Le 22 mars 2012, mes amis et moi nous dirigions vers le square Dorchester pour participer à ce qui sera une des plus grandes manifestations de l’histoire du Québec, celle contre la hausse des frais de scolarité. Pour un jeune étudiant en science politique comme moi, c’était énorme : je vivais un moment politique, je plongeais dans l’action. Cinq ans plus tard, la poussière est retombée, mais cette grande mobilisation citoyenne a laissé des traces et suscite encore des réflexions.

La défense des valeurs

Ma génération n’est pas individualiste comme certains aiment le prétendre : la force qui nous animait pendant le Printemps érable était collective. Peut-être s’agit-il d’une vision romantique, mais nous avions l’impression de faire partie de quelque chose qui nous dépassait. Nous nous sentions forts et, notre victoire en témoigne, nous étions forts. Et puis, nous avons été l’étincelle qui a mis en branle une mobilisation citoyenne beaucoup plus large, notamment avec le mouvement des casseroles et les manifestations familiales où bambins et aînés se côtoyaient.

Nous ne livrions pas tant un combat pour nous — la hausse qui s’échelonnait sur cinq ans n’affectait à peu près pas ceux qui avaient déjà entamé leurs études universitaires —, mais nous pensions aux jeunes qui allaient venir après nous. Il n’était qu’équitable que les prochaines générations puissent aussi bénéficier de droits de scolarité relativement bas.

Plusieurs croient encore que ma génération s’est élevée contre un chiffre, soit une augmentation des droits de scolarité de 1 625 dollars échelonnée sur cinq ans. Au contraire, nous défendions le principe derrière le nombre : l’accessibilité aux études supérieures pour tous.

Nous tenions à l’idée que l’éducation est l’outil central pour se démarquer sur un marché de l’emploi hautement compétitif et de plus en plus ingrat. Ne nous le cachons pas : les emplois permanents et bien rémunérés avec un diplôme d’études secondaires datent d’une autre époque. Désormais, une des meilleures garanties de réussite est l’obtention d’un diplôme universitaire.

C’est d’ailleurs ce qu’affirme sans détour une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques publiée récemment. En 1976, 50 % des gens de la classe moyenne ne détenaient aucun diplôme, tandis qu’aujourd’hui, 55 % de la classe moyenne sont des diplômés universitaires. Parallèlement, seulement 15 % des détenteurs d’un diplôme universitaire se classent parmi les personnes à faible revenu. L’adage dit donc vrai : « s’instruire, c’est s’enrichir ».

Mais les études universitaires ne font pas qu’enrichir les individus, elles enrichissent la société toute entière puisqu’elles réduisent les risques liés à une perte d’emploi. Le taux de chômage au Québec se situe actuellement à 7 %, mais il est de 4,6 % chez les diplômés universitaires et de 12,3 % parmi ceux qui n’ont pas de diplôme. D’ailleurs, les bacheliers ne représentent que 0,53 % des bénéficiaires de l’aide sociale. L’impact de la scolarité sur les finances publiques n’est donc pas négligeable : elle permet de réduire les dépenses de l’État à long terme.

Mieux encore, les diplômés universitaires deviennent d’importants contributeurs aux revenus de l’État, car leur salaire est environ deux fois plus élevé que celui des personnes sans diplôme. Plus d’impôts, plus de taxes. Au bout du compte, en plus d’être viable, le maintien de droits de scolarité abordables est un geste de solidarité sociale.

L’accès aux études supérieures

On peut aussi se demander si des droits de scolarité peu élevés sont le meilleur moyen de garantir l’accès aux études supérieures. Récemment, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick ont annoncé la gratuité scolaire pour les étudiants de familles à faible revenu, puisque ce sont les étudiants de première génération — qui proviennent souvent de ménages moins bien nantis — qu’il faut soutenir afin de favoriser la mobilité sociale.

Le premier élément à considérer : les politiques universelles sont plus consensuelles et ont tendance à obtenir un soutien plus large au sein de la population. Compte tenu que la classe moyenne se trouve à payer la plus grande partie de la facture, il apparaît logique qu’elle en bénéficie au même titre. De cette façon, on assure aussi la pérennité de cette politique.

