Premier de deux textes sur le secteur électrique du Québec et la transition énergétique

Le marché québécois de l’électricité doit s’ouvrir

Le Québec est gourmand en électricité. Notre consommation, d’environ 200 TWh par an, représente 40 % de la consommation canadienne d’électricité, alors que notre province représente moins de 23 % de population.

Malgré cette gloutonnerie, il faudrait encore au moins 100 TWh additionnels d’électricité « propre » d’ici 2050 pour réussir la transition énergétique, selon le plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec. L’analyse la plus élaborée énonce même un besoin supplémentaire de 150 TWh d’ici 2050. C’est énorme ! Comment intégrer harmonieusement de 10 à 15 fois plus d’éolien et beaucoup de solaire au Québec, même si ces quantités varieront en fonction des choix d’efficacité énergétique, de technologies et de notre engagement dans la protection du climat ?

Quand on se rappelle tous les débats entourant le projet La Romaine, pour 8 TWh ajoutés en dix ans, et les multiples vagues de contestations pour le déploiement des parcs éoliens, produisant maintenant 10 TWh annuellement, on peut douter que le Québec soit prêt pour une déferlante de projets éoliens, solaires et peut-être hydroélectriques au cours des 30 prochaines années.

Un gros contrat de réduction d’émissions

Pourquoi la transition énergétique doit-elle réussir ? Parce qu’on doit réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Québec vise à abaisser les siennes d’environ 40 % pour 2030, et de plus de 80 % pour 2050. Comme la décarbonation passera en grande partie par l’électrification, une réforme du système électrique actuel sera essentielle à cette réussite.

Ainsi, même si l’électricité ne répondra pas à tous nos besoins énergétiques et que les autres énergies renouvelables (biocarburants, biomasse, hydrogène vert) seront aussi importantes, deux changements seront inévitables. D’abord, un déploiement massif de capacité de production électrique renouvelable et, aussi, des réseaux électriques plus interactifs. Le recours à plus d’électricité verte est inévitable puisque plus de 50 % de la consommation finale d’énergie au Québec (et 70 % au Canada) est assurée par le pétrole et le gaz naturel. Il faut donc trouver des substituts. Plus d’interactivité dans le réseau électrique est aussi nécessaire, pour pouvoir mieux équilibrer l’offre et la demande en énergie, pour minimiser le stockage.

Ces constats, qui peuvent être assez nouveaux pour la majorité de la population, sont connus de longue date dans le monde de l’énergie et fort bien documentés. Nos systèmes électriques, en particulier au Québec, ne sont cependant pas adaptés au défi de la production – en particulier du point de vue de la gouvernance – ni à celui de l’interactivité.

Une gouvernance énergétique à quatre têtes

Au cœur de l’enjeu de l’augmentation de la production se trouve la vision morcelée de la transition énergétique et de la lutte contre les changements climatiques. C’est en effet le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) qui planifie la décarbonation, notamment avec son Bureau d’électrification et de changements climatiques (créé en 2020). Mais c’est le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) qui est responsable de la politique énergétique et du secteur électrique.

De plus, au Québec, le secteur électrique est largement dominé par Hydro-Québec. Même si la société d’État relève du MERN, elle dispose dans les faits de bien plus de capacité d’analyse et de planification que le ministère dont elle dépend. C’est un peu comme si la tête dirigeante ne disposait pas de tout le cerveau nécessaire pour effectuer la tâche.

Pire, les initiatives de développement économique poussées par le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) – notamment pour valoriser l’électricité renouvelable du Québec dans des industries – ajoutent des pressions sur le secteur électrique qui sont hors du contrôle direct d’Hydro-Québec, du MERN et du MELCC.

En somme, la gouvernance de la transition énergétique au Québec est comme un monstre à quatre têtes qu’on envoie au combat contre les émissions de GES, mais sans vraiment savoir à quels problèmes – ou ennemis – s’attaquer.

Les acteurs pouvant produire de l’énergie renouvelable au Québec ne manquent cependant pas. Au premier chef, on retrouve Hydro-Québec, avec son expertise incomparable en production, transport et distribution d’électricité. Elle est accompagnée par un grand nombre de producteurs indépendants qui rayonnent ici et ailleurs : Boralex, Innergex, Evolugen, Kruger Énergie, pour ne nommer que quatre d’entre eux. Tous ont une grande expérience dans le développement de nouvelles sources de production d’électricité renouvelable, et pourraient faire plus.

