De toute leur histoire, c’est depuis 1989 que les Forces canadiennes (FC) ont été impliquées dans le plus grand nombre de missions, et les conflits dans lesquels elles interviennent sont maintenant beaucoup plus complexes, en termes de situation politique, d’historique, de relations belligérants / intervenants et d’imputabilité. Sans compter que les déploiements se font maintenant souvent pendant que la guerre fait encore rage ce qui ajoute encore un degré de complexité et d’imprévisibilité à la situation.

En même temps, la gouvernance des institutions publiques, privées et communautaires connaît des modifications constantes, et de nouvelles théories viennent remettre en question notre façon de faire les choses. Il s’agit en quelque sorte d’une évolution dans l’art de gouverner. Ces nouveaux préceptes influenceront certainement les opérations militaires, et il peut être utile de voir à quel point ils peuvent s’appliquer à celles-ci. En élevant le débat en matière de gouvernance, il y a espoir de mieux préparer notre état-major à diriger des opérations qui se déroulent dans des contextes entièrement nouveaux. Il y a sans doute lieu de revoir la formation de nos officiers supérieurs afin de nous assurer qu’ils reçoivent la formation nécessaire pour évaluer et diriger les opérations sous ce nouvel angle.

La gouvernance implique la façon dont toute organisation se guide. En réaction à la mondialisation, aux pressions économiques et sociales causées par le manque de ressources, la transformation du milieu de l’information et la contestation de l’autorité, on a assisté dans les années 1990 à un ajustement dans les méthodes de gestion publique et à une transformation du contexte de la gouvernance publique. Ces ajustements se sont traduits par une réduction ou tout au moins par la modification du rôle de l’État et par une culture plus individualiste au sein des pays industrialisés.

Ces nouveaux paramètres de gouvernance ont amené une certaine décentralisation et favorisé l’adoption de principes de subsidiarité. Dès lors, les citoyens ont été encouragés à prendre en main leurs responsabilités ; les institutions n’intervenant qu’en second lieu, et au besoin seulement. Par ailleurs, ce sont d’abord les institutions situées le plus près des citoyens qui agissent. C’est dire que les institutions supérieures” ”les gouvernements locaux, régionaux, provinciaux et finalement fédéral” ”ne s’engagent tour à tour que si celles du niveau inférieur n’ont pu agir à leur niveau, et qu’elles seules peuvent effectivement intervenir.

Cette nouvelle méthode est aussi une réaction à la plus grande imputabilité des institutions, à l’incertitude quant à leurs responsabilités et mandats, et à l’émergence d’un contexte de gestion où les dirigeants sont tenus de faire participer leurs employés à la prise de décision. Les dirigeants sont en quelque sorte devenus des « animateurs » plutôt que des leaders hiérarchiques. En outre, les organismes sont dorénavant tenus de développer la faculté « d’apprendre dans l’action » en misant sur des réseaux transversaux pour faciliter l’écoute et la coordination.

Beaucoup de ces conditions affectent la gouvernance des FC, aussi bien dans les missions opérationnelles que dans les garnisons. Puisque la guerre est la forme la plus aigu a « de crise que l’on puisse trouver, il ne faut pas s’étonner de ce que plusieurs des caractéristiques décrites plus haut se manifestent en temps de guerre : contexte incertain, implication de tous les intervenants, importance d’avoir des dirigeants éclairés prêts à « apprendre dans l’action ».

En somme, dans les missions opérationnelles actuelles, dites « opérations autres que la guerre », il importe que la gouvernance militaire s’ajuste et mette en pratique les nouveaux préceptes. Cela semble d’autant plus crucial dans les cas où il s’agit pour les forces armées de gouverner un territoire et d’en permettre la reconstruction, tout en formant les autorités locales pour pouvoir leur remettre dès que possible l’administration de leur pays. Ces nouvelles règles de gouvernance seront discutées pour montrer la nécessité d’en prendre acte, une nécessité d’autant plus urgente pour les officiers d’état-major impliqués dans ce type de missions.

