Dans nos sociétés vieillissantes, les discussions concernant l’efficacité du filet social pour les personnes âgées sont nombreuses, que ce soit à propos de l’assurance-maladie ou de la sécurité du revenu. Il y a à peine cinq ans, nous nous inquiétions surtout de la santé, tandis qu’en Europe, les régimes de retraite retenaient déjà toute l’attention. C’est la crise économique et financière des deux dernières années qui a mis sur la sellette la vulnérabilité de notre système de sécurité du revenu pour les personnes âgées. Depuis, les ministres des Finances en discutent, tout comme les journaux et les grands périodiques nationaux tels Maclean’s et L’actualité qui ont consacré au sujet des séries d’articles, et un groupe de travail dirigé par l’économiste Jack Mintz a été mis sur pied à l’automne 2009 pour étudier le problème. Mais la rapidité avec laquelle certains politiciens ont entériné les conclusions de ce groupe selon qui « le système canadien de revenu de retraite fonctionne bien » ne devrait pas clore le débat.

Avec des collègues, j’ai déjà démontré que la génération des baby-boomers est mieux préparée financièrement pour la retraite que celle de leurs parents, les personnes présentement âgées, et ce, malgré les déboires financiers récents. Même si certains d’entre eux seront plus vulnérables que d’autres, le véritable problème qui devrait présentement nous interpeller concerne le futur financier des générations post-baby-boom. Celles-ci ont des effectifs nettement moins nombreux que la génération des boomers et vivent dans un contexte de préparation financière à la retraite nettement différent de celui de leurs parents. D’où l’intérêt de poursuivre le débat.

Mais avant de débattre, ou de comparer notre situation à celle de nos voisins, encore faut-il s’assurer que l’on parle de la même chose. Or ce n’est souvent pas le cas quand on parle de retraite, un concept qui, en dépit de sa familiarité, est une notion complexe qui peut porter à confusion en l’absence des nécessaires précisions. Dans ce domaine comme dans d’autres, la comparaison dans le temps et entre pays est une des façons d’analyser la situation actuelle et de mieux comprendre la spécificité de chaque pays. Mais la réalité est souvent difficile à saisir et exige que nous soyons très précis dans l’utilisation des mots. Dans la suite de cet article, nous nous prêterons donc à un petit exercice de sémantique qui permettra de clarifier les choses de manière à faire avancer le débat.

Dans les dictionnaires de langue française, le terme « retraite » existe de tout temps. De façon générale, il s’agit de l’action de se retirer d’un lieu, d’un départ. Par exemple battre en retraite dans un conflit. De façon plus spécifique, il peut aussi s’agir d’un éloignement momentané de ses occupations habituelles pour se recueillir: par exemple une retraite fermée dans un monastère.

De nos jours, depuis Bismarck, le sens courant est la plupart du temps relié à la sécurité sociale.

Dans le cycle de vie, il s’agit de l’étape où l’on se retire du marché du travail rémunéré et où l’on paie dorénavant la plupart des dépenses de la vie courante non plus à partir d’un salaire mais à partir de prestations ou de rentes de retraite.

Le terme « retraite » prend alors trois sens distincts : l’action de se retirer de la vie active ; l’état de quelqu’un qui a cessé ses activités professionnelles liées à une période du cycle de vie où il était sur le marché du travail ; la prestation pécuniaire versée à quelqu’un qui a quitté le marché du travail. En général, le contexte d’utilisation permet de ne pas confondre ces trois sens.

L’action de se retirer de la vie active est, en théorie tout au moins, liée à une date donnée et, pour l’individu qui prend sa retraite, à un âge donné : c’est l’âge de sa retraite. S’il semble assez trivial de comparer l’âge de la retraite dans le temps et dans l’espace, la comparaison peut être très biaisée si l’on n’a pas spécifié s’il s’agit de l’âge légal ou officiel, celui qui donne accès aux prestations de sécurité sociale, ou de l’âge effectif de cessation d’activité. Au Canada, le premier est de 65 ans, avec quelques exceptions près, alors que le second, en moyenne, tourne présentement autour de 61 ans.

