The fiscal imbalance is one of those things like dark matter or quantum uncertainty that defy comprehension by the ordinary layman. Its precise magnitude has been the subject of countless arcane calculations…but its basic mathematical expression may be reduced, by a combination of Lagrange polynomial interpola- tion and dead reckoning, to two lines: 1. Ottawa has money. 2. We want it.
Andrew Coyne, April 13, 2005
En plus de trois ans de travaux et de recherche sur la question du déséquilibre fiscal, je dois avouer que cette boutade d’Andrew Coyne est la seule lecture amusante que j’ai pu trouver sur ce sujet ! Plus sérieusement, Coyne concluait dans cet article que l’approche adoptée par Paul Martin en ce qui concerne le financement des soins de santé et la péréquation, celle de conclure une entente aÌ€ tout prix, confirmait que « dorénavant, le fédéralisme fiscal ne serait régi par aucun principe distinguable, quel qu’il soit. »
Sa conclusion est aÌ€ la fois surprenante et justifiée. Surprenante parce que, contrairement aÌ€ lui, plusieurs observa- teurs s’attendaient aÌ€ ce que les accords de l’automne dernier sur la santé et la péréquation mettent un terme aÌ€ plus de deux décennies de relations intergouvernementales acrimonieuses. Justifiée parce que, contre toute attente, l’annonce d’un nou- veau cadre de péréquation, au lieu de donner stabilité et prévi- sibilité aux provinces en matié€res budgétaires, semble au contraire avoir ouvert la porte aux récriminations et fait resurgir de plus belle les tensions interrégionales jusque-laÌ€ contenues.
Comme le calcul de la péréquation repose sur une for- mule établie, elle a été assez bien protégée jusqu’aÌ€ main- tenant contre les coupures fédérales et les chicanes interprovinciales, con- trairement aux autres programmes de transferts. Aujourd’hui, cependant, le plus ancien des piliers du fédéralisme fiscal est sur le point d’é‚tre redéfini.
Les derniers accords bilatéraux sur les ressources extracoÌ‚tié€res avec Terre- Neuve et Labrador et la Nouvelle-EÌcosse ont de nouveau mis en évidence les difficultés énormes qui entourent le traite- ment équitable des recettes tirées des ressources énergétiques, et ont naturelle- ment incité les autres provinces aÌ€ vouloir obtenir le mé‚me genre de faveur. La Saskatchewan et le Québec ont offi- ciellement fait savoir qu’elles s’at- tendaient aÌ€ recevoir le mé‚me traitement. De mé‚me, comme Tom Courchene l’a fait remarquer, la cam- pagne de l’Ontario en faveur d’un partage plus équitable des ressources fis- cales est liée de pré€s aÌ€ ce débat, car tout élargissement de la péréquation basé sur les paramé€tres actuels creuserait encore davantage l”˜écart de 23 milliards $ que Queen’s Park veut récupérer.
C’est pourquoi nous assistons aÌ€ un retour de la « guerre des bilans », typique des années 1980 et 1990, ouÌ€ chaque province y va de sa théorie au sujet des gagnants et des perdants de la confédération. Chassez le naturel, et il revient au galop ! Pourtant, au cours des dernié€res années, les provinces avaient réussi aÌ€ former un front commun dans leurs efforts en vue d’obtenir un financement accru de la part d’Ottawa pour les soins de santé. Mais cette campagne reposait sur un autre type de déséquilibre fiscal, celui qui existe entre les deux ordres de gouvernement.
Est-ce aÌ€ dire que l’engagement du gouvernement fédéral envers la santé et la péréquation pour les dix prochaines années signifie que la question du déséquilibre fiscal est réglée? C’est peu probable. Bien que les affirmations de l’Ontario au sujet de son déficit fiscal vis-aÌ€-vis Ottawa semblent concerner l’ampleur et l’équité des dépenses du gouvernement fédéral, elles découlent en fait des répercussions que l’as- sainissement de la situation fiscale d’Ottawa a eu sur le fonctionnement de la fédération canadienne.
