« J’aurais tré€s bien pu rester, gagner la prochaine élection et faire la souveraineté », disait un Bernard Landry déçu de ses successeurs poten- tiels dans une entrevue accordée aÌ€ Radio-Canada aÌ€ la fin de septembre. « Les temps sont venus, observait-il, de tenir un nouveau référendum et de faire du Québec un pays souverain ».

Les candidats aÌ€ la succession de Landry ne partagent suÌ‚rement pas son évaluation quant aÌ€ leur potentiel comme chef, mais ils abondent claire- ment dans le mé‚me sens sur les temps qui viennent. Ils envisagent tous en effet une reprise du pouvoir par le Parti québécois en 2007 ou 2008, suivie rapidement d’un référendum gagnant sur la souveraineté.

Qu’en est-il vraiment? D’abord, bien suÌ‚r, l’appui aÌ€ la souveraineté est maintenant majoritaire et relative- ment stable, oscillant depuis le mois de mai entre 50 p. 100 et 55 p. 100. AÌ€pré€s de 45 p. 100, les intentions de vote en faveur du Parti québécois apparaissent aussi impressionnantes, tout comme celles dont bénéficie le Bloc québécois, qui sont encore plus élevées.

La plupart des observateurs, mé‚me parmi les souverainistes, demeurent toutefois sceptiques, ou au moins pru- dents. D’une part, la tendance est encore récente et elle semble en partie attribuable aux déboires des Libéraux aÌ€ Québec et aÌ€ Ottawa. On peut légitime- ment se demander si ce niveau d’appui résistera au temps. Ensuite, ces résultats de sondage doivent é‚tre mis en paral- lé€le avec la démobilisation réelle d’une partie de l’électorat. Aux élections québécoises d’avril 2003, pré€s de 30 p. 100 des électeurs se sont abstenus ; aux élections fédérales de juin 2004, plus de 40 p. 100 des Québécois sont restés chez eux. Vieillissant et en déclin jusqu’aÌ€ récemment, le membership du Parti québécois n’est plus non plus ce qu’il a déjaÌ€ été. Jacques Parizeau n’avait pas tort de suggérer en juin que son parti avait encore « des crouÌ‚tes aÌ€ manger » avant de fixer la date du référendum. Enfin, on peut se deman- der si les obstacles aÌ€ la démarche sou- verainiste ne pé€seront pas plus lourd lorsque les échéances approcheront.

Jusqu’aÌ€ maintenant, le principal de ces obstacles a sans doute été la crainte partagée par plusieurs Québécois de perdre encore une fois un référendum sur la souveraineté. Cette crainte est bien identifiée par Jean-François Lisée dans Sortie de secours, un livre plutoÌ‚t pes- simiste paru au début de l’an 2000. Elle se double probablement aussi d’une réti- cence face aÌ€ l’idée de tenir une consulta- tion aussi cruciale trop peu de temps apré€s un référendum sur la mé‚me ques- tion. Ainsi, mé‚me lorsqu’ils sont con- vaincus de l’utilité et de la faisabilité de la souveraineté, les citoyens ont ten- dance aÌ€ refuser une démarche précipitée.

Les Québécois demeurent majori- tairement insatisfaits de leur statut au Canada, souhaitent plus d’autonomie et favorisent pour plusieurs la sou- veraineté, mais ils hésitent aÌ€ appuyer un parti qui les entraiÌ‚nerait, quoi qu’il advi- enne, vers un autre référendum. C’est pourquoi Lucien Bouchard avait intro- duit l’idée des « conditions gagnantes », s’engageant ainsi aÌ€ ne pas aller de l’a- vant sans é‚tre certain de gagner. De la mé‚me façon, en 2003, Bernard Landry a fait campagne en expliquant qu’il ne savait pas lui-mé‚me s’il y aurait un référendum durant son mandat. Plus de la moitié des électeurs s’attendait aÌ€ ce qu’il n’y en ait pas.

Cette hypothé€que sur la démarche souverainiste serait-elle en voie d’é‚tre levée? AÌ€ la fin du mandat normal du gouvernement de Jean Charest, quelque part autour du printemps ou de l’automne 2007, douze ans se seront écoulés depuis le référendum de 1995. C’est aÌ€ peu pré€s la durée qui séparait le référendum de 1980 de la poussée souverainiste de 1992, sub- séquente aÌ€ l’échec de l’Accord du Lac Meech. En douze ans et trois mandats de gouvernement, bien des choses peuvent changer.

De fait, les attitudes des électeurs sont peut-é‚tre en train de bouger. En avril 2003, 69 p. 100 des Québécois ne favorisaient toujours pas la tenue d’un référendum pendant le prochain man- dat gouvernemental. Deux ans plus tard, en septembre 2005, cette opinion n’était plus partagée que par 52 p. 100 des répondants. Les souverainistes, notam- ment, souhaitent maintenant en grande majorité la tenue d’un référendum. Ce retournement de perspective pourrait bien é‚tre encore plus significatif que les progré€s de l’appui aÌ€ la souveraineté. En effet, si une démarche référendaire rede- vient envisageable, Bernard Landry a peut-é‚tre raison de voir poindre aÌ€ l’hori- zon des temps nouveaux.

Mais cette évolution demeure encore fragile et conjoncturelle. Seul le temps dira si la vague souverainiste actuelle sera suffisamment forte pour se maintenir et croiÌ‚tre. Les aléas de la conjoncture politique joueront un roÌ‚le important aÌ€ cet égard, tout comme la qualité du leadership souverainiste. Le défi pour le nouveau chef consistera moins aÌ€ vendre aux Québécois la nécessité ou les mérites de la sou- veraineté qu’aÌ€ les convaincre de l’op- portunité de s’engager dans un processus référendaire et de la possibi- lité de gagner le référendum.

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