Avant d’aller plus avant, il importe de préciser que toute opération militaire se déroule à trois niveaux : stratégique, opérationnel, et tactique. « Chacun est défini en fonction de la nature et de la raison d’être des opérations militaires en cours et des objectifs visés dans les circonstances. Lesdits niveaux n’ont rien à voir avec la taille des forces en présence ou le palier de commandement en cause. Même si les niveaux sont hiérarchisés, il n’y a pas de démarcations claires et il y a souvent chevauchement… » (Publication des Forces canadiennes (PFC) 300 : L’Armée de terre du Canada : nous protégeons nos foyers et nos droits, 1 avril 1998, p. 86.)

Le niveau stratégique est celui où les objectifs, habituellement nationaux, sont établis. À ce niveau, le rôle de l’officier militaire est de conseiller les autorités politiques / diplomatiques sur les grandes orientations à privilégier. Le niveau tactique est celui du terrain où les combats sont livrés. Les engagements spécifiques impliquant des éléments de troupes et des unités en opérations ponctuelles relèvent de ce niveau. Les officiers au niveau tactique sont appelés à commander les troupes et à réussir les engagements, c’est dire qu’ils doivent mener les opérations avec succès.

Entre ces deux extrémités, on retrouve le niveau opérationnel. Ce niveau fait le lien entre le niveau tactique et stratégique ; on y développe les campagnes d’actions tactiques ayant pour but de rencontrer les objectifs stratégiques ou nationaux. Les officiers, dans ce contexte, doivent posséder l’habileté de traduire les orientations stratégiques en un enchaînement d’actions spécifiques menant à l’accomplissement des buts élaborés au niveau stratégique, ce qui implique analyse, coordination et synchronisation. On donne souvent à cette habileté le nom « d’art opérationnel ». Certains maintiennent que le niveau opérationnel, étant donné son rôle de liaison et de coordination, est le niveau le plus important dans toute la panoplie des opérations.

Parfois, une action tactique peut avoir des conséquences stratégiques. Par exemple, un peloton (petite unité tactique) peut être engagé, sur le terrain, dans une action qui constitue le maillon critique de la stratégie nationale.

Dans une mission de l’ONU ou de l’OTAN, le Conseil de sécurité ou du Conseil de l’Atlantique nord équivaut au niveau stratégique, le commandement (grand quartier général) de la mission au niveau opérationnel, et les troupes sur le terrain au niveau tactique. Ces missions, parce qu’elles sont souvent de nature politique et économique, possèdent habituellement plusieurs caractéristiques de la nouvelle gouvernance, ce qui n’est pas le cas des missions de guerre qui sont normalement unidimensionnelles.

Les officiers militaires sont généralement bien entraînés pour agir au niveau tactique où le contexte est plus rigide, l’imputabilité est hiérarchique, l’autorité directe et claire. De par sa nature, l’entraînement tactique est plus facile à organiser et requiert moins de ressources que l’entraînement pour les postes de haut commandement des niveaux opérationnel et stratégique. Au fur et à mesure que le cadre d’intervention devient plus flou, moins clair et moins précis, que les officiers doivent traiter avec des données moins spécifiques, l’entraînement de style « projet », propre au niveau tactique, ne convient plus. Afin d’explorer cette idée plus avant, de voir en quoi les nouveaux principes de gouvernance pourraient être mis à profit par nos officiers supérieurs, j’utiliserai un cas d’espèce, la Mission de Vérification du Kosovo (MKV), pour montrer en quoi les principales caractéristiques de ce type d’intervention diffèrent de celles des opérations militaires traditionnelles.

La première caractéristique est le mandat. Un mandat peut se résumer à la mission donnée, aux objectifs, aux attentes. Au niveau tactique, le mandat d’une organisation est habituellement précis. Du moins, le responsable s’efforce toujours de donner des directives claires, qui répondront à toutes les questions de l’officier responsable. Par exemple, dans une opération de guerre, un chef de peloton pourrait recevoir la tâche de déplacer ses forces vers un point donné, en détruisant tout élément ennemi rencontré sur sa route. Un général commandant une division se verra donné un objectif clair, ainsi que, normalement, les moyens adéquats pour accomplir sa mission.