Avec maintenant huit ans d’excé- dents budgétaires fédéraux, nous disposons d’un nombre suffisant d’obser- vations pour tracer les contours de la nouvelle orientation du fédéralisme canadien. Le budget de 2005, qui porte sur une période de cinq ans (et dix ans dans le cas des transferts) est parti- culié€rement révélateur aÌ€ ce chapitre. AÌ€ bien des égards, il établit le parcours des relations fédérales-provinciales aÌ€ moyen terme. Ses conséquences seront aussi importantes que celles d’autres grands programmes du passé qui ont également marqué un virage, depuis la formule des programmes aÌ€ frais partagés, jusqu’au financement des pro- grammes établis (FPE) et au
Transfert canadien en matié€re de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Mais il y a lieu de se demander si l’o- rientation proposée est la bonne.
La situation financié€re tré€s supérieure dont jouit le gouverne- ment fédéral par rapport aux provinces depuis 1997 constitue indubitable- ment la toile de fond sur laquelle se déroule la dynamique actuelle. Ottawa a réussi aÌ€ dégager des excédents budgé- taires considérables pendant huit années consécutives (atteignant au total 61,3 milliards $), tout en annonçant pour 300 milliards $ de nouvelles dépenses et de réductions d’impoÌ‚ts et en remboursant sa dette aÌ€ raison de 38,6 milliards $.
Comme le montrent les graphiques 1a aÌ€ 1c, les derniers budgets fédéraux ont réussi aÌ€ renverser la ten- dance établie, apré€s trois décennies de déficits chroniques et d’accumulation de dette, pour faire place aÌ€ une période de surplus budgétaires considérables, de diminution du niveau de la dette et du fardeau que celle-ci entraiÌ‚ne.
Alors que la dette fédérale représen- tait 68,4 p. 100 du PIB en 1995/96, elle ne compte plus que pour 38,6 p. 100 du PIB aujourd’hui, soit une chute de 30 points de pourcentage ! D’apré€s les prévisions fédérales, le gouvernement est en bonne voie d’atteindre sa cible de 25 p. 100 d’ici 2014-2015. En con- séquence, la part des recettes fédérales affectée au service de la dette, bien qu’elle reste tré€s supérieure aÌ€ celle des provinces, a diminué de 38 p. 100 en 1995/96 aÌ€ moins de 18 p. 100 aujour- d’hui. Cela équivaut aÌ€ un dividende fis- cal de 3 milliards $ par année.
Ces graphiques montrent égale- ment que les perspectives financié€res des provinces sont plus incertaines. Au total, les provinces n’ont pu atteindre l’équilibre budgétaire qu’en 1999, pour de nouveau afficher des soldes défici- taires en 2002/2003 et 2003/2004. Mé‚me si on prévoit un excédent budgé- taire de 3 milliards $ pour l’ensemble en 2004-2005, une ventilation détaillée montre que la santé financié€re des provinces reste tré€s inégale et fragile (tableau 1).
Signalons d’abord que le solde budgétaire combiné des provinces et ter- ritoires est en grande partie déterminé par la situation exceptionnelle de l’Alberta. Si l’on exclut le surplus alber- tain, le solde budgétaire provincial est déficitaire de plus d’un milliard $. Bref, la situation financié€re des provinces autres que l’Alberta demeure précaire, et il n’y a aucune raison de s’attendre aÌ€ une réelle amélioration prochainement. Dans la plupart des cas, un ralentissement mé‚me modeste de l’économie pourrait préci- piter un retour aux déficits.
Cette situation précaire des provinces se trouve confirmée par les projections accompagnant la dernié€re ronde de prévisions budgétaires. AÌ€ part les scénarios optimistes présentés par l’Alberta et la Colombie-Britannique, les projections aÌ€ court terme des autres provinces entrevoient des déficits ou des budgets aÌ€ peine équilibrés. La Saskatchewan s’attend mé‚me aÌ€ devoir puiser dans ses réserves au cours des années qui viennent.
