Une quinzaine d’années apré€s le lancement du plan vert canadien par le gouvernement fédéral conservateur en 1990, le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec, Thomas Mulcair, vient de soumettre un plan de développe- ment durable aÌ€ la consultation publique. Ce plan a été salué avec beaucoup d’enthousiasme par les groupes environ- nementaux au moment ouÌ€ il a été rendu public en novem- bre 2004. La tournée de consultation du ministre fut néanmoins l’occasion pour certains groupes environnemen- taux et sociaux de questionner cette nouvelle politique aÌ€ la lumié€re d’une compréhension approfondie du concept de développement durable et de ses principes.

On l’a souvent dit, le développement durable est un con- cept flou dont la mise en application est difficile. Il traduit un changement de cap revendiqué par des acteurs, puis par des institutions, qui ont souhaité rompre avec le modé€le de développement industriel productiviste. C’est que ce modé€le s’avé€re dépassé, non seulement en regard des enjeux environ- nementaux actuels, mais aussi en regard des inégalités sociales et économiques qui perdurent et s’approfondissent. Si bien que loin d’é‚tre un effet de mode, la diffusion du concept de développement durable traduit un véritable changement de perspective et de valeurs. D’une part, l’activité économique doit désormais s’inscrire au sein des limites de la biosphé€re.

D’autre part, le partage des richesses ne peut reposer que sur une dynamique de croissance. Enfin, le progré€s ne s’incarne plus tant dans une industrialisation aÌ€ outrance que dans une économie fortement dématérialisée, c’est-aÌ€-dire aÌ€ tré€s faible intensité écologique. C’est donc aÌ€ une échelle de projet de société que se définit le développement durable.

Le caracté€re flou du concept de développement durable n’est pas étranger aÌ€ son succé€s et aÌ€ sa large diffusion. L’adhésion généralisée dont il est l’objet traduit la rupture qui s’opé€re actuellement au niveau de la conception du développement et du bien-é‚tre dans nos sociétés : l’idéal industriel est en train de basculer vers une autre conception du développement et du progré€s qui inclut la préservation de l’environnement.

Au-delaÌ€ des débats d’interprétation, deux définitions du développement durable sont reconnues comme étant les dé- finitions de référence : celle proposée par l’Union mondiale pour la conservation de la nature (1980), pour laquelle « le développement durable est un développement qui tient compte de l’environnement, de l’économie et du social », et celle popularisée par le rapport Brundtland (1987) qui énonce que « le développement durable est un développement qui permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». On peut dire de ces défini- tions qu’elles ont été non seulement largement diffusées mais aussi institu- tionnalisées comme en font foi de nom- breux textes officiels.

Ces définitions et les textes qui les commentent érigent généralement le développement durable en nouveau paradigme de développement. Or les dis- cussions entourant le concept de développement durable réfé€rent rarement aÌ€ l’imposant corpus théorique du développement, comme si elles s’étaient tenues aÌ€ sa marge. Situer l’émergence du développement durable dans les débats qui ont cours aujourd’hui au sujet du développement apporte sans contredit un éclairage indispensable aÌ€ la compréhension de la signification et de la portée de ce concept.

Rappelons tout d’abord que, mé‚me si on l’emploie souvent, le terme développement au sens ouÌ€ on l’entend aujourd’hui est assez récent. Polysémique, sa si- gnification a changé au cours de l’histoire. Mais il est intéressant de souligner aÌ€ la suite de Rist que, aÌ€ l’origine, le concept de développement est construit sur une métaphore naturaliste, qui envisage l’évolution des sociétés comme un cheminement inéluctable vers l’atteinte d’un potentiel déterminé.