Lors d’opérations militaires de maintien de la paix, les principes sont les mêmes, mais souvent, il devient difficile de donner des consignes claires, plus encore si l’élément concerné est de grande taille. Par exemple, un peloton recevra la mission de patrouiller un certain secteur ou d’occuper un poste d’observation. Au niveau opérationnel, le mandat peut être bien défini, surtout si la mission est stable. Par exemple, à Chypre, la mission confiée à la UNFICYP était claire. Elle devait empêcher tout changement au statu quo sur le terrain, pour permettre aux autorités politiques de trouver une solution permanente au conflit. Un mandat aussi clair n’est pas toujours possible, surtout dans les contextes où les FC sont actuellement déployés.

Sous l’égide de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (l’OSCE), la MVK avait pour mandat de vérifier l’application des paramètres de l’accord du 16 octobre 1998 entre la République fédérale de la Yougoslavie (RFY) et l’OSCE en matière inter alia de niveaux de troupes, de maintien des droits de la personne et de livraison de l’aide humanitaire. Quoique ce mandat puisse sembler précis, il ne l’était pas vraiment. Il n’y avait pas de document de stratégie qui expliquait comment les officiers supérieurs voyaient l’accomplissement de la mission, ni de normes comparatives à appliquer pour la vérification proprement dite.

Lorsque la MVK fut retirée par l’OSCE avant le début des frappes aériennes de l’OTAN en mars 1999, une vague humaine de réfugiés Kosovar Albanais a commencé à déferler sur les pays contigus à la RFY, vague propulsée par les exactions des autorités serbes dans la province du Kosovo. L’OSCE, de nouveau confrontée à une tragédie en sol européen, décida de prendre action en redirigeant certains des éléments de la MVK vers l’Albanie, qui tentait de réagir à l’arrivée soudaine et massive de quelque 150,000 réfugiés. Le responsable de la Force se dirigeant en Albanie reçut comme mandat « d’assister le gouvernement d’Albanie à réagir aux réfugiés ». Un mandat flou s’il en est, et des consignes totalement flexibles.

En somme, plus le niveau de commandement est élevé plus le mandat reçu sera vague, ce qui exigera de la part des officiers en charge qu’ils opèrent dans un contexte plus incertain.

La deuxième caractéristique à être examinées a trait à l’imputabilité et l’autorité. Imputabilité dans ce contexte signifie « responsable à qui ? » et elle peut être formelle ou informelle. L’autorité se définit comme le droit ou le pouvoir de commander ; dans certaines situations, l’autorité s’approche plutôt de la capacité d’influencer et entraîne souvent un sentiment d’impuissance.

Le cadre d’opérations d’un chef au niveau tactique est normalement fortement hiérarchisé. Le chef de peloton, bien qu’il sera encouragé à se servir de son jugement pour accomplir sa mission, sera directement surveillé par son supérieur, qui lui aussi sera à son tour supervisé par son supérieur. L’imputabilité de ces responsables est donc claire et simple. Ils sont imputables à leur supérieur pour l’accomplissement de leur mission, et à leurs subordonnés pour l’utilisation correcte de leur leadership. Dans les nouveaux types de mission opérationnelle, l’imputabilité est beaucoup moins claire et beaucoup plus complexe.

Au niveau tactique, en ce qui concerne l’autorité, l’officier responsable est pour ainsi dire tout-puissant. Il détient le pouvoir direct sur les actions de ses subordonnés, et les influences extérieures sont habituellement minimes. Mais, plus le niveau est élevé, plus les influences extérieures sont grandes, et le contrôle direct sur les subordonnés et les événements difficile.

Ainsi, les responsables de la MVK devaient opérer dans un contexte où l’imputabilité était très complexe. Le chef de mission devait répondre au Conseil permanent de l’OSCE, représenté par le Présidente poste, pour la mise en œuvre de la mission. Cependant, le chef de mission était un diplomate américain qui avait été placé là spécifiquement par l’administration du Président Bill Clinton pour assurer aux États-Unis un lien et une influence solides sur les événements. Les cinq chefs de mission adjoints provenaient chacun d’un des quatre autres pays membre du « groupe de contact » et de la Norvège, qui occupait à ce moment la présidence de l’OSCE. Chacun de ces adjoints conservait un lien rapproché à son pays respectif : en effet, tout comme le chef de mission, ils avaient été nommés à ce poste pour assurer l’influence de leur pays sur les activités de la mission ; ils lui étaient donc imputables.