Les facteurs qui contribuent aÌ€ cette situation sont principalement d’ordre structurel. En d’autres termes, les tendances qu’on vient d’observer découlent pour une large part du rap- port structurel entre les revenus et les dépenses en place, ainsi que de la dynamique financié€re qui en découle. Cette dynamique est bien illustrée dans les projections financié€res des comptes publics réalisées par le Conference Board. La méthodologie utilisée consiste aÌ€ projeter les soldes budgétaires en postulant une crois- sance économique stable et aucun changement de politique. Pour y par- venir, on suppose que les régimes d’imposition et les programmes de dépenses de chaque palier de gou- vernement dans l’année de référence restent inchangés et n’augmentent d’année en année qu’en fonction des différents taux de croissance attribués aÌ€ chaque source de recettes et aÌ€ chaque programme de dépenses.
Les graphiques 2a et 2b montrent les résultats des dernié€res projections du Conference Board (février et aouÌ‚t 2004) relatives aux soldes budgétaires et aÌ€ la dette des deux paliers de gouvernement. Les écarts entre les deux séries de résul- tats sont attribuables aÌ€ deux facteurs :
1) les projections ont été établies aÌ€ partir de deux années de référence différentes (EF2003/2004 et EF2004/ 2005), de sorte que les projections d’aouÌ‚t tiennent compte des effets éventuels des mesures annoncées dans les budgets de 2004 ;
2) les projections d’aouÌ‚t 2004 tiennent également compte d’une modification apportée aÌ€ l’une des prin- cipales hypothé€ses du modé€le. Les pro- jections antérieures supposaient en effet que le fédéral affecterait tous ses excédents budgétaires au rembourse- ment de la dette, tandis que les dernié€res estimations ”” établies aÌ€ la demande d’Ottawa ”” n’affectent aÌ€ ce poste que la réserve pour éventualités de 3 milliards $. Le modé€le postule désormais que la portion de l’excédent fédéral non consacrée au rembourse- ment de la dette est dépensée sous forme de transferts aux individus.
Les projections du Conference Board montrent clairement quels sont les effets aÌ€ long terme de cette dynamique struc- turelle. Les recettes des deux paliers de gouvernement croissent essentiellement au mé‚me rythme, mais c’est ce qui se passe au niveau des dépenses qui déter- mine de quoi auront l’air les résultats en bout de ligne.
AÌ€ l’échelon fédéral, la baisse des frais de la dette et la croissance plus rapide des recettes par rapport aux dépenses engendrent des excédents budgétaires qui ne cessent de croiÌ‚tre et qui, en 2014/2015, se situeront dans une fourchette de 31 aÌ€ 37 milliards $. Lorsqu’on examine le premier scé- nario, celui de l’attribution de tout sur- plus au remboursement de la dette, les résultats sont frappants. Le gouverne- ment fédéral est en mesure de rem- bourser pré€s de 80 p. 100 de sa dette aÌ€ la fin de la période de projection ”” la dette passant de 616 aÌ€ 129 milliards $ en 2019-2020 ”” tandis que le service de la dette s’en trouve réduit de 35 aÌ€ 15 milliards $. Le second scénario, celui du remboursement de la dette aÌ€ raison de 3 milliards $ par année, pro- duit des résultats tout aÌ€ fait différents en ce qui a trait au profil de rem- boursement de la dette, mais il en résulte néanmoins des surplus budgé- taires importants qui continuent de croiÌ‚tre jusqu’en 2015.
La situation est bien différente en ce qui concerne les provinces et les ter- ritoires, dont le solde budgétaire com- biné reste négatif : les projections indiquent qu’il se situera dans une fourchette de 4 aÌ€ 10 milliards $ et ce, en dépit des mesures budgétaires prises aÌ€ cet égard en 2004.
Deux facteurs semblent é‚tre en cause : (1) les couÌ‚ts des services de santé, qui représentent plus de 40 p. 100 des dépenses de programme, vont continuer de grimper aÌ€ un rythme sensiblement plus rapide que les recettes ; (2) les gouvernements provin- ciaux et territoriaux sont collective- ment incapables de réduire leurs dépenses au service de la dette en raison de déficits persistants. Les projections de février 2004 du Conference Board indiquent qu’en 2019-2020, le niveau d’endettement global des provinces et des territoires se sera accru de 51 p. 100 (passant de 285 aÌ€ 432 milliards $).
