(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Alors que les cibles du Canada en matière de carboneutralité d’ici 2050 se font plus ambitieuses, les décideurs politiques sont confrontés à la difficulté de créer des voies de passages viables pour la transition environnementale. Les nombreux défis sont souvent présentés de façon négative, en mettant l’accent sur le recul économique et les pertes d’emploi, particulièrement dans les secteurs plus polluants de l’extraction du pétrole et du gaz et de la fabrication. Mais nous devons aussi penser à préparer les travailleurs à répondre aux besoins d’une économie verte qui poursuit sa croissance.

Des modélisations économiques récentes et à paraître indiquent que la population active au Canada n’a pas les compétences nécessaires pour gérer la prochaine phase de nos efforts de décarbonisation. Des programmes de développement des compétences doivent être mis en place de toute urgence, en même temps qu’un soutien élargi aux transitions et à la mobilité sur le marché du travail. Nous avons besoin d’une main-d’œuvre nombreuse et qualifiée pour réaliser les projets nécessaires à l’atteinte de nos cibles climatiques et à la transition du Canada vers la carboneutralité. Comment y parvenir ?

Comment le marché du travail deviendra-t-il vert ?

Trois scénarios sont présentés dans le rapport à paraître Jobs and Skills in the Transition to a Net-Zero Economy de l’Institut pour l’intélliProspérité, le Diversity Institute et le Centre des Compétences futures (CCF), qui se sont spécifiquement penchés sur la transition du Canada vers ses cibles de carboneutralité. Ces scénarios de réduction des émissions vont de la captation intensive du carbone à la transition à l’utilisation d’énergies de transitions.

En somme, la transition économique demande d’abandonner la production de pétrole et de gaz au profit de l’industrie manufacturière, de la construction, des énergies propres, des transports et d’autres secteurs au sein desquels la technologie ou les processus évoluent pour répondre aux changements dans le marché ou dans les orientations politiques.

On a beaucoup écrit sur le rôle de l’automatisation dans la réduction du nombre d’emplois. Pourtant, la recherche promet aussi de nouveaux postes. Le rapport sur les cheminements professionnels verts du Conference Board du Canada et du CCF estime que, parmi les 3,5 millions de personnes occupant actuellement des postes à fort risque d’automatisation, 65 % d’entre elles pourraient réorienter leur carrière avec succès – dans des secteurs tels que la production d’énergie propre, l’efficacité énergétique et la gestion environnementale – avec une formation d’à peine six mois. La quasi-totalité de ces travailleurs pourrait accomplir cette transition après une formation d’un an, et une formation de trois ans élargirait considérablement leurs options pour intégrer ces secteurs à forte croissance.

De la même façon, le rapport Jobs and Skills de l’Institut pour l’intélliProspérité indique que plusieurs postes dans les secteurs où des emplois disparaîtront sont transférables à des secteurs nouveaux et en pleine transformation. Les compétences actuelles peuvent être recyclées dans l’économie du futur.

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Des populations plus vulnérables

La principale difficulté à laquelle nous faisons face ne concerne donc pas le volume d’emplois dans l’économie canadienne du futur, mais plutôt l’ampleur et la vitesse de la transition. Si les modélisations de l’Institut pour l’intélliProspérité sont exactes, les transitions qui pourraient affecter jusqu’à un quart de tous les emplois actuels seront vivement ressenties, particulièrement dans les communautés qui dépendent dépendent davantage des secteurs économiques plus polluants. Pour rajouter à l’incertitude, plusieurs de ces secteurs vulnérables sont aussi susceptibles de connaître des changements très rapides, selon les aléas des marchés et le contexte politique mondial.

Le Conference Board du Canada, l’Institut climatique du Canada et l’Institut pour l’intélliProspérité ont tous noté d’importantes inadéquations de compétences selon les régions. Dans les secteurs dont on prévoit le déclin, comme l’extraction de pétrole et de gaz, la fabrication à forte intensité d’émissions et les industries minières, tous les travailleurs ne réussiront pas leur transition en raison d’une mobilité géographique restreinte ou de la disponibilité et du coût de la formation.

Si on ne s’y attaque pas, ces écarts de compétences posent de sérieux risques pour la capacité du Canada à atteindre ses objectifs environnementaux et à récolter les fruits de la transition. Des goulots d’étranglement pourraient apparaître sous la forme de pénuries de compétences actuelles ou futures dans différents secteurs de la transition verte et dans les nouveaux domaines d’activité économique « propre », aussi bien que dans la mise en œuvre des transitions pour abandonner les activités à forte émission de carbone. Pour répondre à ce problème, il faudra intégrer les considérations concernant la croissance de la main-d’œuvre face aux tendances du marché tout en s’assurant que celle-ci a les compétences nécessaires pour réaliser les projets requis et à une échelle suffisante pour atteindre les cibles climatiques nationales.