Les difficultés surgissaient quand le chef de mission voulait réagir, de façon concertée, à une crise ponctuelle. Parce que ses adjoints le soupçonnaient d’être contrôlé par la politique étrangère des États-Unis, ils consultaient leur capitale sur la faisabilité de l’action envisagée avant de l’autoriser. Ceci rendait l’unité d’action presque impossible, et diluait l’imputabilité et l’autorité au sommet hiérarchique de la mission.

En outre, la mission s’effectuait dans un cadre particulièrement misérable. Les citoyens du Kosovo à ce moment-là étaient sous le joug d’un dictateur brutal et vivaient dans un état policier. Chaque membre de la mission se sentait donc aussi responsable ou imputable envers ces citoyens, pour réduire si possible leurs souffrances.

La mission était aussi imputable envers les organismes non gouvernementaux (ONG) qui attendaient de l’aide de la MVK, une mission importante à leurs yeux parce qu’elle jouissait du poids moral et de l’appui de la communauté internationale.

Au niveau tactique, le chef se préoccupe normalement peu des interlocuteurs externes. Son centre d’intérêt est simple et direct. Au niveau plus élevé, cependant, les interlocuteurs sont nombreux. Le chef de mission de la MVK devait non seulement tenir ses chefs au courant de tout développement de la situation, mais il devait aussi négocier, entre autres, avec les communautés en conflit, les représentants de différentes organisations, les groupes ethniques en présence dans la province, le clergé et les partis politiques.

Dans les centres régionaux, il fallait rencontrer et établir des liens avec le Préfet, responsable de l’administration du district (les centres régionaux couvraient parfaitement la superficie des districts), avec le chef de la police du ministère de l’Intérieur dans le district, et avec les hautes instances militaires serbes du district. Du côté de la communauté albanaise, il fallait établir des liens avec les partis politiques albanais en veilleuse, et avec les autorités de l’ALK.

En somme, comme l’illustre la figure 2, plus le niveau de l’opération est élevé, plus l’imputabilité est complexe. En revanche, plus le niveau de l’opération est élevé, plus l’autorité directe diminue.

Comme nous l’avons noté plus haut, la tendance au niveau des institutions est en ce moment de décentraliser le pouvoir, en le remettant au citoyen lui-même, ou à des unités fortes possédant la capacité d’opérer sans avoir recours à une autre autorité. Au niveau publique : « La gérance des affaires publiques doit…accélérer l’implantation des modèles décentralisés de gestion afin de permettre aux citoyens de participer plus activement à la prise de décision au niveau local… » (Émile Gaudreau, « Le défi de gouvernance du XXIe siècle : humaniser le modèle néolibéral de développement économique », André Downs et Gilles Paquet (dira.), Les défis de gouvernance à l’aube du XXIe siècle, Association des économistes québécois, p. 25). Ceci s’explique en partie par les pressions budgétaires qui encouragent la dévolution en matière de gouvernance. On en parle parfois en termes de « subsidiarité ».

L’armée a récemment adopté cette façon de faire comme principe d’opération de base, encourageant « l’exécution au niveau approprié ». On doit toutefois savoir que ce principe a été adopté par plusieurs grands chefs, surtout ceux reconnus pour leur sens de l’initiative et leur panache. L’armée française utilise ce principe qu’elle décrit comme une unité ou un militaire se comportant en étant « dans la pensée du chef. » Ceci signifie que l’officier supérieur précise les grandes orientations et la vision de l’état final de l’opération ou de l’objectif, et que ses subalternes, sans recevoir de consignes trop précises qui pourraient leur enlever de leur liberté d’action, mènent les troupes dans le sens voulu. Comme dans la nouvelle gouvernance des institutions publiques, la subsidiarité est devenu le modus operandi de l’Armée de terre.

Les secteurs géographiques qui constituent la structure nationale de l’Armée de terre au Canada illustrent bien ce principe de décentralisation au niveau d’unités fortes possédant l’autorité nécessaire pour accomplir leur mission. C’est là un type de gouvernance décentralisée où le Commandant du secteur possède toute l’autorité nécessaire pour accomplir sa mission ; sa liberté d’action est grande et il peut s’impliquer dans les niveaux subordonnés si le besoin s’en fait sentir.