Bref, les projections du Confe- rence Board montrent que, en l’ab- sence de fluctuations cycliques et de nouvelles politiques, la structure budgétaire actuelle du gouvernement fédéral engendrera vraisemblablement une suite ininterrompue d’excédents budgétaires, mé‚me si on pose des hypothé€ses économiques relativement conservatrices. Mais ces surplus ne se concrétiseront que dans la mesure ouÌ€ la croissance économique se main- tient, les impoÌ‚ts demeurent stables et qu’aucun nouveau programme de dépenses n’est lancé. Les provinces, par contre, font face aÌ€ des conditions défavorables, ce qui est principalement attribuable au fait que leur dépenses en santé continueront de croiÌ‚tre beau- coup plus rapidement que leurs revenus. C’est pourquoi elles se trou- vent dans l’impossibilité d’enclencher le cercle vertueux de la réduction de la dette et du service de la dette.
Est-ce que ces projections cons- tituent une preuve qu’il existe un déséquilibre fiscal entre les deux ordres de gouvernements? Oui et non : mal- heureusement, la question est loin d’é‚tre si simple.
Dans une étude récente publiée par l’Institut des rela- tions intergouvernementales, Robin Boadway propose un cadre tré€s utile pour analyser deux concepts intimement liés aÌ€ cette question, celui d’écart fis- cal et celui de déséquilibre fiscal. En résumé, il définit le l’écart fis- cal comme étant l’asymétrie souhaitée entre le fédéral et les gouvernements provinciaux en ce qui a trait aÌ€ leur capacité fis- cale, cette capacité étant elle- mé‚me liée aÌ€ la notion de partage optimal des responsabilités entre les deux paliers de gouverne- ment et aÌ€ l’exercice optimal de ces responsabilités.
On peut invoquer diverses raisons pour justifier pourquoi le gouvernement fédéral doit générer plus de recettes qu’il n’en a besoin pour ses propres dépenses, mais elles tiennent surtout aÌ€ son aptitude aÌ€ réaliser des objectifs d’équité et d’efficacité aÌ€ l’échelle du pays au moyen de l’har- monisation fiscale, des programmes de dépenses directes et des transferts intergouvernementaux. En ce sens, la fédération est en équilibre fiscal lorsque les transferts fédéraux-provin- ciaux sont suffisants pour financer le niveau optimal de dépenses de chacun des deux échelons, compte tenu du partage des responsabilités et de l’espace fiscal.
Comme le souligne Boadway, cependant, il n’y a pas de réponse définitive aÌ€ la question de savoir quel est l’écart fiscal optimal car les opinions sont partagées aussi bien au sujet du niveau optimal des dépenses publiques (quel que soit le palier de gouvernement) que du partage des responsabilités et des revenus. La situation se complique encore davantage lorsqu’on considé€re le fait que l’écart fiscal qui existe est en fait le résultat de décisions prises par les deux paliers de gouvernement de manié€re plus ou moins indépendante l’un de l’autre. Boadway ajoute cepen- dant que, dans ce processus, le gou- vernement fédéral jouit d’un pouvoir dominant ”” c’est laÌ€ ce qu’on appelle l’« avantage de l’acteur prépondérant » ”” et que, par conséquent, l’ampleur de l’écart fiscal et du déséquilibre fiscal dépend de l’espace fiscal qu’occupe le gouvernement fédéral et du montant des transferts qu’il choisit d’effectuer.
Ces observations rejoignent large- ment les conclusions des recherches que j’ai effectuées pour le compte de la Commission Romanow. Il est indéniable que le gouverne- ment fédéral jouit depuis la fin des années 1990 d’une situation financié€re plus solide que celle des provinces et que plusieurs des mesures adoptées par Ottawa au cours des années pour éli- miner ses déficits expliquent en bonne partie la précarité des finances provin- ciales. Mais les pressions budgétaires qui s’exercent sur les provinces et les problé€mes auxquels elles font face dans leurs efforts pour assainir leurs propres finances sont également attribuables aÌ€ deux autres facteurs : d’une part, la difficulté énorme et bien démontrée de comprimer les couÌ‚ts des soins de santé ; d’autre part, la réti- cence, l’incapacité ou le refus des provinces de lever de nouveaux impoÌ‚ts ou de nouvelles taxes pour financer ces couÌ‚ts tou- jours croissants.