L’invention du développement au sens social date de la période de reconstruction de l’apré€s- guerre. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont acquis un poids politique qui leur permet de s’imposer face aux anciennes puis- sances coloniales. Ils mettent de l’a- vant un nouvel ordre mondial dans lequel la dichotomie colonisateur- colonisé cé€de le pas aÌ€ un discours d’en- traide en vue du développement de tous. Ainsi, la vision conflictuelle du monde est remplacée par une concep- tion atomisée d’acteurs nationaux inspirée de la microéconomie, ouÌ€ cha- cun peut aspirer aÌ€ un niveau de développement optimal. Théorisée par Rostow, cette vision du développe- ment comme processus culmine dans l’é€re de la consommation de masse, stade ultime de développement des sociétés. Les sociétés sous-développées sont donc perçues comme étant « en retard » par rapport aux sociétés indus- trialisées qui, sur la lancée des trente glorieuses, sont érigées en modé€le. Le sous-développement s’explique alors essentiellement par des blocages internes aÌ€ l’avé€nement de la société de consommation de masse, dus notam- ment aÌ€ des structures sociales archaïques.

AÌ€ la mé‚me époque et en réponse aux thé€ses de la modernisation s’est dévelop- pé le courant des dependentistas porté par Raul Prebish du CEPAL (Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes). En opposition quasi symétrique avec les thé€ses de la mo- dernisation, les théories issues de ce courant réaffirment le caracté€re con- flictuel des rapports Nord-Sud et avan- cent que le sous-développement s’explique d’abord et avant tout par les liens historiques et le colonialisme subis par les pays du Tiers-Monde. Il est donc attribuable aux rapports de domination et aux échanges inégaux entre les pays.

Bref, alors que les thé€ses de la mo- dernisation sociale envisagent les pays comme des entités individuelles aÌ€ des stades différents de leur développement et expliquent le développement et le sous-développement par des facteurs internes, les théories de la dépendance insistent sur les interrelations existant entre les pays ouÌ€ un centre exploite les pays de la périphérie.

Au milieu des années 1970, une nouvelle génération de théories prend forme autour de l’idée d’un « systé€me monde » proposée par Emmanuel Waller- stein. Selon ce courant, le développement et le sous- développement s’inscrivent tous deux dans la dynamique d’ex- pansion et d’intensification du capitalisme aÌ€ l’échelle mondiale. Le monde est soumis aÌ€ un processus auquel sont assujettis tous les pays, et se subdivise en trois zones : centrale, semi- périphérique et périphérique, alors que les échanges entre ces pays sont inégaux.

Mais c’est l’avé€nement de la crise économique amorcée par le choc pétrolier des années 1970 et le processus de mondialisation qui s’en est suivi pendant les décennies 1980-1990 qui mar- queront une rupture fondamen- tale dans la conception du développement. Alors que les économies du Nord sont déstabilisées et que la crise sonne le glas des trente glorieuses, le Tiers-monde éclate en trois blocs : les pays pétroliers, les nouveaux pays indus- trialisés et les pays moins avancés. Les années 1980 sont qualifiées de décennie perdue pour le développement, alors que les pays du Nord tentent de sauver les meubles et que les pays du Sud se voient imposer des politiques d’ajustement structurel drastiques.

Le processus de mondialisation économique et financié€re vient trans- former l’ordre international et bous- culer les modes de régulation. Au cœur de cette mondialisation s’affrontent deux visions antinomiques du développement et de ses modalités.

Héritié€re de la modernisation, la premié€re proÌ‚ne un développement porté par l’intensification des échanges qui nie la thé€se des échanges inégaux et repose sur des politiques de libre échange, de privatisation et de déréglementation. La seconde est portée par l’idée d’une autre mondialisation reposant sur des contre- pouvoirs issus d’une société civile de mieux en mieux organisée et aÌ€ la source de partenariats Nord-Sud inédits. Cette seconde vision s’inscrit dans la mou- vance d’une réinterprétation du développement désormais dissocié de la croissance économique, de l’industriali- sation et de la consommation, mou- vance aÌ€ laquelle participent la littérature et les discours sur le développement durable, mais aussi celle sur le développement local, le développement communautaire, ou encore le post- développement. D’abord proposé par l’Occident dans le cadre d’une visée hégémonique, le concept de développe- ment jadis industriel, planifié et centra- lisé est ainsi réinterprété par une myriade d’acteurs sociaux aÌ€ la faveur de projets de société alternatifs s’inscrivant dans une autre mondialisation.