Le deuxième élément dont il faut tenir compte : une politique universelle n’est pas irréconciliable avec une politique ciblée. Lorsqu’on parle de modulation des coûts d’une politique publique, on a tendance à moduler « vers le haut » comme avec les frais de garde au Québec. Or, pourquoi ne pas aller dans l’autre sens ? Garder le niveau de droits de scolarité actuel et utiliser le programme de prêts et bourses pour offrir la gratuité scolaire effective aux jeunes provenant de familles à faible revenu ? De cette façon, on se rapproche d’un réel accès universel aux études supérieures.

Dans tous les cas, le but du mouvement étudiant était d’annuler une hausse abusive des droits de scolarité. Il reste du chemin à faire maintenant, et le débat est ouvert.

La judiciarisation

Le Printemps érable nous a beaucoup appris sur les débats collectifs au Québec. Un des premiers réflexes — et c’est une tendance des dernières décennies — a été de judiciariser le conflit. Ce fut un gâchis !

Un exemple seulement : sous le coup d’une injonction qui devait assurer la tenue des cours, l’Université de Montréal avait engagé des services de sécurité privés pour faire respecter le décret. Les manifestations continuaient, et des policiers et gardes de sécurité étaient présents jusqu’à dans les salles de cours, ce qui est inacceptable dans un lieu de liberté de pensée.

La judiciarisation a amené son pendant : le pouvoir coercitif de l’État.  En raison de l’injonction, les étudiants qui bloquaient les cours étaient passibles d’amendes salées et d’un casier judiciaire. Plusieurs ont été paralysés par cette utilisation de la peur et de la menace. Tous, nous sentions soudainement une main invisible qui nous forçait à aller contre nos convictions, contre ce qu’on considérait être le bien commun. Nous étions en parfaite opposition avec ceux qui, par la demande d’injonction, avaient visé à renverser les décisions collectives des associations étudiantes. Heureusement, cette situation n’a pas perduré, puisque la session a été suspendue quelques jours plus tard. Le recours au système de justice pour régler une question politique a ainsi nui au climat dans les universités, en plus d’envenimer la situation.

Nous avions aussi noté les limites du pouvoir de l’État, étant donné que les injonctions n’ont pas été respectées. Comme quoi il faut se soucier de la légitimité d’une loi ou d’un règlement avant de l’imposer.

Notre démocratie

Les injonctions opposaient un droit individuel à la volonté collective des associations étudiantes. La démocratie n’est pourtant pas le simple acte de voter une fois aux quatre ans : elle est un processus. C’est le moyen par lequel les citoyens se gouvernent. Que la démocratie soit associative, syndicale, étudiante, entrepreneuriale, nous devons l’entretenir, la chérir même. Se contenter d’un vote aux quatre ans, c’est donner un pouvoir prépondérant aux élus et se déresponsabiliser en tant que citoyen. Bien que plusieurs considéraient le mouvement étudiant comme antidémocratique, il était l’incarnation même de citoyens engagés qui participent activement à la vie démocratique de leur société.

Au bout du compte, le mouvement étudiant a su être complémentaire. La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante, mieux connue sous son nom de CLASSE, avait une excellente capacité de mobilisation, aidant ainsi à bâtir un rapport de force, tandis que l’ancrage institutionnel de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) était important pour élargir les appuis auprès de la société civile et des élus.

Aujourd’hui, les « carrés rouges » d’antan — et je suis du nombre — peuvent être fiers de ce qu’ils ont accompli. Et j’espère avec eux que les prochaines générations sauront se lever pour conserver nos acquis.

Photo: Students demonstrate in Montreal, Thursday, March 31, 2011, in opposition to provincial tuition fee hikes. THE CANADIAN PRESS IMAGES/Graham Hughes


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David Deault-Picard
David Deault-Picard est conseiller au contenu et à la recherche dans un cabinet de relations publiques. Ancien assistant de recherche à l’IRPP, il est détenteur d'une maîtrise en science politique de l’Université de Montréal. Ses champs d'intérêt englobent les politiques sociales et les élections.

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