En effet, depuis le milieu des années 1990, Canadiens et leurs gouvernements semblent avoir convenu que nous en étions arrivés au « poids limite » en ce qui concerne le fardeau fiscal. C’est en tout cas ce que semble indiquer le comporte- ment de tous les gouvernements depuis cette date. Au palier fédéral aussi bien que provin- cial, les gouvernements ont, toutes tendances confondues, abaissé les impoÌ‚ts dé€s que la si- tuation le permettait. La réac- tion suscitée l’an dernier par la décision du gouvernement McGuinty de prélever une nou- velle cotisation pour aider aÌ€ financer la santé constitue aÌ€ cet égard un exemple intéressant.
L’argument principal de ceux qui rejettent la thé€se du déséquilibre fiscal consiste aÌ€ dire que les provinces ont accé€s aÌ€ toutes les principales sources de revenus et qu’elles n’ont, par con- séquent, qu’aÌ€ lever de nouveaux impoÌ‚ts si cela s’avé€re nécessaire. Cette capacité constitutionnelle, toutefois, ne vaut pas grand chose si, pour des motifs économiques ou politiques, il n’est pas souhaitable de l’utiliser dans la pratique. La stratégie des provinces a plutoÌ‚t visé aÌ€ essayer de puiser dans les excédents fédéraux et aÌ€ obtenir une augmentation importante des trans- ferts au titre de la santé et des paiements de péréquation. Elles se sont également efforcées de maintenir leurs dépenses en santé et en éduca- tion du mieux qu’elles le pouvaient et de faire les ajustements nécessaires dans les autres postes de dépenses.
L’engagement pris l’automne dernier par Ottawa pour le finance- ment de la santé et de la péréquation au cours des dix prochaines années a-t- il changé quoi que ce soit? Apré€s tout, ces accords ont débouché sur un financement additionnel garanti de 74,7 milliards $ en faveur des provinces et des territoires.
Du point de vue des provinces, l’aspect de loin le plus positif de ces nouveaux arrangements est leur prévi- sibilité. Au moment ouÌ€ elles poursui- vent leurs efforts en vue de restructurer le systé€me de soins de santé et alors qu’elles se préparent aÌ€ répondre aux besoins d’une population vieillissante, il est essentiel qu’elles sachent aÌ€ quoi s’attendre de la part du fédéral aÌ€ moyen terme. AÌ€ ce chapitre, le nouveau Transfert canadien en matié€re de santé (TCS) marque un pas dans la bonne direction. Il est transparent, stable et prévisible, tous des éléments dont les provinces ont été privées depuis le début des années 1980, lorsqu’Ottawa a commencé aÌ€ mettre en place des mesures pour maiÌ‚triser la croissance de ses dépenses, en jouant avec les paiements au titre du FPE. Un nouveau montant de référence de 19 milliards $ a été établi pour l’exercice 2005/2006 (ce qui représente environ 21 p. 100 des dépenses provinciales en santé) et ce montant s’accroiÌ‚tra aÌ€ raison de 6 p. 100 par année pendant toute la durée de l’accord. Un montant addi- tionnel de 5,5 milliards $ sur dix ans a également été mis en réserve pour la réduction des délais d’attente.
Il s’agit laÌ€ incontestablement d’une amélioration par rapport aux accords TCSPS antérieurs, mais il faut néan- moins faire certaines mises en garde. Le facteur de progression de 6 p. 100 dépasse certes, et de façon significative, le taux de croissance des recettes fédérales et provinciales (qui se situe aÌ€ environ 4 p. 100), mais il reste néan- moins inférieur au taux de croissance annuel moyen que connaissent les dépenses provinciales en santé depuis plusieurs années (7 p. 100). On pourrait rétorquer que cela devrait inciter les provinces aÌ€ ramener la hausse des couÌ‚ts dans une fourchette de 4 aÌ€ 6 p. 100, compte tenu du fait qu’un taux supérieur aurait pour effet d’éroder la part fédérale du financement. Mais cela risque d’é‚tre difficile car l’accord sur la santé prévoit également des engage- ments considérables de la part des provinces. Elles doivent notamment améliorer l’accé€s aux soins primaires et veiller aÌ€ élargir la gamme des services couverts par le régime public pour y inclure les soins aÌ€ domicile et la fourni- ture de médicaments en cas de situation catastrophique. Il est difficile de prédire l’impact de ces engagements sur les finances publiques provinciales.
