référendum de 1995.

Notre étude intitulée Seeing the Same Canada? Visible Minorities’ Views of the Federation, que vient de publier l’Institut de recherche en politiques publiques, explore les attitudes de ces personnes à l’égard du fonctionnement de la fédération canadienne. Nous nous sommes posé les questions suivantes : les membres des minorités visibles ont-ils la même vision des dynamiques fédérales-provinciales qui ont marqué l’histoire politique canadienne que la population majoritaire de leur  province de résidence ? Embrassent-ils les revendications régionales historiques des provinces où ils vivent, ou expriment-ils un plus grand sentiment de loyauté envers le gouvernement fédéral et les institutions centrales ?

Bien que les relations entre le Québec et le Canada aient été au cœur des conflits ayant trait à la vision de la fédération canadienne, d’autres provinces — tout particulièrement celles de l‘Ouest — ont aussi exprimé de nombreux désaccords au cours de leur histoire quant au fonctionnement des institutions fédérales. Notre étude examine les attitudes des minorités visibles à cet égard au Québec, en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, en comparant trois groupes : les membres des minorités visibles qui sont nés à l’extérieur du Canada, ceux qui sont nés ici et, enfin, la population majoritaire (c’est-à-dire les personnes qui sont nées au Canada mais n’appartiennent pas à une minorité visible).

L’étude est fondée sur les données du Projet sur la diversité provinciale, un sondage réalisé en hiver 2014 auprès de 10 000 répondants. Nous explorons quatre dimensions des dynamiques fédérales-provinciales, soit le sentiment identitaire à l’égard du Canada et de la province de résidence, les conflits régionaux, les relations avec les institutions politiques fédérales et provinciales, et les politiques pancanadiennes (bilinguisme, multiculturalisme, péréquation).

En ce qui concerne les griefs à caractère régional, notre étude fait état de différences de perception importantes entre les personnes nées à l’extérieur du Canada et la population majoritaire dans trois des quatre provinces, l’Ontario constituant l’exception. Dans la mesure où ces revendications sont moins prononcées en Ontario, le résultat n’est pas surprenant. En Alberta et en Colombie-Britannique, les membres des minorités visibles nés à l’étranger n’expriment pas avec la même force que la population majoritaire ces griefs à l’égard du fonctionnement de la fédération. Mais pour ce qui est des autres dimensions examinées, les personnes nées à l’étranger affichent des attitudes généralement semblables à celles du reste de la population. De plus, les membres des minorités visibles nés au Canada dans ces deux provinces ont une vision de la fédération canadienne généralement identique à celle de la population majoritaire. Notre étude démontre donc qu’en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, la croissance rapide de la population de minorités visibles est peu susceptible de mener à long terme à une transformation radicale de la culture politique en matière de fédéralisme et de politiques pancanadiennes.

La réalité québécoise est tout autre. Pour ce qui est de la quasi-totalité des dimensions examinées, nous observons que les membres des minorités visibles sont davantage orientés vers le fédéral que la population majoritaire. De plus, il n’y a pas de différences entre les personnes nées au Canada et celles nées à l’étranger, qu’il s’agisse de leur attachement au Canada et à la province, des griefs à l’égard du fonctionnement de la fédération, de la confiance envers les institutions ou de l’appui aux politiques fédérales. La situation au Québec est donc unique en raison du nombre de clivages entre les minorités visibles et la population majoritaire, de l’ampleur de ces clivages et de leur présence autant chez les membres des minorités visibles nés à l’étranger que ceux nés au pays — ce qui n’est pas le cas dans les deux provinces de l’Ouest.

La réalité québécoise révèle aussi un important clivage linguistique. Ainsi, les membres des minorités visibles qui parlent une autre langue que le français à la maison adhèrent beaucoup plus fortement à une vision nationale du Canada que la population majoritaire, et ils soutiennent cette vision bien davantage que les membres des minorités visibles qui parlent français à la maison. Ces données montrent l’importance que revêt l’intégration linguistique dans le processus de socialisation politique au Québec.

Les Canadiens soucieux de l’unité nationale se réjouiront sans doute des résultats de notre étude, qui indiquent un sentiment de loyauté plus fort à l’égard de la fédération chez les minorités visibles au Québec. On peut cependant se demander quelle sera l’incidence de telles différences sur le climat social et politique au Québec. À ce chapitre, notre étude fournit des arguments à ceux qui considèrent que le Québec doit absolument se doter d’une véritable politique de l’interculturalisme afin de favoriser le rapprochement entre la population majoritaire et les minorités ethnoculturelles.

Une dernière différence importante s’observe partout au Canada entre les membres des minorités visibles, qu’ils soient nés à l’étranger ou au Canada, et la population majoritaire. Dans toutes les provinces, ceux-ci sont beaucoup plus susceptibles d’approuver la politique canadienne de multiculturalisme. Ainsi la croissance de ce segment de la population au Canada viendrait consolider l’appui à cette politique du gouvernement fédéral, qui s’impose de plus en plus, pour de nombreux Canadiens et Canadiennes, comme un pilier de l’identité canadienne.

Antoine Bilodeau
Antoine Bilodeau est professeur agrégé de science politique à l’Université Concordia.
Ailsa Henderson
Ailsa Henderson est professeure de science politique à l’Université d’Edinburgh.
Luc Turgeon
Luc Turgeon est professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.
Stephen E. White
Stephen E. White est professeur adjoint de science politique à l’Université Carleton.

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