Un peu avant Noël, le ministre Jean Boulet, qui est à la fois ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, et aussi ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, a émis un gazouillis liant la montée des cas du variant Omicron au Québec aux demandeurs d’asile arrivant par le chemin Roxham, en Estrie :

« Le gouvernement fédéral doit prendre ses responsabilités. Il faut fermer le chemin #Roxham. Nous devons tous nous mobiliser devant la remontée des cas de #COVID19 #Ominicron [sic] afin de ne pas surcharger notre système de santé! #polqc».

La publication a notamment été reprise par la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault, et d’autres élus ou membres du personnel politique de la Coalition avenir Québec (CAQ).

En plus de propager une fausse inférence selon laquelle les demandeurs d’asile – et, plus largement, les immigrants – sont à la source de la nouvelle vague de COVID-19 que traverse le Québec, ces propos donnent peut-être un avant-goût des stratégies caquistes de rejet du blâme auxquelles on peut s’attendre en cette année électorale.

Bien que cette stratégie fasse partie de la boite à outils de tous les acteurs politiques, le gazouillis du ministre Boulet illustre comment, lorsque la situation se détériore sur le terrain, le gouvernement de la CAQ aime bien mettre la faute sur deux boucs émissaires : les immigrants et le gouvernement fédéral.

Les immigrants : vieux comme le monde

L’utilisation des immigrants comme boucs émissaires, de même que leur représentation comme étant à la source de crises sanitaires, sociales, économiques et linguistiques, sont des constantes de l’histoire humaine. Dès le début de la crise de la COVID-19, des chefs d’état à travers le monde ont utilisé de telles stratégies à saveur xénophobe. Ce fut le cas aux États-Unis lorsqu’on a parlé du « virus chinois », par exemple.

Au Québec, on doit reconnaître que les élus de la CAQ n’ont pas véhiculé un tel discours pendant les premières vagues de la pandémie. La déclaration du ministre Boulet est-elle donc une aberration ? Un simple égarement ? La politisation stratégique et répétée des questions migratoires par le gouvernement caquiste permet d’en douter.

Depuis son virage nationaliste en 2015, le parti a soutenu des positions plus restrictives que ses adversaires en matière d’immigration, une stratégie qui a réussi à faire des niveaux d’immigration la question de l’urne lors des élections de 2018. Après son assermentation, le gouvernement de François Legault a continué à mobiliser les enjeux migratoires et ceux liés, à tort ou à raison, aux questions identitaires et linguistiques, afin de consolider sa base électorale.

Si le geste de M. Boulet n’était pas prémédité, il s’inscrit à tout le moins dans la continuité d’une certaine rhétorique de son parti. En tous les cas, son gazouillis n’a pas été retiré à ce jour, malgré les centaines de commentaires négatifs qu’il a générés.

La faute d’Ottawa

L’autre bouc émissaire commode pour la CAQ, c’est le gouvernement fédéral. Ça n’a rien de nouveau dans le contexte du fédéralisme canadien, où les gouvernements provinciaux ont tendance à blâmer Ottawa pour leurs problèmes, même lorsque la responsabilité du fédéral est loin d’être démontrée.

Par contre, puisque l’immigration est maintenant une compétence partagée et que la vision de la CAQ et celle du Parti libéral du Canada sont aux antipodes en ce qui a trait à l’immigration et la diversité culturelle, la critique caquiste des politiques du gouvernement Trudeau est presque inévitable.

Elle l’est encore plus lorsqu’elle concerne le fameux chemin Roxham, qui est devenu le symbole d’une « menace » migratoire. Cependant, la nouvelle entente sur les tiers pays sûrs qu’Ottawa vient de signer avec son homologue américain pour « colmater cette brèche à la frontière » pourrait priver le gouvernement Legault d’une de ses sources habituelles de critique envers le fédéral.

Il y aura sans doute d’autres occasions de critiquer Ottawa, sur d’autres enjeux. Comme c’est le cas pour les immigrants, le gouvernement fédéral est en soi lui aussi considéré par de nombreux caquistes – et bien des Québécois – comme une menace potentielle envers les intérêts et les valeurs du Québec.

Un jeu dangereux pour faire oublier le manque de préparation

S’il est presque devenu une tradition pour chaque gouvernement québécois de critiquer le gouvernement fédéral, les propos du ministre Boulet en ce qui a trait à l’immigration sont particulièrement inquiétants.

Qu’elle ait été planifiée ou non, cette stratégie de rejeter de blâme sur les demandeurs d’asile reste dangereuse, puisqu’elle propage de fausses informations. Il n’y a en effet aucune preuve que les demandeurs d’asile soient responsables, même de façon partielle, de la hausse dramatique des cas de COVID-19 au Québec. En Amérique, en Europe et ailleurs, l’arrivée du variant Omicron est d’abord le fait de voyageurs détenant un passeport et arrivés de façon régulière, comme ce fut le cas pour la propagation des variants précédents ou encore d’autres virus au potentiel pandémique, comme le SRAS.

Le gouvernement Legault peut bien tenter de blâmer les migrants pour la venue d’Omicron, mais la réalité est qu’il s’y est mal préparé, malgré les nombreux signes avant-coureurs en Europe et ailleurs dans le monde.

En matière d’immigration, la stratégie récurrente de rejet du blâme de la CAQ risque aussi d’avoir des effets durables sur la teneur des débats publics. Les recherches sur la politisation de l’immigration ont documenté de façon abondante que les prises de position comme celles du ministre Boulet contribuent à polariser les discours de tous les partis politiques, ce qui peut modifier grandement l’offre politique disponible.

La réaction de Paul Saint-Pierre Plamondon, chef du Parti Québécois, l’illustre bien : plutôt que de dénoncer l’inférence du ministre, M. St-Pierre Plamondon a renchéri en affirmant que seule l’indépendance permettrait au Québec de contrôler ses frontières.  Ce faisant, il se trouvait à légitimer les propos du ministre Boulet, même s’ils ne s’appuient sur aucune base factuelle.

Les travaux sur les stratégies partisanes de politisation montrent aussi comment la diffusion par les élus d’informations incorrectes sur l’immigration élargit la fenêtre des discours légitimes et peut valider des positions radicales. Cela contribue à la désinformation, et ultimement à l’érosion de la confiance des citoyens envers l’État.

À court terme, une telle stratégie, avant tout électoraliste, peut sembler une bonne façon pour la CAQ de s’assurer de remporter un nouveau mandat majoritaire en octobre 2022. Il faut pourtant s’inquiéter des conséquences à long terme sur la vie politique et la société québécoises.

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Mireille Paquet
Mireille Paquet is an associate professor in the department of political science and holder of the Research Chair on the Politics of Immigration at Concordia University. Twitter @Mireille_Paquet
Daniel Béland
Daniel Béland is director of the McGill Institute for the Study of Canada and James McGill professor of political science at McGill University. Twitter @danielbeland and LinkedIn.

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