On peut en dire autant des sommes consacrées aÌ€ la réduction des délais d’attente. Il ne faut pas se le cacher : la réduction des délais passe par l’augmentation des ressources et des effectifs. Or, la somme de 1,2 mil- liard $ affectée aÌ€ ce poste pour l’an prochain ne représente qu’environ 1 p. 100 du couÌ‚t de fonctionnement du systé€me. De plus, ce montant sera abaissé aÌ€ 250 millions $ par année d’ici quatre ans, et on ne sait pas ce qu’il sera par la suite. Ces nouvelles pres- sions sur les couÌ‚ts viendront s’ajouter aÌ€ celles que suscitent déjaÌ€ l’arrivée de nouvelles tech- nologies et de nouveaux médicaments et la nécessité de répondre aux besoins accrus et aux attentes d’une population qui vieillit et qui est mieux informée. Bref, c’est encore aux provinces qu’il incombera d’aménager les risques et les incertitudes rattachés aÌ€ la prestation des soins de santé dans le secteur public.
Le nouveau cadre de la péréqua- tion représente aussi un changement important par rapport aux accords antérieurs. Les provinces admissibles aÌ€ la péréquation avaient eu aÌ€ faire face aÌ€ d’énormes difficultés aÌ€ la suite de la chute soudaine des paiements aÌ€ ce titre entre 2000 et 2002. Cette baisse de 28 p. 100 avait largement neutralisé l’effet de la hausse des transferts pour la santé découlant de l’accord de 2000. Le nouveau cadre prévoit un plancher de financement de 10,9 milliards $ pour 2005-2006, un montant qui sera ensuite augmenté de 3,5 p. 100 par année. Cela signifie que pour l’exercice budgétaire actuel, les paiements de péréquation seront 25 p. 100 plus élevés qu’il y a deux ans. Le nouveau cadre renverse donc la tendance aÌ€ la baisse des dernié€res années.
Il faudrait intégrer ces nouveaux paramé€tres dans le modé€le du Conference Board pour déterminer exactement quel effet le financement accru de la santé et de la péréquation aura sur l’écart structurel qui existe entre les revenus et les dépenses des provinces. Notons toutefois que le modé€le postule déjaÌ€ un taux de crois- sance annuel moyen composé de 4,7 p. 100 pour les paiements au titre de la péréquation et du TCSPS. Entre- temps, on s’attend aÌ€ ce que les nou- veaux transferts relatifs aÌ€ la santé et aux programmes sociaux (TCS et TCPS) s’accroissent aÌ€ un taux conjugué d’environ 5 p. 100 jusqu’en 2010.
Lorsqu’on parle d’écart et de déséquilibre fiscal, il importe de tenir compte de ce qui se passe du coÌ‚té des autres catégories de paiements de transfert et des transferts fédéraux dans leur ensemble. Les graphiques suivants illustrent la reconfiguration des composantes du fédéralisme fiscal qui s’est produite au cours de la dernié€re décennie.
-
Le graphique 3a montre qu’en termes nominaux les transferts en espé€ces aux provinces ont repris leur cours normal apré€s avoir subi pendant dix ans une perturbation importante aÌ€ la suite de la mise en place du TCSPS.
-
Par ailleurs, le rajustement aÌ€ la hausse s’explique presque entié€re- ment par l’augmentation gradu- elle des transferts relatifs aÌ€ la santé depuis 1999.
-
Avant 1996, les transferts relatifs aÌ€ la santé et aÌ€ la péréquation (et, dans une moindre mesure, aÌ€ l’aide sociale) avaient le mé‚me ordre de grandeur et avaient tendance aÌ€ augmenter en tandem. On cons- tate cependant une divergence importante aÌ€ partir de cette année- laÌ€, ce qui a considérablement modifié la répartition des ressources fédérales entre les dif- férentes catégories de transferts (voir le graphique 3b).