Quelle signification l’émergence et la diffusion du concept de développement durable peuvent-elles prendre dans ce contexte de réinterpré- tation du développement? S’il se posait indubitablement comme une alternative aÌ€ la vision traditionnelle du développement aÌ€ ses premié€res heures, il n’est plus possible aujourd’hui de faire l’économie d’une réflexion sur les définitions concurrentes qui sont pro- posées du développement durable.

Les débats entourant le développe- ment durable s’articulent généralement autour de trois définitions que, par com- modité, on peut qualifier de conserva- trice, modérée et progressiste. La premié€re définition, conservatrice, est courante dans les discours des gens d’af- faires mais aussi de certains responsables gouvernementaux. On y assimile croissance et développement en utilisant notamment les expressions « croissance durable », « rentabilité durable », etc. Cette représentation du développement durable s’appuie sur l’idée que « rentabi- lité et environnement vont de pair » et nie la contradiction possible entre l’in- tensification de l’activité économique et la préservation de la biosphé€re.

La deuxié€me définition puise sa source dans les travaux de plus en plus nombreux de l’économie environ- nementale et de l’économie écologique, pour lesquelles le développement durable nécessite un nouvel arrimage entre l’économie et l’écologie. Celui-ci pourrait se faire aÌ€ travers l’internalisa- tion des externalités pour les tenants de l’économie environnementale, ou la refondation des principes économiques en regard des logiques écosystémiques qui caractérisent les régulations naturelles pour l’économie écologique. Mais en proÌ‚nant la croissance zéro, cette seconde proposition n’emporte pas une large adhésion si bien que la définition modérée du développement durable s’articule surtout autour du projet d’in- ternalisation des couÌ‚ts, sans toutefois élaborer sur les dimensions politiques et sociales des stratégies de mise en œuvre d’une telle internalisation.

La troisié€me définition, dite progres- siste, inclut la dimension du social comme élément incontournable du développement durable et se traduit par une conception tripolaire ouÌ€ le social acquiert une importance égale aÌ€ l’envi- ronnement et aÌ€ l’économie. Popularisée par l’Union mondiale pour la conserva- tion de la nature et explicitée par plusieurs chercheurs, la conception tripo- laire du développement durable s’est aujourd’hui institutionnalisée au point d’é‚tre reprise par la plupart des textes offi- ciels et de servir de définition de référence, comme l’illustre bien le Plan de développement durable du Québec.

Toutefois, mé‚me si elle est souvent présentée comme la définition la plus progressiste, ou encore la plus conforme aÌ€ l’esprit du développement durable, nous avons montré ailleurs que dépen- damment des interactions qui sont pos- tulées entre l’économique, le social et l’écologique, la définition tripolaire peut se ramener aÌ€ la perspective conserva- trice, modérée ou, au contraire, ouvrir la voie aÌ€ une véritable prise en compte du social. Ainsi, le postulat d’une interac- tion fondée sur l’hypothé€se dite de soutenabilité faible permet des substitu- tions entre le capital « humain » et le capital naturel, de telle sorte que la dégradation écologique peut é‚tre com- pensée dans ce modé€le par une avancée économique. L’hypothé€se de soute- nabilité forte interdit cette substitution et le modé€le de développement durable qu’elle sous-tend repose sur le nécessaire maintien d’un capital écologique donné. Ces deux hypothé€ses de soute- nabilité confondent néanmoins les poÌ‚les économique et social, alors qu’un poÌ‚le social indépendant suppose la reconnaissance d’une dissociation entre la croissance économique et le développement social. On comprend dé€s lors que le développement durable se pose en plus ou moins grande contra- diction avec le développement indus- triel traditionnel selon la définition qu’on lui donne.

