Certains militants pour le climat ont longtemps jugé indécent le mot « adaptation ». Et les opposants de l’action décisive ont longtemps répété qu’il faut s’adapter aux effets des changements climatiques au lieu de s’attaquer résolument aux gaz à effet de serre (GES).

Al Gore, l’ancien vice-président des États-Unis, fut sans doute le premier et le plus célèbre critique de cette notion d’adaptation, raillant dans son livre phare de 1992 une option paresseuse et dérisoire de réduction des GES.

Or, il est peut-être aussi difficile de s’adapter aux changements climatiques que de réduire les GES. En réalité, les deux devraient aller de pair. Mais alors que les leaders mondiaux tardent à stopper et réduire les émissions, on peut penser qu’il est trop tard pour appliquer les mesures complexes et coûteuses qui limiteraient l’impact des catastrophes climatiques.

Car leur fréquence et leurs coûts sont en rapide expansion. Les pertes assurées qu’elles occasionnent au Canada ont plus que quadruplé de 2008 à 2018 par rapport à la décennie antérieure, pour atteindre 1,9 milliard de dollars annuels. Et la moyenne des versements fédéraux a bondi à 427 millions annuels de 2005 à 2015, contre 303 millions dans les 10 années précédentes et 56 millions avant 1994.

La notion d’adaptation n’a rien de nouveau, pas plus qu’elle n’a été inventée par les climato-inactifs rabroués par Al Gore. Depuis des décennies, les experts en gestion des urgences et des catastrophes réclament en coulisses de renforcer les moyens d’atténuer les dommages causés par les inondations, incendies, glissements de terrain et tempêtes de neige ou de verglas. Finalement, le gouvernement Trudeau a promis de consacrer des milliards de dollars à l’adaptation climatique. Mais cette somme ira-t-elle aux idées et applications technologiques dernier cri ou aux outils qui servent déjà à mener le fastidieux travail de recensement, de cartographie, de réduction et de prévention ?

La réduction des risques est une composante théorique essentielle du cycle de planification de la gestion des catastrophes. Après avoir longtemps exhorté les décideurs à renforcer les mesures d’atténuation et de prévention, ces experts antisinistre semblent en voie d’être écoutés.

Le cycle de gestion des catastrophes compte quatre volets, dont celui de l’intervention, particulièrement prisé des politiciens, des citoyens et des médias. Tout naturellement, ils font ainsi bloc autour de ceux qui sauvent des vies :  pompiers, personnel médical, militaires, unités de recherche et sauvetage, policiers et autres premiers intervenants.

Les gouvernements consacrent souvent des fonds énormes au volet de rétablissement pour ramener l’ordre public et reconstruire les collectivités, puis inaugurer des bâtiments tout neufs. Ils s’intéressent aussi à la préparation, mais surtout après coup. Au lendemain d’une catastrophe, la presse excelle à décortiquer leurs erreurs de préparation et les lacunes à combler pour prévenir d’autres désastres. Mais elle assure rarement un véritable suivi.

Lents et coûteux, les processus d’atténuation et de prévention suscitent peu d’enthousiasme (malgré un solide rendement de 2 à 10 $ par dollar investi), tout en exigeant le sens de l’anticipation et des priorités. Or le Canada accuse un important retard dans la réparation d’infrastructures. Selon un rapport du Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario paru en décembre, il en coûterait au moins 35 milliards pour accroître la résistance des infrastructures aux changements climatiques. Nombre de ces travaux pourraient aussi s’adapter (ou atténuer et prévenir) en cas de catastrophes climatiques.

Les récentes inondations en Colombie-Britannique, qui ont emporté une vingtaine de tronçons de la route Coquihalla, sont le dernier exemple des défis à venir. Construite dans les années 1980 et 1990, et donc relativement neuve selon les normes canadiennes en la matière, cette route nécessitera des mois de réparations. Combien de routes du pays seraient tout aussi vulnérables face à pareille catastrophe ?

Car les inondations sont un phénomène pancanadien. Outre celles qui viennent de frapper la Colombie-Britannique, elles ont provoqué depuis 10 ans de lourds dégâts en Alberta mais aussi dans l’est du pays (en 2017 et 2019), et coûté des millions de dollars à la plupart des provinces.