Mais en l’absence d’une vision à long terme et d’un cadre d’investissement soutenant, il est très ardu pour ces producteurs indépendants d’ajouter de la capacité à la production actuelle. De plus, on leur interdit de produire et de vendre leur production directement aux clients. Hydro-Québec détient en effet un monopole dans la vente d’électricité, de telle sorte qu’un producteur indépendant et des consommateurs intéressés ne peuvent légalement s’entendre pour trouver des solutions ensemble.

Dans un contexte où des solutions solaires et éoliennes (petites et grandes) sont de plus en plus compétitives et modulables, cette rigidité légale est de nature à freiner le déploiement de notre capacité d’énergie renouvelable. Ce protectionnisme qui favorise Hydro-Québec est d’autant plus dommageable que notre société d’État ne manque pas de défis : elle a un généreux parc de production hydroélectrique à gérer, développer et rénover (plusieurs grands barrages approchent de leur fin de vie et vont devoir être remis à neuf), en plus de tout un réseau de transport et de distribution à moderniser. La tarte est trop grande pour ne pas ouvrir le marché de la production à d’autres.

Augmenter l’interactivité

Aujourd’hui, à peu près personne ne se pose la question de savoir si c’est le bon moment pour consommer de l’électricité. La production éolienne et solaire étant intermittente, il faudra être plus judicieux sur les moments où l’on utilise cette électricité. On devra donc agir en amont et en aval, en ayant une demande qui s’ajuste davantage à la disponibilité du vent et du soleil, on évitera de devoir surcalibrer les infrastructures de stockage qui seraient nécessaires pour répondre à une demande non gérée.

C’est difficile dans le contexte actuel. À l’exception d’une dizaine de distributeurs municipaux et coopératifs, le secteur de la distribution d’électricité est presque entièrement sous le contrôle d’Hydro-Québec. Il n’a cependant pas évolué au rythme des développements technologiques et des défis de la décarbonation. Les consommateurs sont encore « au bout du fil électrique », recevant passivement leur électricité d’Hydro-Québec sans avoir à se soucier du moment ou du niveau de leur consommation.

En 2022, cette distribution à sens unique a de moins en moins de sens. La technologie permet aujourd’hui aux consommateurs de devenir eux-mêmes des producteurs décentralisés – par exemple à l’aide de panneaux solaires –, mais aussi de stocker de l’énergie (dans des batteries, dans leur véhicule électrique, même dans leur chauffe-eau!) et de l’échanger avec d’autres consommateurs qui pourraient en avoir besoin.

Rester figé dans les façons de faire du 20e siècle ferait exploser les coûts du réseau de distribution, parce qu’il faudrait alors surcalibrer sa capacité, en raison de la demande croissante liée à l’électrification. Ce gaspillage de ressources est évitable.

L’interactivité entre les consommateurs a le potentiel d’augmenter de manière importante la productivité des réseaux de distribution, mais aussi de minimiser les coûts d’intégration des nouvelles capacités de production éolienne et solaire. Les balbutiements de Hilo – un service de maison intelligente visant à réduire la consommation d’énergie – seront très loin d’être suffisants, même en relevant le défi d’une « centrale virtuelle », qu’on compte créer avec les économies d’énergie des clients.

Les atouts sont là, il manque les réformes

Autant pour faire face au défi de la croissance des capacités de production que pour relever celui de la transformation de la relation entre les fournisseurs d’énergie et les clients, le Québec n’est pas prêt. Il a tous les atouts pour réussir, mais il doit pour cela accepter de faire des réformes importantes dans son secteur électrique.

Le texte suivant présente ces deux réformes importantes.

Le marché québécois de l’électricité doit s’ouvrir

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Pierre-Olivier Pineau
Pierre-Olivier Pineau is a professor and chair in energy sector management at HEC Montréal.
Sylvain Audette
Sylvain Audette est professeur invité au Département de marketing de HEC Montréal, expert en énergie et membre associé de la Chaire de gestion du secteur de l’Énergie.

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