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À la suite de la dernière élection québécoise en octobre 2022, plusieurs analystes ont prédit une fois de plus la disparition du Parti québécois. Le parti avait obtenu son pire résultat depuis sa fondation, recueillant à peine 15 % du vote populaire et ne parvenant qu’à faire élire trois députés. À mi-chemin du cycle électoral, nous assistons à un spectaculaire revirement de situation.

Depuis un an, les appuis au Parti québécois se maintiennent au-dessus de 30 % (et s’établit présentement à 35 % selon le dernier sondage Léger), ce qui l’assurerait de former le gouvernement si une élection avait lieu aujourd’hui. L’importante remontée ne s’accompagne toutefois pas d’un soutien accru à la souveraineté, les appuis au « oui » demeurant stables autour de 35 % depuis quelques années. Pourtant, le chef du PQ, Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP), place l’indépendance au cœur de son discours en promettant un référendum d’ici la fin de la décennie si son parti est porté au pouvoir.

C’est dans ce contexte que le PQ a publié son « budget de l’an 1 », qui examine la viabilité économique du Québec en tant que pays. Des opposants à l’indépendance du Québec ont critiqué ce document, soutenant qu’un Québec indépendant serait dans une situation plus précaire que ne l’affirment les souverainistes. En réponse, PSPP a accusé les fédéralistes de se lancer dans une « campagne de peur », rappelant les avertissements économiques alarmistes des partisans du « non » avant les référendums de 1980 et de 1995.

Mais qu’en pensent les Québécois francophones, dont l’appui à l’indépendance sera déterminant? Sont-ils inquiets des risques économiques associés à l’indépendance du Québec ou, au contraire, y voient-ils davantage de bénéfices? Et qu’en est-il des possibles avantages ou inconvénients quant à d’autres enjeux politiques, comme l’immigration et la protection du français ?

Au printemps 2024, nous avons réalisé une enquête d’opinion représentative de l’électorat francophone afin de répondre à ces questions. Nous avons également pu comparer l’état de l’opinion publique à celle relevée dans un sondage semblable, datant de 2014. Notre enquête sonde également les Québécois francophones quant à leurs griefs à l’encontre du gouvernement fédéral, ce qui permet de brosser un portrait assez exhaustif des facteurs d’appui à l’indépendance : la recherche a en effet montré que les griefs des Québécois envers le reste du Canada ainsi que leurs évaluations prospectives des avantages et inconvénients de la souveraineté sont au cœur des motivations indépendantistes.

Nos résultats sont à la fois surprenants et intrigants, considérant que les dynamiques politiques des 10 dernières années ont été somme toute difficiles pour le Parti québécois, principal véhicule du mouvement souverainiste. D’une part, l’appui des Québécois francophones à l’indépendance demeure relativement élevé, à 45 %. Ce même niveau d’appui était observé lors de notre sondage de 2014. D’autre part, l’opinion publique des francophones sur nos différents indicateurs d’appui à l’indépendance n’a à peu près pas changé et demeure dans l’ensemble favorable au mouvement indépendantiste.

Par exemple, dans la figure 1, nous présentons l’opinion moyenne des Québécois francophones quant aux bénéfices possibles d’un Québec indépendant pour sept enjeux politiques saillants. Pour cinq de ces enjeux, nous avons aussi pu comparer l’évolution de l’opinion entre 2014 et 2024, puisque les mêmes questions étaient posées.

De façon générale, les répondants à notre sondage sont « plutôt d’accord » avec le fait qu’il serait plus facile de protéger le français, et l’identité et la culture québécoise, ainsi que de contrôler l’immigration dans un Québec souverain qu’à l’intérieur du Canada. Ils sont toutefois plus partagés quant aux avantages économiques, environnementaux et à la possibilité de régler les problèmes en santé et en éducation. Dans ces domaines de politique publique, les Québécois francophones croient plutôt que les choses resteraient sensiblement pareilles. Pour chacun des indicateurs pour lesquels des données sont disponibles pour 2014 et 2024, nous n’observons aucun changement significatif.

Nous ne notons pas plus d’évolution quant aux préoccupations des répondants face aux incertitudes économiques et aux risques de conflit entre Québécois advenant un troisième référendum. Dans l’ensemble, les Québécois francophones se disent « un peu préoccupés » par les risques de chicane, tandis que leur niveau de préoccupation est un peu plus élevé par rapport aux incertitudes économiques découlant d’un troisième référendum, comme le montre la figure 2.

Finalement, tel qu’illustré par la figure 3, les griefs des Québécois francophones face au gouvernement fédéral demeurent relativement élevés en 2024, comme ils l’étaient déjà en 2014. Par exemple, les répondants sont « plutôt d’accord » avec le fait que le ROC ne se soucie pas du Québec et qu’il ne le reconnaît pas comme son égal. Ils considèrent aussi que le reste du pays est plus à droite que le Québec. Dans une moindre mesure, les Québécois francophones pensent également que le fédéral nuit à la protection du français ainsi qu’au développement économique de la province.

Pour le camp souverainiste, ces résultats sont tout de même encourageants. Alors que la représentation législative des partis souverainistes (Parti québécois et Québec solidaire) est passée de 33 sièges en 2014 à 14 sièges aujourd’hui, l’appui à l’indépendance chez les Québécois francophones est demeuré stable, tout comme la configuration générale des principaux facteurs d’appui. De plus, bien que les moins de 25 ans soient plus réticents envers l’indépendance (38 % chez les francophones de ce groupe d’âge), leur opinion sur les avantages, les risques et leurs attitudes face au reste du pays est très similaire à celle de leurs aînés.

Deux campagnes rivales se disputent les indécis. D’un côté, les souverainistes affirment que non seulement un Québec indépendant serait économiquement viable, mais qu’il serait une puissance économique. De l’autre, les fédéralistes soutiennent que les risques associés à l’indépendance entraîneraient un désastre économique. Pendant que le camp du « non » fait appel à la peur, la campagne du « oui », peut au contraire, miser sur l’espoir en essayant de convaincre les électeurs que la situation économique du Québec ne pourrait s’améliorer qu’une fois l’indépendance réalisée.

Il n’en demeure pas moins que les Québécois francophones sont moins convaincus des bénéfices économiques de l’indépendance et un peu plus anxieux face aux risques économiques inhérents, d’où la mobilisation récente des fédéralistes sur cette question. En fait, il semble que l’économie est, présentement, la meilleure carte à jouer pour les fédéralistes. Sur les autres indicateurs, les souverainistes semblent avoir une longueur d’avance.

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Alex B. Rivard
Alex B. Rivard est professeur adjoint à l'école de politique publique de l'Université Simon Fraser à Vancouver. X: @alexbrivard
Benjamin Ferland
Benjamin Ferland est professeur adjoint à l’École d'études politiques de l’Université d'Ottawa. Ses recherches portent principalement sur la représentation politique, les systèmes électoraux et partisans ainsi que les comportements électoraux.

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