-
La péréquation, qui avait large- ment été soustraite aÌ€ la turbulence des années 1990, sauf lors des deux dernié€res années, a repris son cours normal graÌ‚ce au nouveau cadre proposé l’automne dernier.
-
Les transferts au titre de l’aide sociale et des services sociaux ne se sont pas remis des coupures décrétées par le fédéral en 1996 ; la croissance des transferts relatifs aÌ€ l’enseignement postsecondaire a été nulle, et le taux est en diminution en termes réels.
-
Pour ce qui est des transferts rela- tifs aÌ€ la santé, ils occupent depuis 2001 une place de plus en plus importante (et croissante), de sorte qu’ils représentent plus de la moitié des paiements de transfert, au détriment de toutes les autres catégories, et tout particulié€re- ment des services sociaux.
-
Le graphique 4a trace l’évolution des transferts fédéraux en espé€ces en proportion des revenus et des dépenses de programme des provinces, ainsi qu’en proportion des recettes fédérales. On constate que les transferts ont généralement eu tendance aÌ€ diminuer depuis 1981, atteignant leur niveau le plus bas en 1999. En proportion des dépenses de programme fédérales, cependant, les transferts se sont maintenus autour de 23 p. 100 pen- dant la majeure partie des deux dernié€res décennies.
-
Le graphique 4b montre dans quelle mesure chaque transfert fédéral contribue au financement des programmes provinciaux. Le changement le plus marqué est évidemment celui qui a suivi la fin du Régime d’assistance publique du Canada. Les niveaux de soutien fédéral dont jouissent l’enseigne- ment postsecondaire et les services sociaux ne sont plus que la moitié de ce qu’ils étaient il y a dix ans.
-
Il convient également de noter qu’en termes réels, la valeur des transferts ”” qui de 1980 aÌ€ 1995 se situait dans une fourchette de 3,6aÌ€ 4,1 p.100 du PIB ”” s’est abaissée d’un point de pourcentage pour s’établir aÌ€ 2,5 p. 100 depuis le milieu des années 1990.
Ayant réussi aÌ€ sortir de l’impasse des déficits et de l’endettement, Ottawa se montre donc tré€s réticent aÌ€ faire appel, de nouveau, aux transferts fiscaux pour réaliser les objectifs de sa politique sociale. Depuis 1997, le gouvernement fédéral a de toute évidence préféré réin- vestir ses ressources dans des pro- grammes de dépenses directes qu’il est en mesure de maiÌ‚triser entié€rement et qui rehaussent son profil aupré€s du public.
On peut constater l’effet cumulatif de cette nouvelle approche dans la description qu’en donne le ministé€re des Finances lui-mé‚me. Ainsi, on estime que le soutien direct aÌ€ l’enseignement post- secondaire atteignait 5 milliards $ en 2004/2005 (soit plus du double du mon- tant des transferts aux provinces affectés aÌ€ ce secteur) graÌ‚ce aÌ€ un éventail de nouvelles initiatives, y compris la Fondation canadienne des bourses d’études du millénaire, les Chaires de recherche du Canada, la Fondation pour l’innovation et divers crédits d’impoÌ‚t pour études. Pour ce qui est de l’aide sociale et des services sociaux, le site Web du ministé€re énumé€re une série d’initia- tives dont le montant total s’élé€ve aÌ€ plus de 16 milliards $ (soit plus de trois fois le montant dépensé par l’entremise des transferts aux provinces) ; la Prestation fiscale canadienne pour enfants et le logement social représentent plus des deux tiers de cette somme.
Le secteur de la santé constitue une exception aÌ€ cet égard. Ottawa a égale- ment augmenté ses dépenses directes dans ce secteur, cependant les transferts étaient le seul vrai moyen pour Ottawa de parvenir aÌ€ rétablir sa présence et son influence dans ce domaine. Mais il aura quand mé‚me fallu quatre tentatives (en 1999, 2000, 2003 et 2004) avant que les montants proposés soient assez élevés pour qu’il en arrive aÌ€ une véritable entente avec les provinces.
