Qui n’aime pas les solutions simples aux problèmes complexes ? L’analyse coût-avantage sert depuis longtemps de boule magique pour les décisions politiques des gouvernements. Si les coûts dépassent les avantages, la politique proposée doit être mise au rancart. Si les avantages dépassent les coûts, elle obtient normalement le feu vert.

Or, lorsqu’il est question de politiques climatiques, l’analyse coût-avantage induit les décideurs en erreur. En effet, généralement, elle surestime les coûts et sous-estime les effets bénéfiques, et convient mieux aux changements progressifs qu’à la transformation systémique requise pour lutter contre les changements climatiques.

Le temps est venu pour les gouvernements de revoir les outils qu’ils utilisent pour prendre des décisions sur les politiques climatiques. Les enjeux ne pourraient être plus importants : si on fait les mauvais choix aujourd’hui, les conséquences économiques et sociales n’en seront que pires demain, particulièrement au vu des changements majeurs qui guettent le marché mondial. De meilleures grilles d’analyse peuvent nous guider vers une meilleure prise de décision, telle l’analyse risque-opportunité. Une étude publiée en 2021 par Jean-François Mercure et ses coauteurs en fait foi. Ils y évaluent un éventail d’impacts positifs et négatifs en accord avec différents scénarios possibles.

L’analyse coût-avantage ne permettra pas des changements transformateurs

Lorsqu’il est question d’évaluer des choix politiques bien précis dans la lutte contre les changements climatiques, l’analyse coût-avantage rate la cible pour quatre raisons.

1. On considère les dépenses des entreprises comme des coûts et non des investissements. L’analyse coût-avantage traditionnelle ne tient pas compte des avantages compétitifs qui découlent des mesures que prennent les entreprises pour s’adapter aux politiques. Elle classe toute forme de dépense comme des pertes, avant de les comparer aux retombées positives. Pourtant, bon nombre des dépenses que font aujourd’hui les entreprises sont susceptibles d’être payantes demain, alors que s’accélère la transition vers la sobriété en carbone partout dans le monde. Les dépenses qui généreront des profits devraient donc être perçues comme des investissements. Il est crucial d’accroître les investissements du secteur privé dans la réduction des émissions et l’offre de nouveaux produits porteurs de la transition écologique. C’est ainsi que nous pourrons renforcer la résilience de l’économie canadienne dans un contexte de changement planétaire.

2. On fait fi des entreprises qui pourraient profiter de ces politiques. L’analyse coût-avantage vise habituellement les grandes entreprises bien établies qui devront composer avec les coûts, plutôt que les jeunes entreprises qui pourraient observer une hausse de la demande pour leurs produits ou services. Le Canada compte plus de 500 entreprises qui pourraient profiter de l’intensification de l’action climatique. Il est donc essentiel de soutenir la croissance des entreprises et des secteurs qui sont bien placés pour saisir les occasions du marché dans le cadre de la transition mondiale vers la sobriété en carbone, de façon à améliorer la compétitivité à long terme du pays.

3. On ne tient pas compte des retombées sociales de l’adoption des technologies. Les politiques qui favorisent l’adoption de technologies contribuent aussi à faire baisser le coût des technologies liées aux énergies renouvelables, puisqu’elles font augmenter les taux d’apprentissage et les économies d’échelle. Cela crée une spirale de retombées positives (ou un « vortex vert») qui accroît encore plus l’adoption des technologies et facilite l’atteinte d’objectifs climatiques ambitieux. Les politiques qui entraîneront un jour une diminution des coûts — et qui, par conséquent, encouragent les avancées mondiales dans la réduction des émissions — ont des retombées sociales allant au-delà des réductions d’émissions réalisées.

4. On ignore les retombées certaines des politiques. La réglementation est souvent perçue purement comme un frein à la croissance économique et un fardeau pour les entreprises. Pourtant, en matière de politiques climatiques, quand l’ampleur de la transition et l’échéancier pour la mener sont clairement définis aux yeux des entreprises, la situation peut susciter des investissements privés. Les orientations politiques claires peuvent être synonymes de retombées économiques.

Prenons par exemple l’engagement du gouvernement fédéral à faire en sorte que d’ici 2035 tous les camions légers et les voitures vendus soient des véhicules zéro émission. S’il se fondait sur une analyse coût-avantage traditionnelle pour évaluer les politiques appuyant l’atteinte de cet objectif, le gouvernement pourrait conclure qu’il serait préférable pour l’économie de privilégier des changements graduels. Cet argument suppose qu’une approche plus lente se traduirait par des coûts moindres pour les fabricants automobiles. En réalité, cette décision pourrait ralentir la croissance économique et la création d’emplois futurs.