Encore une fois, dans notre exemple du niveau tactique, il est difficile de mettre ce principe totalement en pratique car le cadre d’opération laisse bien moins de souplesse. Cependant, plus on élève le niveau, plus la liberté d’action augmente, jusqu’au point où il est beaucoup plus difficile d’opérer d’une manière centralisée.

En mission, au sein de la MVK, il était impossible de commander d’une manière centralisée ; les moyens de communication étaient rudimentaires et l’information circulait lentement. Bilan : les centres régionaux étaient habituellement laissés à eux-mêmes et devaient s’occuper de tous les problèmes dans leur secteur respectif. Les initiatives étaient permises, voire traitées comme insignifiantes et le recours à l’influence du chef de mission était réellement subsidiaire. Cependant, l’autorité en matière financière était hyper centralisée : impossible de faire des achats locaux ; l’autorité de dépenser était réservée aux plus hauts niveaux de l’OSCE. L’impossibilité d’opérer de cette façon a d’ailleurs forcé l’OSCE à réviser l’autorité financière de la MVK, ce qui a eu pour effet d’augmenter encore la décentralisation du pouvoir.

La nouvelle gouvernance décrite chaut implique que les organisations qui l’adoptent sont capables de s’ajuster au fur et à mesure qu’elles procèdent : « …organisations must use the environnement strategically… to Lear faster, to adapt more quickly. » (Gilles Paquet, Governance Through Social Learning, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1999, p. 222.) Elle nécessite une agilité d’esprit accrue, ainsi qu’une capacité de repérer rapidement la leçon et de la mettre en application. En fait, on parle d’ajustements en cours de route et de renouveau constant pour améliorer l’organisation.

Dans ce contexte, l’officier de l’avenir sera capable d’identifier, de recueillir et de collationner les leçons pour pouvoir les intégrer dans le fonctionnement de l’organisation au fur et à mesure qu’elle opère. Il ou elle sera flexible et possèdera la force de caractère nécessaire pour s’ajuster en cours de route. Ceci implique donc un leadership nouveau, qui sera capable de reconnaître que le pouvoir est dilué et que les employés doivent être impliqués dans la gouvernance de l’organisation. Ce principe a toujours été la façon de faire des bons officiers. Il est maintenant encore plus important que jamais.

La MVK s’est efforcée de devenir une organisation qui apprenait en cours de route, bien qu’elle n’ait pas été en opération très longtemps. L’entente entre la RFY et l’OSCE fut signée le 16 octobre 1998. Le quartier général de la MVK s’est déployé un mois plus tard, et la mission fut déclarée opérationnelle vers le 1er décembre 1998. Elle fut évacuée le 20 mars 1999, quatre jours avant le début des frappes aériennes de l’OTAN. Malgré cela, les exemples de la capacité de la mission à s’ajuster aux changements et d’apprendre par l’expérience sont nombreux.

Les consignes du chef de la mission concernant les orientations à prendre au niveau du terrain n’existant pas, les membres de la mission eux-mêmes en ont développées, ce qui leur a permis d’assurer l’unité d’action, du moins sur le terrain.

Par exemple, lorsqu’il devint évident que les incidents créés par les partis en conflit donnaient le ton aux actions de la mission en la forçant à réagir, il fallut à cette dernière agir de sa propre initiative tout en restant à l’intérieur des termes de l’accord. Ainsi, devant les restrictions de mouvement imposées par les Serbes, la MVK a monté une opération où toutes les ressources d’un centre régional ont été concentrées à patrouiller toutes les petites routes et pistes près de la frontière, perturbant et forçant les autorités serbes à réagir, à leur tour, aux actions de la mission. De semblables initiatives ont été prises pour encourager les ONG (qui n’aimaient pas être coordonnés) à tenir la MVK informée de leurs activités, ce qui améliora la coordination. La mission s’est donc ajustée aux besoins du moment.