De plus, les populations marginalisées pourraient porter un fardeau démesuré sur le marché du travail. Toute proportions gardées, les Autochtones et les minorités visibles sont surreprésentés dans les secteurs menacés par la transition (particulièrement dans la production de pétrole et de gaz et dans l’industrie minière). On s’attend à ce qu’ils soient les plus vulnérables aux transitions, sans oublier qu’ils constituent déjà une part disproportionnée des personnes sans emploi.

On peut répondre à certaines de ces préoccupations en cultivant l’égalité dans l’éducation et le développement des compétences. Toutefois, il sera aussi crucial de combattre les autres barrières de discrimination systémique, étant donné que ces tendances se répliqueront dans l’économie du futur si on ne s’y attaque pas dès maintenant.

Comment préparer les travailleurs à saisir ces occasions ?

Même si la tâche peut sembler intimidante, préparer les travailleurs canadiens est possible. Les entreprises commencent à identifier une variété de besoins, allant des compétences en recherche et développement à celles relatives à la mise en œuvre de nouvelles pratiques dans la fabrication, l’installation et l’entretien. Certaines entreprises canadiennes sont en bonne position pour devenir des joueurs actifs dans la transition de l’économie mondiale. Plusieurs sont des chefs de file dans des secteurs tels que les technologies minières, la technologie des piles à combustible et les protéines végétales. Parmi ces entreprises, 13 figurent au palmarès Global Cleantech 100 de 2022.

Les travailleurs canadiens sont parmi les mieux éduqués dans le monde, et les occasions sont nombreuses pour étendre la capacité de ceux travaillant dans des métiers spécialisés à répondre aux besoins du futur. ECO Canada le montre avec son projet d’élaboration de normes de travail nationales pour des formes d’activité économique plus durables dans les régions côtières et sur l’océan; le Conseil du bâtiment durable du Canada fait de même avec son projet pour développer et mettre à l’essai différentes approches de développement de compétences en construction écologique. Il faut en faire plus pour promouvoir ces occasions (et les besoins de formation associés) dans tout l’écosystème d’information du marché du travail.

Les établissements canadiens offrant des formations axées sur les compétences, du recyclage professionnel et du perfectionnement peuvent appuyer cette transition en investissant dans le remaniement de leurs programmes existants et dans l’élaboration de nouveaux programmes afin de préparer les travailleurs actuels et futurs à des carrières qui seront vitales pour l’avancement de la transition verte. Mais nécessairement, plusieurs de ces compétences techniques varieront d’une région à l’autre, tout comme les occasions économiques varieront selon les régions et les secteurs.

Les établissements d’enseignement et les centres de formation doivent songer à la meilleure façon de préparer les travailleurs pour le court et le long terme, ce qui peut demander des approches bien différentes. Si les compétences techniques sont importantes, les rapports Jobs and Skills et Cheminements professionnels verts avancent que les compétences de base comme la résolution de problème, l’acquisition continue du savoir et la résilience resteront toujours aussi cruciales à mesure que changent la technologie et les politiques.

Enfin, d’innombrables étapes doivent être franchies afin de rendre la réalité des transitions du marché de l’emploi plus concrète pour les travailleurs. Les joueurs de l’écosystème d’information sur le marché du travail devront continuer de travailler sur les structures de données sous-jacentes qui nous indiquent quels sont les rôles qui émergeront et comment développer les compétences nécessaires pour les occuper.

Les politiques favorisant les transitions sur le marché du travail (comme l’assurance-emploi et les subventions au salaire et à la formation pour les entreprises) devront être conçues pour favoriser les investissements d’argent et de temps dans des emplois qui contribuent à la décarbonisation. En fin de compte, les chercheurs devront faire le dur travail de passer au crible la pluralité de réalités économiques régionales et communautaires, puis mobiliser tout ce savoir plus directement auprès de groupes dont les décisions seront déterminantes en cette période de changement.

Cet article fait partie du dossier spécial L’avenir du travail et de la formation.

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Mike Moffatt
Mike Moffatt est directeur principal des politiques à l’Institut pour l’intelliProspérité et professeur adjoint du groupe sur le commerce, l’économie et les politiques publiques à la Ivey Business School de l'Université Western. Son compte Twitter est @MikePMoffatt.
Samir Khan
Samir Khan est associé principal de recherche et d’évaluation au Future Skills Centre, à Toronto. Son compte Twitter est @arealsamirkhan

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