Il n’en reste pas moins que mé‚me dans ses définitions plus conserva- trices, la diffusion du concept de développement durable traduit un renouvellement de la pensée sur le développement quant aÌ€ quelques élé- ments clefs. D’une part, les ressources naturelles et la capacité de charge de la biosphé€re ne peuvent plus é‚tre ignorées et doivent é‚tre, d’une manié€re ou d’une autre, prises en compte dans la planifi- cation et les stratégies de développe- ment. D’autre part, les irréversibilités introduisent le long ou le tré€s long terme dans un processus décisionnel qui était jusqu’alors axé sur le présent. L’environnement ne peut plus é‚tre totalement instrumentalisé dans un schéma de ressources et acquiert le statut surdéterminant de support aÌ€ la vie (life support). De plus, en rupture avec les postulats rostowiens, la recon- naissance, mé‚me uniquement séman- tique, d’un poÌ‚le social indépendant du poÌ‚le économique illustre la disso- ciation aujourd’hui admise entre l’économie ”” et plus spécifiquement la croissance économique ”” et le développement. Enfin, l’émergence des problé€mes environnementaux globaux tels que les changements climatiques ou la préservation de la biodiversité consacre l’interdépendance entre les pays, tout spécialement ceux du Nord et ceux du Sud.

Mais dans la mesure ouÌ€ on souhaite lui donner un véritable contenu et traduire la rupture qu’appellent les défis de la problématique environnementale, le développement durable repose sur un agencement hiérarchisé de ses trois poÌ‚les environnemental, économique et social, aÌ€ travers lequel le développement respecte l’intégrité de l’environnement en préservant les grandes régulations écologiques (climat, biodiversité, eau, etc.), contribue effectivement au mieux- é‚tre des personnes et des sociétés et instrumentalise l’économie aÌ€ cette fin. Bref, l’intégrité écologique est une con- dition, l’économie un moyen, et le développement social et individuel une fin du développement durable, alors que l’équité en est aÌ€ la fois une condition, un moyen et une fin. La mise en œuvre du développement durable suppose par ailleurs un systé€me de gouvernance qui assure la participation de tous aux processus de décision et permet l’expres- sion d’une éthique du futur graÌ‚ce aÌ€ laquelle sont prises en compte les générations aÌ€ venir.

Rendu public en novembre dernier, le Plan de développement durable du Québec proposé par le ministre Mulcair comportait notamment une démarche de consultation, un avant- projet de loi sur le développement durable, de mé‚me qu’un plan gouverne- mental 2004-2007 sur la diversité biologique com- prenant une stratégie ainsi qu’un plan d’action.

Déposé en juin dernier suite aÌ€ la consultation ministérielle, le projet de Loi sur le développement durable, une des pié€ces maiÌ‚tresses du plan dont l’ap- plication relé€ve du ministé€re de l’Environnement, vise aÌ€ instaurer un cadre de gestion permettant aÌ€ l’adminis- tration publique de concourir aÌ€ un développement durable. Il contient des mesures visant l’intégration du développement durable dans les poli- tiques, programmes et actions publiques, de mé‚me que la cohérence des actions gouvernementales graÌ‚ce aÌ€ l’adoption d’une stratégie globale de développe- ment durable. AÌ€ l’instar du gouverne- ment fédéral, il instaure un poste de commissaire au développement durable pour assister le vérificateur général. Le projet de loi prévoit également la créa- tion d’un fonds vert destiné au finance- ment d’activités ou de mesures de développement durable mises de l’avant par le ministé€re de l’Environnement, plus particulié€rement dédiées aÌ€ la dimension environnementale, ainsi qu’au financement des municipalités ou des groupes environnementaux. Enfin, il insé€re un nouveau droit aÌ€ un environ- nement sain et respectueux de la biodi- versité dans la section des droits économiques et sociaux de la Charte des droits et libertés de la personne.

