Il est incontestable que le plus haut lieu de notre démocratie, l’Assemblée nationale du Québec, doit représenter la composition de sa population dans toute sa diversité. Aujourd’hui, cette institution est composée d’environ 8 % de députés (10 personnes) issus des minorités visibles, comparativement à 13 % dans la population. C’est une avancée par rapport aux élections de 2014, où 4 députés sur 125 étaient des personnes racisées, mais il ne faut pas crier victoire trop vite. Tout comme la représentation des femmes à l’Assemblée nationale, qui est de 43 % aujourd’hui, cette progression demeure fragile, et il est tout à fait possible qu’un recul survienne lors d’une prochaine élection. Il y a plusieurs facteurs qui empêchent les minorités à se présenter aux élections et à devenir députés, notamment les inégalités socioéconomiques et le racisme systémique, les politiques internes des partis politiques et le mode de scrutin.
La politique n’est pas un milieu différent du reste de la société. De la même façon que les minorités visibles sont peu représentées dans les lieux de pouvoir économique, social et culturel, elles sont peu présentes au sein de la classe politique. Et ce qui se passe dans le monde politique est aussi le reflet des difficultés des personnes racisées à se faire une place au sein de l’appareil étatique. Selon un récent rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), les personnes de couleur ne forment pas plus que 6,3 % des effectifs des organismes québécois, et la fonction publique en comptait 12 % en 2019. Presque aucune société d’État, institution du milieu de l’éducation et de la santé, municipalité ou corps policier n’a atteint ses cibles d’embauche en ce qui concerne les minorités visibles. La CDPDJ ne mâche pas ses mots et parle de discrimination systémique, voire de racisme systémique. En plus, il faut aussi que les personnes racisées soient nommées à des postes décisionnels et que des cibles spécifiques à ces lieux de pouvoir soient fixées au sein des ministères et organismes publics.
Selon un récent rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, les personnes de couleur ne forment pas plus que 6,3 % des effectifs des organismes québécois, et la fonction publique en comptait 12 % en 2019.
On pourrait penser que les 15 ans de pouvoir du Parti libéral du Québec auraient permis d’atteindre les objectifs de représentativité, sachant que les communautés culturelles votent en majorité pour ce parti (quoique cette réalité est en voie de changer avec les plus jeunes générations). Le problème est qu’il n’y a aucune contrainte pour que les cibles d’embauche et de représentativité des minorités soient atteintes. Québec solidaire propose de donner plus de pouvoirs à la CDPDJ pour forcer l’État à parvenir à la cible de 18 % de personnes issues de la diversité, en y incluant les personnes blanches dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais. Une des manières d’y arriver est d’accélérer les embauches pour qu’une personne recrutée sur quatre provienne de la diversité. Au-delà de l’atteinte des cibles de recrutement, la CDPDJ recommande que l’environnement de travail soit favorable à la rétention des personnes issues des minorités visibles et demande que l’on prenne en compte les compétences antiracistes et interculturelles dans les pratiques de dotation.
Revenons au monde politique et aux difficultés des personnes racisées à devenir candidates et à réussir à se faire élire à l’Assemblée nationale. D’entrée de jeu, je ne pense pas que les Québécois et Québécoises ne soient pas prêts à voir que plus de gens de la diversité ethnoculturelle occupent des postes de pouvoir. Je garde espoir que ce que j’appelle le « syndrome Obama » n’ait pas migré au Québec. (On se rappellera que l’ancien président des États-Unis devait régulièrement montrer patte blanche en présentant son certificat de naissance.)
Les obstacles pour les minorités au Québec se trouvent ailleurs. D’abord, tout le monde n’est pas égal face aux embûches économiques et sociales. On peut le constater encore durant la pandémie de COVID-19 : les cas sont 2,5 fois plus élevés dans les quartiers défavorisés à forte concentration de personnes immigrantes. Se présenter à des élections demande des efforts et des ressources qu’une personne qui occupe un emploi précaire et vit des inégalités sociales et du racisme systémique ne possède pas nécessairement.