Autre confusion malheureuse, celle qui fait de l’âge légal aussi bien le seuil de la vieillesse que le seuil de la retraite. Dans les sociétés agraires, on ne cessait de travailler qu’au moment où l’on ne pouvait plus le faire parce que l’on était vieux, c’est-à-dire « caduc » selon la définition du dictionnaire de Furetière (1690). Continuer à entretenir cette confusion n’a plus de sens aujourd’hui. Comme l’a bien montré Peter Laslett il y a déjà plus de 20 ans dans A Fresh Map of Life, on distingue maintenant quatre phases dans le cycle de vie d’un individu, le nouveau troisième âge allant du moment de la retraite au seuil de la vieillesse, reléguant à un quatrième âge la vieillesse classique. En ce sens, le seuil de la vieillesse au Canada devrait se situer autour de 75 ans, sinon à un âge plus avancé.

Des loustics, voulant diminuer l’altruisme de Bismarck, arguaient facilement que ses actuaires et statisticiens lui avaient bien indiqué que les nouveaux bénéficiaires des prestations de retraite n’en profiteraient que pendant peu de temps, l’espérance de vie à l’époque étant évidemment beaucoup moindre qu’aujourd’hui. La situation a bien changé depuis, ce qui appelle des modifications en conséquence.

Le financement des retraites est en général relié en grande partie au temps passé sur le marché du travail. Or au moment où l’espérance de vie des retraités augmente de jour en jour, l’entrée sur le marché du travail se fait, lui, à un âge moyen de plus en plus avancé, dû au temps de plus en plus étendu passé dans le système d’éducation. Conséquemment, l’âge effectif de la retraite devrait être repoussé pour garder un certain équilibre entre le temps passé dans le monde du travail et la durée de la retraite.

La prise de la retraite devrait être fonction de l’espérance de vie, donc variable dans le temps, et en hausse. Bien plus, pour des raisons d’équité entre les travailleurs, ce seuil devrait dépendre non seulement de l’espérance de vie, mais surtout de l’espérance de vie en santé.

En fait, la prise de la retraite devrait être fonction de l’espérance de vie, donc variable dans le temps, et en hausse. Si certains pays comme l’Allemagne l’ont déjà fait, le sujet ne commence qu’à être discuté dans le monde du travail canadien, tant chez les employeurs que chez les employés. Bien plus, pour des raisons d’équité entre les travailleurs, ce seuil devrait dépendre non seulement de l’espérance de vie, mais surtout de l’espérance de vie en santé. Tous les travailleurs ne devraient pas nécessairement prendre leur retraite au même âge, mais tous devraient profiter du même nombre d’années en santé à la retraite. Bien entendu, un tel idéal demanderait beaucoup de souplesse au système social.

Il découle de ce que nous venons d’écrire que le statut de retraité devrait être défini en rapport avec l’emploi. Mais la réalité n’est pas si simple.

Par exemple, quelqu’un qui a quitté son emploi de carrière et qui reçoit des prestations de retraite en même temps qu’il exerce une profession à temps partiel ou un autre emploi à temps plein est-il un retraité ou un travailleur? Où le place-t-on dans les statistiques? Bien plus, les personnes qui n’ont jamais travaillé contre rémunération, par exemple les femmes au foyer, peuvent-elles être classées comme retraitées? Il s’ensuit que l’on n’a aucune idée de ce que signifient les manchettes du type « les revenus des retraités laissent voir une grande disparité selon le sexe ». Pour être certain que l’on parle de la même chose, il faudrait s’assurer que le terme de « retraité » traduit la même réalité pour les femmes que pour les hommes. Cet écueil pourrait être contourné en étudiant le revenu des personnes de 65 ans et plus, la caractéristique « âge » — tout au moins l’âge biologique — n’étant pas ambiguéˆ.

La notion de « revenus » porte aussi son lot d’ambiguïté. Si les revenus des personnes d’un âge donné sont effectivement comparables dans le temps et dans l’espace, encore faut-il savoir si l’on parle du revenu de retraite ou du revenu des retraités. Surtout quand on veut comparer le taux de remplacement du revenu — ou du salaire — des retraités.

Le modèle simpliste propose qu’au moment de la retraite et pour toute sa durée, on reçoit un revenu de retraite annuel unique — sous-entendu, de l’État — qui correspond à un certain pourcentage de son revenu annuel au cours du cycle de vie ou des meilleures années, le tout tenant compte de l’inflation. La réalité est tout autre. En fait, l’expérience nous montre même que s’abreuver à une seule source peut être très dangereux, étant donné les déboires historiques des États et des marchés financiers.

