La promesse faite par les libéraux en octobre 2019, quelques jours avant le déclenchement des élections, d’intégrer la perspective des personnes handicapées à toutes les décisions du fédéral a été accueillie favorablement par une grande partie du milieu, qui s’était battu pour l’obtenir.
C’est facile de promettre des choses. Maintenant, le gouvernement doit tenir parole.
Son engagement sera mis à l’épreuve pour la première fois dans le dossier de la contestation de la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir. En effet, la Cour supérieure du Québec a invalidé récemment la disposition jugée la plus importante pour les personnes handicapées, à savoir le critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible ».
Pendant les élections, les libéraux ont annoncé qu’ils n’entendaient pas porter cette décision en appel et qu’ils allaient modifier la loi actuelle pour la rendre conforme au jugement. Les personnes handicapées ont reçu cette décision comme une gifle, car elle leur refuse à la fois la possibilité d’une bonne vie et d’une bonne mort.
De quelle façon ?
Les droits de la personne ont principalement pour but de favoriser l’égalité des chances et de protéger les minorités. Au Canada, le groupe minoritaire le plus important est celui des personnes handicapées : selon Statistique Canada, une personne sur cinq présente au moins une incapacité qui limite ses activités. Or on peut difficilement qualifier d’équitable le traitement que leur accordent les gouvernements fédéral et provinciaux.
Toutes les horreurs subies par les peuples autochtones et les groupes ethniques du pays continuent aujourd’hui d’être commises contre ceux et celles d’entre nous qui vivent avec un handicap.
L’équivalent des pensionnats existe toujours pour les personnes handicapées. On stérilise encore certaines d’entre elles. On continue de les séparer de leurs familles. On les place en isolement dans les écoles et les services. On se moque encore d’elles. Et on tolère leur pauvreté chronique et leur taux de chômage élevé, qui est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Le paternalisme, la moquerie, la cruauté, les faibles attentes et l’ignorance empoisonnent leur existence au quotidien.
Non seulement nous rechignons encore à accorder aux personnes handicapées les services de base dont elles ont besoin pour contribuer à la société. Lorsque vient le temps de mourir, elles doivent composer, tout comme le reste de la population canadienne, avec le manque de ressources en matière de soins palliatifs de fin de vie.
On ne s’étonnera pas alors que les personnes handicapées craignent d’être poussées contre leur gré vers une mort prématurée. Il s’agit d’une peur justifiée.
Sean Tagert, de Powell River en Colombie-Britannique, a opté en août dernier pour l’aide médicale à mourir parce qu’il n’a pas réussi à obtenir les soins à domicile qui lui auraient permis de vivre aux côtés de son fils. « Sean devait sans cesse se battre pour recevoir des soins continus, c’était pour lui une source de stress constant », pouvait-on lire sur le message Facebook publié en son honneur. « Les rares choix qui s’offraient à lui en établissement […] se seraient traduits par une qualité de soins largement inférieure, tout en le séparant de sa famille, ce qui aurait sans doute accéléré son décès. » Sean souffrait de sclérose latérale amyotrophique, aussi connue sous le nom de maladie de LouGehrig.
Un autre homme de la Colombie-Britannique, Alan Nichols, a également obtenu l’aide médicale à mourir. Et ses proches se demandent eux aussi si ce dernier n’aurait pas été poussé vers une mort prématurée. Ils affirment que les protections actuelles en matière d’aide médicale à mourir n’ont pas fonctionné dans son cas, qu’il n’était pas en situation de mort imminente, qu’il souffrait d’une maladie mentale et n’était pas apte à donner un consentement éclairé.
Des personnes handicapées rapportent avoir du mal à obtenir des soins médicaux essentiels, ou se voient offrir à leur place l’aide médicale à mourir.
Ce ne sont pas des cas isolés. Des personnes handicapées rapportent avoir du mal à obtenir des soins médicaux essentiels, ou se voient offrir à leur place l’aide médicale à mourir. Des parents se font dire qu’il est possible d’arranger les choses de façon à ce que leur enfant handicapé ne se réveille pas après une intervention chirurgicale.
La promesse que l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir n’aura pas de conséquences tient difficilement dans une situation où une personne doit se battre tous les jours pour défendre, partout et en tous lieux, ses droits les plus élémentaires.
Dans sa forme actuelle, la loi sur l’aide médicale à mourir offre un bel équilibre entre le respect des droits des personnes handicapées et des aînés, et la volonté de répondre au désir de la population de pouvoir accéder à cette aide.
La loi a été adoptée il y a trois ans. Pourquoi cet empressement à la modifier alors que nous ne l’avons pas encore évaluée complètement, ni étudié ses conséquences imprévues ? On met parfois plus de temps à changer des règlements de zonage municipal, alors qu’aucune vie n’est en jeu. Les personnes handicapées attendent quant à elles depuis la Confédération que le Canada remplisse ses obligations à leur égard, c’est-à-dire depuis plus de 150 ans.
Tenir compte de la perspective des personnes handicapées ne signifie pas abolir les mesures de protection prévues dans la loi. Cela veut plutôt dire régler le problème du manque de services communautaires et de ressources en soins palliatifs offerts aux personnes handicapées et aux autres Canadiens vulnérables.
Pour corriger ce déséquilibre qui perdure depuis trop longtemps, une première mesure essentielle et équitable consisterait à rétablir les garanties que la Cour supérieure du Québec a supprimées.
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