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Les menaces du président américain Donald Trump contre la souveraineté du Canada ravivent la fibre patriotique des Canadiens. L’élection fédérale l’a bien montré : jusqu’à la toute fin de la course, la question de l’urne aura été de savoir quel candidat serait le plus apte à défendre le pays contre les tarifs et les menaces d’annexion.   

Les électeurs canadiens ont tranché en faveur du chef du Parti libéral : Mark Carney.

Pour les communautés autochtones du Canada, ces vagues de patriotisme et ce changement de leadership ne sont pas synonymes d’espoir et de renouveau. Le pouvoir a beau changer de main, il repose sur une continuité institutionnelle façonnée depuis plus de 150 ans, souvent sans — voire contre — la reconnaissance des droits autochtones. 

Qu’il s’agisse de Mark Carney ou d’un autre premier ministre, le problème est que la logique profonde de l’État canadien reste inchangée : elle repose sur la centralisation du pouvoir, le contrôle des ressources et la gestion des peuples autochtones à travers des structures coloniales, comme la Loi sur les Indiens. Les visages politiques changent, mais les mécanismes de domination demeurent. 

Une souveraineté conditionnelle et vulnérable 

Face aux États-Unis, le Canada marche à son tour dans les mocassins des peuples autochtones et comprend ce que cela signifie d’être soumis à un pouvoir extérieur qui dicte les règles du jeu. La réaction hésitante de Justin Trudeau devant les premières menaces de Trump a illustré cette fragilité : un État dépendant économiquement d’un voisin dominateur ne peut pleinement affirmer sa souveraineté. 

Ce dilemme rappelle celui que vivent les Premières Nations depuis les débuts de la colonisation. Lorsque les traités ont été signés, les promesses étaient solennelles : tant que le soleil brillera, que l’herbe poussera et que les rivières couleront… Mais ces promesses ont ensuite été trahies par une logique d’assimilation et de dépossession. 

Le transfert des services de protection de l’enfance vers les communautés autochtones est-il un échec en devenir? 

Les structures du fédéralisme et les relations avec les peuples autochtones 

Justin Trudeau et les Autochtones : un héritage colonial tenace 

Aujourd’hui, c’est le Canada qui découvre l’instabilité d’une dépendance à un partenaire plus puissant. Les accords de libre-échange négociés sous le gouvernement Mulroney et renégociés avec Trump sous Trudeau ont renforcé cette vulnérabilité. Le Canada se retrouve dans une position délicate, dépendant des décisions unilatérales de Washington, une situation que les Premières Nations connaissent trop bien. 

Deux poids deux mesures devant la menace 

Lorsque les Premières Nations défendent leurs droits, que ce soit par des blocages ferroviaires, des occupations pacifiques ou des recours juridiques, la réponse de l’État est souvent rapide, brutale et inflexible. On déploie la GRC. On invoque les tribunaux. On mobilise l’armée.  

Mais lorsque le président Trump menace ouvertement l’économie canadienne, la réaction est prudente, parfois craintive. Doug Ford lui-même, d’abord en mode confrontation, a reconnu que les attaques de l’administration Trump sur les exportations canadiennes d’aluminium avaient provoqué une « guerre commerciale inutile ». Il a menacé de couper l’électricité aux États américains, mais s’est rapidement ravisé, saluant ensuite le ton plus conciliant du secrétaire au commerce de Trump — surtout après les menaces de représailles venant de Washington. 

Ce contraste en dit long : le gouvernement canadien se montre intransigeant envers les plus vulnérables, y compris au sein de sa propre population, mais adopte un ton nettement plus conciliant face à une puissance étrangère dès qu’un risque économique se dessine. 

Revoir notre conception de la souveraineté 

Ce n’est pas un hasard si, malgré les changements de premiers ministres, les politiques fondamentales restent les mêmes. Le contrôle des terres, les interventions policières contre les Wet’suwet’en, les batailles juridiques devant le Tribunal canadien des droits de la personne concernant les enfants autochtones — rien n’a changé. 

Le Canada aime se voir comme un pays juste et équitable. Mais il agit trop souvent comme un empire bureaucratique, fondé sur une mémoire sélective, une force centralisatrice et une indifférence persistante aux voix autochtones.

Le moment est venu de revoir notre conception de la souveraineté. Ce n’est pas en hissant un drapeau ou en changeant de chef de gouvernement que l’on devient véritablement indépendant. C’est en reconnaissant la souveraineté de tous les peuples qui partagent ce territoire. 

Les Premières Nations ne demandent ni charité ni excuses : elles exigent le respect des traités, l’autonomie réelle, et une place équitable dans la diplomatie et les relations internationales — notamment comme nations transfrontalières dotées de leurs propres intérêts. 

La souveraineté du Canada ne sera légitime que lorsqu’elle intégrera celle des Premiers Peuples. Elle ne peut plus reposer sur l’exclusion, le paternalisme ou la peur. Dans un monde instable, les alliances les plus solides doivent commencer ici même, sur cette terre partagée.

Avant son élection, le nouveau premier ministre Mark Carney a réitéré son engagement à faire progresser la réconciliation et souligné que le gouvernement fédéral sollicitera l’avis des dirigeants autochtones sur la manière de bâtir l’économie canadienne.  Pourtant, lors d’un arrêt à Winnipeg dans le cadre de la campagne, il n’a prononcé aucun mot de reconnaissance envers les peuples autochtones ni même évoqué la réconciliation. 

Trump : un miroir pour le Canada 

Donald Trump, avec ses menaces, son nationalisme agressif et sa vision transactionnelle des relations internationales, n’est pas une anomalie dans le paysage politique — il est un miroir. Il montre au Canada ce que cela signifie d’être dominé. Ce que cela fait de voir ses droits menacés par une logique de puissance. Ce que vivent les Premières Nations depuis des générations. 

Il est ironique de constater que l’État canadien, qui a historiquement négligé ou minimisé les demandes des peuples autochtones au nom de la souveraineté nationale, doit maintenant combattre pour sa propre indépendance. Puisse-t-il en tirer des enseignements durables. 

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Robert-Falcon Ouellette
Robert-Falcon Ouellette est originaire de la nation crie Red Pheasant en Saskatchewan. Vétéran des Forces armées canadiennes et professeur agrégé en éducation à l'Université d'Ottawa, il mène des recherches en éducation autochtone, éthique militaire et sciences politiques. Il est le deuxième Autochtone à avoir obtenu un doctorat de l’Université Laval en 350 ans. Ex-député fédéral, il présidé le caucus autochtone et contribué à changer la législation sur les services à l'enfance et à la famille ainsi que sur les langues autochtones. Il a aussi contribué à la transformation de l’institution gouvernementale pour favoriser la Réconciliation.  

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