Il faut saluer l’initiative du gou- vernement et le leadership du ministre de l’Environnement qui posent, avec ce plan de développement durable, un premier jalon essentiel de la modernisation écologique du Québec et de son économie. Un engagement en faveur du développement durable requiert en premier lieu, et cela est reconnaissable dans la démarche proposée, une orien- tation claire de l’administration en faveur du développement durable et l’intégration de ses principes aÌ€ tous les échelons et dans tous les domaines de gouvernement. AÌ€ cet égard, le projet de loi est l’élément indispensable d’une nouvelle gouvernance susceptible de relever les défis de la problématique environnementale dans le contexte par- ticulier d’une réorganisation des poÌ‚les de régulation inhérente au processus de mondialisation économique. La nomi- nation d’un commissaire au développe- ment durable, notamment, est une mesure essentielle qui permettra de mesurer les progré€s et d’assurer l’im- putabilité de l’administration. Toutefois, le Plan suscite quelques ques- tions ainsi que des réserves que n’ont pas manqué de relever les analystes aÌ€ l’occasion de la tournée de consultation du ministre Mulcair.

En premier lieu et de façon générale, bien que l’initiative du ministre soit tré€s positive et qu’on peut penser « qu’il était temps », il ne faudrait pas réduire l’inévitable Plan de développement durable du Québec aÌ€ sa composante gou- vernementale. Le Plan de développement durable pour le Québec est un intitulé qui suscite la confusion, car ce qui est proposé par le gouvernement, outre la stratégie concernant la biodiversité, est d’abord et avant tout un plan de « verdissement » de l’administration publique. Or, aÌ€ la lecture des mémoires déposés dans le cadre de la Commission ministérielle, on peut se demander si la population du Québec ne souhaitait pas déjaÌ€ é‚tre conviée aÌ€ un exer- cice de réflexion plus englobant sur le développement du Québec et les défis d’un virage, notamment quant aÌ€ la struc- ture économique et industrielle, vers un développement durable. Une stratégie de développement durable requiert notam- ment de se pencher sur l’intensité écologique des activités économiques en vue de « découpler les pressions sur l’en- vironnement de la croissance économique » comme nous y invite l’OCDE dans sa Stratégie de l’environ- nement : Bilans en 2004, ce qui suppose de repenser la structure industrielle du Québec et de réfléchir aux habitudes de consommation des Québécois.

En ce qui concerne le projet de loi plus spécifiquement, plusieurs de ses éléments mériteraient une réflexion plus approfondie, aÌ€ commencer par la formulation, l’organisation et la hiérar- chisation des principes de développe- ment durable retenus. Le projet de loi comporte d’ailleurs une amélioration notable au chapitre de la définition du développement durable par rapport aÌ€ l’avant-projet de loi ouÌ€ on avait opté pour la définition suivante : « processus continu d’amélioration des conditions d’existence des populations actuelles qui ne compromet pas la capacité des générations futures de faire de mé‚me et qui inté€gre harmonieusement les dimensions environnementale, sociale et économique du développement ». On peut comparer la définition du développement durable proposée par l’avant projet de loi avec celle du rap- port Brundtland, publié par la Com- mission des Nations unies sur l’Environnement et le Développement (1988) : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des généra- tions futures de répondre aux leurs ».

Deux concepts sont inhérents aÌ€ cette notion : le concept de besoins et plus particulié€rement des besoins essentiels des plus démunis, aÌ€ qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capac- ité de l’environnement aÌ€ répondre aux besoins actuels et aÌ€ venir.

Sur la base d’un texte subséquent, le gouvernement avait choisi de rem- placer la notion de « besoins » par celle de « conditions d’existence des popu- lations actuelles », et il ne s’agissait plus tant de « répondre » aÌ€ des besoins que d’« améliorer » des conditions d’existence. Le gouvernement semblait vouloir éviter le concept de « besoin » qui peut donner lieu aÌ€ de multiples interprétations. Mais le concept de « conditions générales d’existence » était encore plus imprécis, sans compter qu’il nous éloignait de la pré- cision contenue dans le rapport Brundtland concernant la priorité des « besoins essentiels des plus démunis ». Faisant écho aÌ€ plusieurs critiques émis- es lors de la consultation, le projet de loi est revenu aÌ€ la définition tradition- nelle du développement durable héritée du rapport Brundtland.

