Il y a d’abord eu Gaétan Barrette qui, en 2014, est passé de la Coalition avenir Québec (CAQ) au Parti libéral du Québec (PLQ). Puis Sébastien Proulx, autrefois député de l’Action démocratique du Québec, qui est devenu libéral en 2015. Et ensuite Dominique Anglade, qui a rompu avec ses allégeances caquistes à la fin de 2015 pour rejoindre le PLQ. Tous trois sont devenus des ministres influents du gouvernement de Philippe Couillard. Et ils ont contribué à fonder un nouveau modèle, celui du candidat ambitieux qui navigue entre les partis pour se trouver une niche avantageuse, et idéalement un poste de ministre.
Ainsi, Marguerite Blais, autrefois ministre libérale, est maintenant avec la CAQ. D’autres, qui n’étaient nulle part, ont « magasiné » les différents partis avant de se joindre au plus offrant. Le cas le plus spectaculaire est certainement celui de Gertrude Bourdon, qui a butiné presque partout avant de faire son choix. Mais celui d’Enrico Ciccone, devenu candidat libéral après avoir flirté avec la CAQ, semble encore plus étonnant : qu’avait exactement à offrir cet ancien joueur de hockey à la notoriété marginale ? Et puis, il y a l’ex-chroniqueur Vincent Marissal, qui a approché le Parti libéral du Canada de Justin Trudeau avant de devenir souverainiste façon Québec solidaire (QS). Dans son cas au moins, on peut écarter le souhait de devenir ministre.
On pourrait interpréter tous ces mouvements de personnel comme un effet du cynisme et de l’ambition, qui réussira à certains, mais en conduira plusieurs au bûcher des vanités. Or il y a plus. Structurellement, l’écart entre les partis est devenu bien mince. Entre le PLQ et la CAQ notamment, le saut ne semble pas difficile à faire : même positionnement fédéraliste, même sensibilité de centre droite ; il reste tout au plus des nuances sur les questions identitaires, qui sont probablement essentielles pour la forte base anglophone et allophone du PLQ. Mais c’est presque une question de saveur.
La campagne électorale qui s’amorce nous permet en fait de prendre la mesure du consensus politique qui existe au Québec. Dans ses écrits, le politologue à l’Université de Toronto Rodney Haddow a souvent noté que, si on fait abstraction de la question nationale, l’écart entre les partis est moins grand au Québec que dans les autres provinces. Il n’y a pas au Québec, explique-t-il, de parti véritablement voué à faire reculer l’État-providence au nom du libre marché.
Dans un article d’Options politiques, Olivier Jacques suggérait que le débat sur la question nationale avait divisé les partis sur l’axe souverainiste-fédéraliste et contribué à ancrer le PLQ proche du centre, prévenant ainsi l’émergence d’un fort clivage droite-gauche au Québec. Il concluait en se demandant si l’atténuation du débat sur la souveraineté et la montée de la CAQ et de QS n’allaient pas changer la donne à cet égard.
Si on en juge par les premiers mouvements de l’actuelle campagne électorale, cela ne semble pas être le cas. Tous les partis rivalisent de propositions pour faciliter la vie des familles ou celle des aînés, et personne ne semble remettre en question les piliers de la protection sociale. Ce qui différencie le plus le Parti québécois (PQ) de ses adversaires, c’est une proposition authentiquement sociale-démocrate : pour en faire davantage, avance-t-il, il faut accepter de maintenir les impôts de tout un chacun au niveau actuel. La CAQ et le PLQ ont plutôt tendance à promettre d’en faire plus avec moins, une antienne typique du discours de la droite. En général, avec moins, on finit par faire moins. QS règle le problème en proposant de « faire payer les riches », la solution standard de la gauche populiste.
Loin de moi l’idée de nier l’existence de différences substantielles entre les partis. Pour qui s’intéresse aux politiques publiques, des écarts considérables persistent entre une préférence pour les services de garde privés ou pour les centres de la petite enfance, entre des plans pour la mobilité durable et la transition énergétique, ou entre les priorités dans le financement de la santé. Mais au-delà de ces différences, un consensus demeure sur des grands pans du modèle québécois, probablement parce que tous les partis savent que c’est ce que souhaitent les électeurs.
Les partis veulent tous faciliter la vie des Québécois, ils veulent le faire maintenant et sérieusement, et c’est sur cette base qu’ils espèrent devenir populaires.
Comment dire ? Les partis veulent tous faciliter la vie des Québécois, ils veulent le faire maintenant et sérieusement, et c’est sur cette base qu’ils espèrent devenir populaires.
Dans une entrevue récente, l’éditorialiste en chef de La Presse François Cardinal suggérait que le clivage entre souverainistes et fédéralistes, qui a marqué la vie politique québécoise, était en train de céder la place à une division entre nationalistes et cosmopolitains, les premiers étant plus inquiets face à la mondialisation, à l’immigration et au multiculturalisme, et les seconds plus ouverts sur le monde. Le PQ à gauche et la CAQ à droite auraient une sensibilité davantage nationaliste ; le PLQ à droite et QS à gauche seraient plus cosmopolites. Cardinal n’a certainement pas tort, d’autant plus que ce nouveau clivage se dessine dans presque toutes les démocraties occidentales. Mais encore une fois, la distance entre les partis n’est pas très grande. L’expérience du PQ avec sa Charte des valeurs a convaincu tous les partis qu’il fallait agir avec précaution sur ce terrain et que, s’ils peuvent être inquiets, les Québécois ne veulent pas non plus provoquer des remous ou causer des injustices.
À une époque d’excès idéologiques et de démagogie autoritaire, cette relative modération du débat politique québécois, ce consensus entre les partis pour maintenir et améliorer nos grands acquis institutionnels et sociaux, constitue assurément une bonne nouvelle. Il suggère aussi que le Québec est peut-être mûr pour une réforme du mode de scrutin instaurant la représentation proportionnelle et rendant plus probable la constitution de gouvernements de coalition.
En tout état de cause, cette modération permet de prendre avec un grain de sel les tractations de candidats prêts à tout, qui ne semblent pas trop regardants sur les détails.
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