Il ne reste donc plus qu’un seul pro- gramme de transfert fédéral (la santé) qui soit un instrument actif de politique sociale. Les deux autres sont essentiellement moribonds parce qu’ils progressent aÌ€ un taux qui, dans un avenir prévisible, dépassera aÌ€ peine ceux de l’inflation et de la croissance démographique. Il n’y avait bien suÌ‚r aucun argument raisonnable qui puisse justifier qu’Ottawa finance l’aide sociale sur une base égale par habitant. D’ailleurs, les tentatives récentes en vue de réformer le Transfert social canadien n’ont pas abouti. Les enfants, les aiÌ‚nés et les Autochtones font partie des pri- orités actuelles d’Ottawa ; l’aide sociale, clairement pas. Il n’en reste pas moins que c’est laÌ€ une question dont il pour- rait tenir compte dans la nouvelle formule de péréquation en intro- duisant, par exemple, des indicateurs de besoins.
Dans le cadre de deux accords sur la santé (2000 et 2003), Ottawa avait fait certains efforts pour réserver des crédits en faveur du développement de la petite enfance, mais dans ce secteur également il semble avoir choisi une voie différente. Les 5 milliards $ annoncés dans le dernier budget pour les services de garde ainsi que les ententes de principe conclues avec six provinces témoignent d’une approche beaucoup plus dirigiste. Ces ententes bilatérales contiennent cer- taines modalités qui reflé€tent les circonstances particulié€res des provinces signataires, mais le texte de l’entente- cadre qui a servi aÌ€ la rédaction des accords va bien au-delaÌ€ des principes et objectifs généraux qui ont guidé les ententes de ce genre par par le passé. Ce document définit en termes tré€s précis le type d’activités qui doivent é‚tre entre- prises et financées en vertu des accords, de quelle façon les provinces doivent procéder et de quelle façon elles doivent rendre compte des progré€s accomplis.
Si les programmes aÌ€ frais partagés ont été abandonnés au cours des années 1970, cela tient en partie au fait que cette approche était perçue comme introduisant des distorsions dans le choix budgétaires des provinces puisque chaque dollar déboursé pour des dépenses éligibles ne couÌ‚tait que 50 cents aux trésors provinciaux. Dans le cas des services de garde, les ententes ne prévoient aucun partage explicite des dépenses ; probablement parce que la plupart des provinces n’en ont tout simplement pas les moyens ! Ces dernié€res n’en ont pas moins commencé aÌ€ jeter les bases d’un systé€me national de services de garde et d’éducation aÌ€ la petite enfance sans avoir obtenu au préalable un engagement financier officiel aÌ€ long terme de la part d’Ottawa. Et il demeure que ce sont les provinces qui seront tenues de maintenir ces services une fois qu’ils auront été mis sur pied.
Il se peut tré€s bien, comme nombre d’observateurs avertis de la scé€ne publique l’ont affirmé, que le Canada ait besoin de se doter d’une stratégie axée sur le capital humain qui soit adaptée aux réalités du XXIe sié€cle, mais une telle stratégie, qui implique la participation de toutes les sphé€res du systé€me d’enseignement et la réglementation du marché du travail, ne pour- ra é‚tre mise en place de manié€re efficace que si la fédération fonctionne cor- rectement. Pour ce faire, les provinces ne doivent pas é‚tre que de simples antennes administratives du gouvernement fédéral. AÌ€ l’heure actuelle, les provinces ne disposent pas des ressources budgétaires nécessaires pour jouer le roÌ‚le légitime et approprié qui leur revient parce qu’Ottawa accapare une part trop large de l’espace fiscale et verse des montants insuffisants en transferts aux provinces. Le Canada est, aÌ€ mon avis, en situation de déséquilibre fiscal, une situation dont l’impact se fait sentir aÌ€ tous les paliers de gouvernement. Les événements de mai dernier, alors que le gouvernement Martin signait des ententes en catastro- phe avec les provinces et les villes et amendait son budget suite aux deman- des du NPD, n’ont fait que démontrer certains des effets dysfonctionnels de cette situation.
Cet article est la tra- duction d’un exposé présenté lors d’un colloque sur l’avenir du fédéralisme fiscal aÌ€ l’Institut des relations intergouverne- mentales de l’Université Queen’s en mai dernier et disponible aÌ€ www.irpp.org.