English version available here.

Ceci est le second de deux textes sur la gestion de la pandémie au Québec. 

La communication scientifique, et les politiques qui en dépendent, sont-elles affectées par des impératifs politiques? La question a été soulevée à de maintes reprises ces dernières années au Québec. 

Nos recherches sur la pandémie montrent que l’influence des experts est conditionnelle au soutien du public, et que cette influence ne s’exerce pas dans un contexte purement rationnel où aucune autre force n’interviendrait. Concrètement, cela pose la question des orientations politiques de la communication scientifique. 

Une comparaison que nous avons réalisée avec des collègues belges, suédois et suisses indique qu’au Québec, les recommandations scientifiques transmises aux décideurs ont été, plus qu’ailleurs, sous tutelle politique. En outre, les décideurs politiques ont conservé un contrôle étroit sur la communication des recommandations qui leur était faite par la santé publique, se traduisant par une transparence limitée des informations scientifiques appuyant les décisions.  

Québec : une santé publique subordonnée au politique 

Au Québec, la Santé publique est directement subordonnée au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de telle façon que les experts de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), ou même le directeur national de la santé publique – qui est également sous-ministre adjoint au MSSS –, ne peuvent pas communiquer publiquement de manière autonome et transparente. 

Dans d’autres pays, une approche plus transparente et volontariste, centrée autour d’agences de santé publique, a permis d’impliquer davantage le public et des acteurs externes à la décision.  Par exemple, en reconnaissant publiquement le manque de preuves scientifiques solides pour justifier la fermeture des écoles en début de pandémie, l’agence de santé publique suédoise a provoqué un important débat. 

Au Québec, la communication des recommandations de la santé publique ayant été étroitement contrôlée par les autorités politiques, les débats autour des preuves qui auraient justifié ou non une mesure sanitaire donnée se sont faits plus rares. 

Certaines recommandations d’experts ont bien été rendues publiques au Québec. Toutefois, elles sont demeurées très sommaires, et ont parfois justifié avec difficulté des mesures importantes comme le couvre-feu. 

La subordination politique a en effet eu pour conséquence que les recommandations de la santé publique étaient présentées à la cellule de crise dirigée par le premier ministre, de sorte qu’aucune personne extérieure à cette cellule ne pouvait être impliquée dans les délibérations. Au Québec, il n’existait donc pas de séparation nette entre les experts et les décideurs.  

Suisse : une « task force » indépendante 

À l’inverse, en Suisse, le groupe d’experts formellement mandaté par le gouvernement pour le conseiller sur les mesures à suivre durant la pandémie n’était pas issu d’une agence gouvernementale ou d’un ministère. La « Swiss COVID-19 Science Task Force » (SN-STF), a été créée à l’initiative d’experts et d’universitaires. 

Une distinction fondamentale avec le Québec est que les recommandations du SN-STF ont été formulées à l’extérieur des lieux de décision et rendues publiques de façon systématique, ce qui a eu pour conséquence de faire ressortir certaines dissensions entre experts et décideurs politiques, tout en favorisant des débats publics sur la gestion de la pandémie.  

La résistance des décideurs politiques à la transparence peut s’expliquer. En démocratie, il appartient aux élus de décider en fonction de considérations multiples, au sein desquelles l’avis des experts et les preuves scientifiques n’en représentent qu’un seul aspect. De plus, lorsque les décideurs élus choisissent légitimement de prendre une décision qui va à l’encontre de l’avis des experts, ils se le font bien souvent reprocher. 

En Belgique, un pays durement touché par la COVID-19, les décideurs ont dû composer avec un contexte politique fédéral complexe. Les avis des experts – qui sont communiqués plus librement qu’au Québec – se sont aussi parfois inscrits en opposition aux décisions politiques, que les dirigeants ont peiné à justifier. 

On peut donc comprendre que dans le contexte d’une crise comme celle de la COVID-19, les décideurs québécois aient voulu retenir toute information scientifique susceptible de contredire leurs décisions. Était-ce là la meilleure approche? Nous pensons que non. 

Les conséquences d’une transparence limitée 

D’abord, la transparence limitée au Québec a pu contribuer au fatalisme du public. Au moment de rehausser la sévérité des mesures sanitaires, le contrôle serré de l’information scientifique a permis aux décideurs de projeter vague après vague une image unifiée des preuves alarmistes, en dépit de leur incertitude. 