Dans un article d’Options politiques, Daniel Henstra et Jason Thistlethwaite (Université de Waterloo) examinent les lacunes de notre politique de gestion des inondations et les risques qu’elles font courir à des milliers de citoyens, ajoutant que des centaines de milliers de Canadiens ignorent tout du péril des inondations. Nos gouvernements doivent les renseigner sur cette menace et formaliser les modes d’évaluation, de gestion et d’information en matière de risques.

Au Québec, lors des inondations de 2019, la rupture partielle du barrage de la Chute-Bell d’Hydro-Québec a nécessité l’évacuation en aval d’environ 250 personnes. La province compte quelque 5 900 barrages et, selon un rapport de son vérificateur général datant de 2015, le ministère québécois de l’Environnement n’est pas en mesure d’en assurer l’inspection et la surveillance. Le cinquième de leurs propriétaires n’avaient d’ailleurs fourni aucun plan d’entretien et d’urgence.

La province possède toutefois un répertoire de ses barrages, qui contient certaines données à leur sujet et définit clairement les responsabilités de leurs propriétaires. Le Canada totalise pour sa part 14 000 barrages et, sans surprise, leurs données sont réparties dans un ensemble d’informations disparates.

Toujours au Québec, la rupture d’une digue à Sainte-Marthe-sur-le-Lac a provoqué l’évacuation effrénée d’une grande partie de la ville et révélé des problèmes de compétence touchant la surveillance et l’entretien d’ouvrages publics indispensables à la protection des citoyens.

La première étape de la préparation aux catastrophes consiste à identifier les risques. Ottawa devrait ainsi financer l’exécution d’une carte détaillée des risques pour aider les provinces à recenser leurs régions vulnérables. Après des années d’inaction, certaines ont relancé leurs efforts de cartographie des inondations historiques : le Manitoba a ouvert la voie en 2017, l’Alberta fait d’importants progrès et le Québec s’est attelé à la tâche. D’autres menaces devraient faire l’objet d’initiatives semblables.

Les provinces doivent aussi imposer de meilleures pratiques de zonage et d’utilisation des terres. La municipalité albertaine de High River a affirmé son leadership en décrétant l’expropriation permanente de quartiers dévastés par les inondations. Son maire Craig Snodgrass a évoqué le courage politique qu’il faut réunir pour s’opposer aux promoteurs qui s’acharnent à vouloir construire au bord de l’eau.

En 2019, le Québec a pris certaines mesures visant à interdire aux propriétaires de rebâtir en zone inondable. Mais les incitations variables de sa politique créeront une mosaïque de quartiers qui laissera de nombreux résidants exposés aux inondations.

L’Ontario a créé dès les années 1940 des agences de protection de la nature pour remédier aux manquements d’un règlement d’utilisation des terres, puis étoffé leur mandat après les inondations meurtrières causées en 1954 par l’ouragan Hazel. Ces agences cartographient les zones inondables et limitent leur aménagement. Mais au lieu d’accroître leurs moyens face aux changements climatiques, le gouvernement de Doug Ford leur a coupé les fonds.

Les dépenses d’infrastructure doivent privilégier les installations clés les plus vulnérables. Les villes du pays estiment qu’il leur faudra 5 milliards de dollars par année pendant un demi-siècle simplement pour adapter leurs propres immeubles et ouvrages publics. On imagine les milliards que nécessiteront les infrastructures fédérales et provinciales, sans compter les propriétés privées.

À ce jour, ces dépenses sont engagées au gré des besoins de reconstruction et des intérêts politiques, plus souvent après qu’avant une catastrophe. Il est grand temps de miser sur la réduction et la prévention des risques pour nous adapter aux impératifs de la situation actuelle.

Vous êtes un expert en matière d’adaptation aux changements climatiques et de réduction des risques ? Options politiques consacre de longue date beaucoup de temps et d’espace aux enjeux climatiques. Dans les prochains mois, nous examinerons quelles mesures pourraient atténuer et prévenir les crises que les changements climatiques imposeront à court terme à d’innombrables Canadiens. Vous possédez une expertise dans ce domaine et souhaitez nous proposer un article ? N’hésitez pas à nous faire signe.

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Les Perreaux
Les Perreaux est rédacteur en chef d’Options politiques, le magazine numérique de l’Institut de recherche en politiques publiques. En 25 ans de journalisme, il a couvert l’actualité nationale et internationale, y compris des catastrophes naturelles. Il étudie actuellement la gestion des urgences et des catastrophes à l’Université Wilfrid-Laurier.

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