Contrairement aÌ€ l’avant-projet de loi, le projet de loi n’envisage plus explicitement le développement durable comme un processus qui inté€- gre harmonieusement les dimensions environnementale, sociale et économique du développement. En insistant sur cette visée harmonieuse, le gouvernement évacuait dans son avant- projet de loi les arbitrages inévitables entre les dimensions environnemen- tale, sociale et économique que suppose la prise de décision, et évitait l’hypothé€se d’une éventuelle hiérarchie entre les dimensions, ce qui ouvrait la voie aÌ€ une substituabilité des capitaux humain, social et économique. Cette perspective « d’harmonie » tend aÌ€ réduire le développement durable aÌ€ un développement traditionnel et aÌ€ le vider de son sens. Par contre, le projet de loi fait toujours peu de place aÌ€ l’équité et aÌ€ la gouvernance.

Les principes de développement durable mis de l’avant dans le plan et sur lesquels s’appuieront les stratégies de développement durable des ministé€res sont pour leur part exhaustifs, précis et assez bien formulés. Mais mé‚me s’ils s’inspirent des principes adoptés aÌ€ Rio, ils s’en distinguent néanmoins en né- gligeant d’intégrer certains éléments qui nous paraissent essentiels aÌ€ toute stratégie de développement durable, tels que l’équité sociale et l’intégration des femmes, des jeunes et des autochtones.

Enfin, mé‚me si on a fait grand cas du droit aÌ€ un environnement sain que le ministre a proposé d’inclure dans la Charte des droits et libertés au moment de l’annonce du plan en novembre dernier, plusieurs spécia- listes estiment que la portée de ce droit en termes de contribution aÌ€ la protec- tion de l’environnement serait assez limitée. L’inclusion d’un tel droit, compte tenu notamment de son inti- tulé actuel qui le limite « dans la mesure et suivant les normes prévues parlaloi»,nedoitpassefaireaÌ€la légé€re en raison de ses répercussions potentielles sur l’ensemble du corpus législatif relatif aÌ€ la protection de l’en- vironnement.

A insi, bien que l’initiative du gou- vernement doive é‚tre saluée, cer- tains éléments du plan pourraient é‚tre bonifiés et mé‚me questionnés. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’un plan de développement durable dédié aÌ€ l’administration publique puisse é‚tre mis en œuvre au sein de l’administra- tion par le ministé€re de l’Environnement, qui ne dispose ni des ressources ni de l’autorité nécessaires pour convaincre les autres ministé€res, d’une part, et n’a de juridiction que sur l’un des poÌ‚les du développement durable, l’environnement, d’autre part.

De plus, le fonds vert prévu dans le projet de loi ne viendra pas régler les problé€mes de sous-financement chronique du ministé€re de l’Environ- nement, mé‚me s’il assurera une cer- taine autonomie dans le financement de diverses activités. La création du fonds vert ne dispense pas le gouverne- ment de procéder aux investissements massifs que nécessitera un véritable virage du Québec vers le développe- ment durable, sans compter que l’absence d’un budget associé au plan proposé enlé€ve beaucoup de crédibilité aÌ€ la démarche et aÌ€ la volonté réelle du gouvernement d’entamer un tel virage. Les décisions précédentes du gouverne- ment dans de multiples dossiers tels que le transport de mé‚me que les coupures dont a encore fait l’objet le ministé€re du Développement durable, Environnement et Parcs tendent aÌ€ questionner cette volonté et nour- rissent l’hypothé€se d’une opération visant davantage l’accroissement du capital politique que la protection effective de l’environnement. 

 

Cet article a été écrit avec la collaboration de Jean- Pierre Revéret, Gisèle Belem, Véronique Bisaillon et Patrick Laprise.

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