Du côté leadership, il est difficile de dire si les hauts dirigeants ont manifesté le style requis par la nouvelle gouvernance. La plupart des chefs à ce niveau étaient des ambassadeurs ou des militaires haut gradés habitués à une hiérarchie ferme et à un commandement sans question. Sur le terrain cependant, les exemples de chefs écoutant les suggestions de leurs subordonnés et des citoyens, guidant leurs troupes au lieu de commander d’une main de fer, abondent. De toute façon, le nombre élevé de participants à la gouvernance de la mission au niveau des centres régionaux forçait les officiers à coordonner leurs interventions et à rechercher le consensus plutôt que d’exiger l’obéissance sans faille.

Plus de vingt ONG étaient représentés dans chaque centre régional : petits, moyens, grands. Tous opéraient selon les consignes de leurs propres dirigeants, accentuant le besoin de coordination. Dans un des centres régionaux, l’officier responsable avait convaincu le Directeur du Haut-Commissariat aux Réfugiés en place de tenir avec lui une réunion hebdomadaire où tous les ONG seraient invitées à participer et à échanger des informations sur leurs activités. Cette méthode de consultation fut couronnée de succès et prise comme exemple par le reste de la mission.

Le principe de subsidiarité a donc été mis en application dans la nouvelle gouvernance militaire. Les exemples relatés ici montrent qu’une organisation doit pouvoir s’ajuster pendant qu’elle continue d’opérer et constamment réinjecter les leçons apprises dans les rouages de l’institution. Les dirigeants doivent impliquer leurs subordonnés car ils sont forcés de gouverner dans un contexte où il n’y a pas de « meneur de jeu. »

La première grande leçon apprise est celle de la prise de conscience. Les chefs militaires doivent non seulement être en mesure de traiter avec les conditions de la nouvelle gouvernance, mais aussi les apprécier en tant que paramètres de la nouvelle façon d’opérer. On a besoin d’un nouveau langage qui permettra aux militaires de discuter et débattre de ces préceptes simples, mais différents de ceux auxquels ils sont habitués.

Cette prise de conscience permettra aussi aux responsables militaires de débattre de ces questions avec leurs interlocuteurs de la fonction publique, qui doivent eux aussi affronter ces nouvelles conditions.

La deuxième leçon ou action à prendre concerne la formation. Si l’on désire que les officiers soient en mesure de mieux opérer en contextes de nouvelle gouvernance, il faudra mettre l’accent sur la formation aux opérations de haut niveau où l’on retrouve surtout ces conditions. Déjà, de grands efforts ont été déployés pour améliorer la formation des officiers supérieurs des FC, mais il faudra intégrer les principes discutés plus haut dans le curriculum.

Cette formation devra accentuer le leadership nécessaire dans ces conditions ; un leadership plus consultatif, lié transversalement pour permettre l’échange d’idées et le rôle « d’animateur » en résolution de problèmes complexes dans un contexte souple et changeant. Les officiers de l’avenir devront démontrer une grande capacité à s’adapter et acceptés que les niveaux subordonnés impliquent le simple soldat dans la résolution des problèmes. C’est le Principe même de la subsidiarité.

Finalement, la décentralisation des pouvoirs ne doit pas nous effrayer. Il faut avoir confiance et laisser les unités subordonnées prendre les initiatives nécessaires pour mener leur mission à bien. Il s’agit de mettre en œuvre un type de commandement par « la pensée du chef » au sein d’unités fortes, capables, et coordonnées autour d’une « vision » de l’état final.

Les FC ont besoin d’officiers supérieurs éduqués dans l’esprit de la nouvelle gouvernance. Nos officiers devront pouvoir agir avec souplesse, commander des éléments disparates dans un contexte incertain avec un mandat flou. Ils devront accepter ces situations, et s’épanouir dans celles-ci. Il leur faudra aussi en connaître les caractéristiques, au lieu de les combattre. La capacité de rétablir l’ordre et d’organiser les événements, même dans les situations les plus délicates et perturbées, constitue présentement une des grandes forces de nos officiers supérieurs ; ils le doivent à l’entraînement qu’ils ont reçu et à leur expérience sur le terrain. Une attention accrue aux principes de gouvernance discutés ici leur permettrait de commander davantage comme des « animateurs », d’être mieux préparés à formuler leur « vision » et à la mettre en œuvre avec succès.

 

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