Au Canada, on adhère depuis un certain temps au modèle des quatre piliers dans lequel le revenu des retraités peut provenir de plusieurs sources : 1.une rente publique universelle, par exemple la pension de sécurité de la vieillesse, versée par le gouvernement fédéral au Canada, à laquelle s’ajoute, le cas échéant, un supplément nommé supplément de revenu garanti ; 2. une rente publique liée à l’exercice d’un travail rémunéré au cours de sa vie active (provenant du Régime de pensions du Canada ou du Régime de rentes du Québec), ou une rente privée d’un régime complémentaire de retraite (par notre employeur) ; 3. un revenu lié aux rendements de capital d’une épargne personnelle (par exemple les REER) ; 4. un revenu tiré d’un travail rémunéré, post-retraite, surtout dans les premières années de la retraite.

En principe, le but étant d’assurer un même niveau de vie à la retraite que dans la vie active, le taux de remplacement du revenu devrait inclure les quatre sources de revenu. Or, la plupart du temps, et sans doute pour des raisons d’accès à l’information, le taux n’est calculé que pour les deux premiers piliers, et bien souvent que pour la portion publique. Or, ignorer pour le Canada l’apport des caisses de retraite privées, comme le fait l’OCDE par exemple qui ne s’intéresse qu’aux régimes publics de pension, biaise complètement la réalité financière des retraités canadiens. Pour faire bonne mesure, il faudrait également spécifier s’il s’agit d’un taux de remplacement du salaire ou du revenu, et si c’est avant ou après impôts, car là encore, les règles fiscales s’appliquant aux revenus des retraités varient d’un pays à l’autre.

En terminant, deux autres grandes distinctions doivent être apportées. La première — et elle est de taille — concerne le financement des régimes de pension. Il existe ainsi des régimes par répartition (pay-as-you-go) et des régimes par capitalisation. Les premiers versent des rentes annuelles aux retraités à partir des revenus annuels du régime, qu’il soit de l’État ou privé. C’est le cas de la pension de vieillesse et du supplément de revenu garanti qui sont financés par les revenus annuels du gouvernement canadien. Les seconds comportent une réserve actuarielle, plus ou moins importante, de sorte que les rentes versées aux retraités sont, au moins en partie, payées par les rendements sur les investissements. Au Canada, le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec, ainsi que les régimes complémentaires de retraite (publics et privés) liés à l’emploi, sont partiellement capitalisés.

La deuxième distinction concerne les régimes à prestations déterminées et les régimes à cotisations déterminées. Au Canada, présentement, les deux premiers piliers appartiennent, à quelques exceptions près, à la première catégorie. Cela signifie que les retraités actuels sont assurés en principe d’un revenu déterminé pour toute la durée de leur retraite. Si on peut croire qu’il en restera ainsi pour les caisses publiques — on voit mal pour le moment l’État canadien faisant faillite (même si les difficultés que certains États ont connues par le passé suggèrent que cette éventualité ne peut être totalement exclue) —, il n’en n’est pas de même pour les caisses privées, dont la situation financière est précaire. Bon nombre d’entreprises ont ainsi annoncé qu’elles éprouvent des difficultés à honorer leurs engagements. Pensons par exemple à GM. C’est dans ce contexte que l’on a vu apparaître des régimes à cotisations déterminées qui ne garantissent aucun revenu précis au moment de la retraite. Le risque lié au revenu de retraite est ainsi transféré de la collectivité à l’individu.

Au milieu des années 1960, des Canadiens et des Canadiennes qui avaient une vision du futur ont mis en place nos régimes publics de sécurité de la vieillesse. Le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec ont rendu les services attendus. Cinquante ans plus tard, au tournant du présent siècle, des réajustements sont cependant devenus nécessaires. Le contexte différent de ce début de siècle exige que l’on réexamine la pertinence et l’efficacité de certaines composantes de notre système.

S’il y a lieu d’être relativement optimiste pour le futur immédiat, l’avenir des jeunes générations laisse perplexe. Le filet de protection sociale doit être revu au gré des développements fulgurants des régimes de retraite à cotisations déterminées, tant publics que privés. Au nom de l’équité intergénérationnelle, on devra aussi recourir de plus en plus aux méthodes de la comptabilité intergénérationnelle et ne pas uniquement se fier aux indicateurs liés à l’arrivée des babyboomers à la retraite.

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JL
Jacques Légaré est professeur émérite au Département de démographie de l’Université de Montréal.

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