Lorsque nous avons soumis divers fabricants automobiles à des simulations de crise selon différents scénarios de transition mondiale vers la sobriété en carbone pour notre rapport Ça passe ou ça casse : Transformer l’économie canadienne pour un monde sobre en carbone, les avantages compétitifs d’investissements précoces dans les véhicules électriques se sont avérés évidents. La figure ci-dessous montre que les constructeurs automobiles qui investissent dans ces véhicules verront leur rentabilité augmenter jusqu’en 2050, tandis que les autres enregistreront une diminution substantielle de leurs profits. Lorsqu’elles sont bien pensées, les politiques qui entraînent une hausse des dépenses dans la fabrication de véhicules électriques peuvent accroître la compétitivité.

Bon nombre d’entreprises seront aussi confrontées à des risques et des occasions découlant des politiques qui pourraient échapper à une analyse coût-avantage trop restrictive. Les chaînes d’approvisionnement et les ateliers de réparation devront s’adapter, et de nouvelles entreprises de gestion des réseaux de recharge et de recyclage de batteries devront voir le jour. Le Canada compte également plusieurs entreprises qui pourraient tirer leur épingle du jeu, comme AddÉnergie, un fournisseur de logiciels de recharge pour véhicules électriques, Li-Cycle, une entreprise qui recycle les batteries de véhicules électriques, et diverses sociétés minières qui œuvrent dans le secteur des minéraux pour batteries tels le lithium et le cuivre. Une hausse de la demande en véhicules électriques pourrait aussi attirer davantage de fabricants de batteries.

Les décisions prises uniquement à la lumière d’analyses coût-avantage pourraient affaiblir la compétitivité et se traduire par des occasions manquées, ce qui entraînerait un bilan économique décevant.

Même de petits ajustements peuvent tout changer

Une façon relativement simple de combler à court terme les lacunes de l’analyse coût-avantage, c’est d’y inclure certains des avantages dont elle ne tient pas compte. Comme ce fut le cas au départ avec l’intégration des valeurs associées au coût social du carbone, il faudra procéder par essais et erreurs pour trouver la bonne méthode. Les estimations des avantages pourraient être établies au moyen d’une analyse similaire au rapport Ça passe ou ça casse, lequel modélise la rentabilité des entreprises d’après différents scénarios de transition mondiale et analysent les secteurs qui seront possiblement porteurs de cette transition. Les gouvernements pourraient également se servir de modèles économiques semblables aux projections 2021 de Clean Energy Canada et de Navius Research sur la hausse du PIB en énergies propres associée au plan climatique fédéral.

À long terme, les gouvernements peuvent et devraient laisser tomber l’analyse coût-avantage pour les politiques climatiques et transformatrices. L’étude de Jean-François Mercure et ses coauteurs citée plus haut suggère d’ailleurs de recourir plutôt à une analyse des risques et des possibilités, laquelle diffère de l’analyse coût-avantage à plusieurs égards :

  • Elle évalue un ensemble de politiques visant à apporter des changements transformateurs systémiques, plutôt qu’une seule politique visant à effectuer un changement progressif ;
  • Elle évalue tout un éventail d’occasions et de risques qualitatifs et quantitatifs selon divers scénarios plausibles plutôt que de produire un seul indicateur ;
  • Elle tient compte de la spirale de retombées positives entre les différents facteurs, comme le coût des technologies vieillissantes ;
  • Elle présente aux décideurs des constats qui s’accompagnent de fourchettes d’incertitude et de seuils de confiance.

L’analyse des risques et des possibilités n’est pas magique et ne donne pas de réponses toutes faites. Elle favorise cependant un dialogue et un débat plus réfléchis au sujet du train de mesures qui produira les meilleurs résultats climatiques, économiques et sociaux.

L’analyse coût-avantage : petit morceau d’un grand casse-tête

Ce n’est pas sans raison que l’analyse coûts-avantages a été conçue pour des changements progressifs : c’est ce que les gouvernements — et souvent la société — préfèrent. Les gens sont naturellement portés vers le statu quo et sont moins à l’aise avec les grands changements qui balaient tout sur leur passage.

Le problème, c’est que les changements progressifs ne sont plus une option. Le Canada ne sortira pas vainqueur de la lutte contre les changements climatiques et n’arrivera pas à conserver une économie prospère sans changements transformateurs. Le monde qui nous entoure évolue rapidement, et si nous ne cherchons pas à devancer les nouvelles réalités du marché, ou qu’on ne s’y adapte pas quand elles s’imposent, nous serons laissés pour compte.

Les possibilités sont immenses, dont celle d’un avenir beaucoup plus inclusif et prospère. Mais cela ne se fera pas tout seul : il faut agir, investir, planifier, s’organiser, innover et faire preuve d’une audace qui sera difficile à accepter pour certains.

Le premier pas ? Changer la façon dont les décisions sont prises pour tenir compte de la portée et de l’ampleur des problèmes qui se posent et des solutions qu’il nous faut.

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Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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