Un autre facteur est celui du positionnement idéologique des partis politiques et des choix qu’ils font, notamment lors de la sélection des candidats et candidates, et des circonscriptions qu’ils leur offrent. Certains partis accordent plus d’importance à la représentation de la diversité ethnoculturelle que d’autres.
Je n’ai aucune gêne à affirmer que si je suis députée aujourd’hui, c’est en grande partie grâce aux mesures paritaires et de représentation de la diversité que Québec solidaire a mises en place.
Je n’ai aucune gêne à affirmer que si je suis députée aujourd’hui, c’est en grande partie grâce aux mesures paritaires et de représentation de la diversité que Québec solidaire a mises en place. Les statuts du parti sont clairs quant à la parité hommes-femmes (ciblant la présence d’au moins 50 % de femmes) et à la représentation des diverses minorités. Son engagement à cet égard ne concerne pas seulement les candidatures aux élections, mais aussi tous ses comités et instances internes. Lors des élections générales de 2018, Québec solidaire a présenté près de 13 % de candidatures de personnes qui disaient faire partie d’une minorité visible (16 personnes sur 125) et près de 18 % de ses candidats et candidates étaient nés à l’étranger. Aujourd’hui, le caucus solidaire compte 20 % de députés appartenant à une minorité visible (2 personnes sur 10), et je suis fière d’en composer la moitié ! Force est de constater que les politiques internes de Québec solidaire donnent des résultats.
Mais il n’est pas simple d’avoir de telles politiques avec le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Il s’agit d’un mode de scrutin aussi désuet qu’inefficace en matière de représentation. Le gouvernement de la CAQ a déposé un projet de loi pour le réformer et y ajouter un peu plus de proportionnalité. Les études ont démontré que les modèles plus proportionnels, qui incluent l’usage de listes, favorisent grandement la représentation ethnoculturelle. Cela est vrai surtout s’ils sont accompagnés de mesures appropriées, telles que la bonification du financement des partis politiques dont les candidatures reflètent la présence démographique des minorités. Reste à savoir quel avenir aura le projet de loi sur la réforme du mode de scrutin. La pandémie et le manque d’empressement du gouvernement à l’adopter auront-ils raison de cette réforme maintes fois remise aux calendes grecques ?
Les recherches sont très nombreuses pour cerner les obstacles sociaux, économiques, politiques et culturels à la représentation des minorités visibles dans notre démocratie. Les solutions pour briser ces barrières sont connues, et c’est leur addition qui fera une différence. En 2021, nous ne sommes plus à l’étape de la sensibilisation. La société québécoise est suffisamment mature pour comprendre l’importance et les bienfaits de la représentation de ses minorités, comme de ses membres en général, dans tous les lieux.
Mon expérience personnelle me montre à quel point le fait que je sois une femme députée d’origine palestinienne a un impact positif auprès des communautés arabes, et plus particulièrement des jeunes filles. Je suis régulièrement interpellée par de jeunes femmes maghrébines et du Moyen-Orient sur les réseaux sociaux ou sollicitée pour participer à des événements (lorsque c’était possible avant la pandémie). Elles me présentent comme un modèle de réussite et, à mon grand étonnement mêlé de plaisir, je sens toute la fierté que cela leur procure. Comme si le fait « qu’une des leurs » ait accédée à un lieu de pouvoir augmentait leur sentiment d’appartenance à leur société d’accueil, puisque tout devient donc possible pour elles. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la représentativité pour ces jeunes. Si la population ne se reconnaît pas dans la classe politique, son désengagement et son cynisme à l’égard du politique augmentent, et c’est principalement le cas chez les jeunes.
Cela dit, les vertus de la diversité en politique ne se limitent pas à la représentation. Réduire l’homogénéité du monde politique, c’est l’enrichir d’une variété de visions du monde et d’expériences différentes. Cela permet aussi de réduire les angles morts sur des enjeux de société importants, comme le rappellent David Robichaud et Patrick Turmel dans un récent ouvrage.
Abattre les barrières à la présence des minorités visibles en politique permet une plus grande cohésion sociale, une démocratie plus saine et donne de l’espoir aux plus jeunes générations.
Cet article fait partie du dossier Identifier les obstacles à l’égalité raciale au Canada.