À l’opposé, une plus grande transparence aurait mis de l’avant une plus grande diversité de preuves, certaines alarmistes, d’autres moins, alimentant la réflexion du public et les débats d’experts quant à la nécessité de rehausser la sévérité des mesures. 

C’est précisément ce qui s’est produit en Suède. Encouragé à se former une opinion libre et éclairée, le public suédois semble être moins tombé dans le fatalisme, notamment en plaçant la confiance envers les autres devant un soutien à des mesures plus sévères. 

Au Québec, face à un ensemble de preuves communiqué stratégiquement par les décideurs et ne laissant que peu de place au choix, la population ne pouvait devenir qu’indifférente sur le long terme. Cette indifférence contribua à réduire son soutien aux mesures sanitaires, et avec elle l’influence des experts. 

Ensuite, le manque de transparence est susceptible d’avoir contribué à des surréactions dommageables. Le contrôle de l’information scientifique a accentué certains biais, dont les sentiments négatifs et de peur, qui ont sans doute été utilisés pour faire accepter des mesures sévères. 

Plus de transparence aurait pu diminuer l’influence de ces biais, puisque la présence de preuves contradictoires aurait probablement favorisé un raisonnement mieux informé, et donc plus équilibré.  

Une mauvaise stratégie à long terme 

D’un point de vue stratégique, l’utilisation des sentiments négatifs par les décideurs québécois, facilitée par leur contrôle de l’information scientifique, a bien fonctionné. La preuve étant le soutien élevé du public jusqu’à la cinquième vague. 

Toutefois, à partir de la cinquième vague, le public devenu indifférent – voire désensibilisé à la gestion par la peur – a fini par décrocher. Les décideurs ajustèrent les mesures sanitaires en conséquence en diminuant leur sévérité alors même que les projections laissaient entrevoir d’importantes difficultés dans les hôpitaux. 

Or, en temps de crise, la transparence au sujet des preuves scientifiques qui informent les décideurs semble avoir produit des politiques plus équilibrées. 

Entre la Suède, la Suisse et la Belgique, le Québec occupe la seconde place en termes de sévérité des mesures sanitaires. Entre mars 2020 et mars 2022, l’indice moyen de sévérité était de 54,8 en Belgique, suivi de 52,9 pour le Québec, 50,4 pour la Suisse et 45,4 pour la Suède. 

Le Québec a cependant surpassé tous ces pays en ce qui a trait à la sévérité maximale des mesures, et ce à plus d’une reprise, notamment à cause du couvre-feu. Comme le montre la figure 1, l’indice de sévérité au Québec a atteint 83,4 en décembre 2020, un niveau jamais atteint en Suède, en Suisse, ni même en Belgique. 


 La Suisse et la Suède ont opté pour des approches plus volontaristes, par considération pour les effets adverses de mesures sévères. À l’inverse, le Québec, plus strict, semble avoir été bien plus sensible au risque de propagation. Cela n’a pas aidé le Québec à faire mieux que la Suède ou la Suisse (figure 2). 

Il est vrai que la transparence peut avoir un coût. En accroissant la possibilité que des preuves contradictoires soient accessibles au grand public, on risque de réduire d’autant son adhésion aux décisions des élus. Toutefois, la réalité est que les connaissances scientifiques ne sont pas toujours homogènes et qu’elles sont parfois incertaines, surtout lorsqu’elles portent sur un objet aussi nouveau que la COVID-19.  

La connaissance scientifique s’établit à force de débats composés de preuves contradictoires visant à établir leur véracité. Peu importe le degré de contrôle politique sur l’information scientifique, ces débats seront portés à l’attention du public tôt ou tard.  

Si ces débats ont été sciemment cachés, ils ne feront que réduire la confiance du public, qui risque de se sentir manipulé. S’ensuivra, logiquement, une diminution de l’influence des experts auprès du public, et donc lors de l’élaboration de politiques publiques. De telles conséquences se feront ressentir, cette fois, bien au-delà de la pandémie. 

À lire aussi dans cette série :  

La COVID-19 a-t-elle été gérée par la science, l’opinion publique ou les sentiments des décideurs? 

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Antoine Lemor
Antoine Lemor est chargé de cours et doctorant à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal. 
Éric Montpetit
Éric Montpetit est professeur de science politique à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License