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J’ai récemment appris ce que signifiait, pour un membre de ma famille, un diagnostic d’un cancer du sein. Du jour au lendemain, sa vie s’est transformée en une enfilade vertigineuse de rendez-vous médicaux, d’opérations, de chimiothérapie et de médicaments. L’hôpital est devenu une sorte de deuxième maison, le personnel médical déplaçant des montagnes dans ses efforts pour lui sauver la vie.

Les systèmes de santé de nos provinces savent comment s’occuper de (la plupart) des personnes atteintes d’un cancer et d’autres problèmes de santé aigus qui posent un risque de mort imminente. Il ne fonctionne peut-être pas toujours de manière fluide ou parfaite, mais il a la capacité de sauver des vies.

Mais quand il s’agit de prendre en charge près de la moitié des Canadiens souffrant de douleurs ou de maladies chroniques, de même que les 27 % vivant avec au moins un handicap, notre réseau de santé éprouve plus de difficultés.

On parle ici d’affections telles que la fibromyalgie, l’endométriose, la dépression chronique, le syndrome de stress post-traumatique, la sciatique, les douleurs chroniques et les maladies auto-immunes telles que le lupus ou la sclérose en plaques.

Ensemble, ces problèmes de santé touchent des millions de Canadiens et coûtent à la société canadienne des milliards de dollars de plus que le cancer, mais ils suscitent comparativement peu d’attention, d’empathie ou de financement parce qu’ils ne sont pas considérés comme mortels.

Disability needs a new story

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Attendre d’être assez malade pour obtenir des soins efficaces

Ces problèmes de santé n’entraînent pas nécessairement un risque immédiat de décès. Ils entraînent cependant une baisse continue de la qualité de vie.

Ce n’est pas un hasard si la santé des nations est mesurée à l’aide des taux de natalité, des statistiques sur le cancer, du nombre de décès et de l’espérance de vie, mais pas de la qualité de vie. Il y a toujours une urgence qui prime, reléguant les personnes souffrant de maladies chroniques de plus en plus loin sur la liste des priorités.

Si nous espérons avoir un système de santé public qui prenne soin de nous tous, nous devons écouter plus attentivement les personnes les plus touchées par ses inefficacités : les malades chroniques et les personnes handicapées.

En tant que personne vivant avec de multiples pathologies invalidantes, je connais intimement la façon dont les défaillances systémiques obligent les Canadiens à errer dans le système de santé jusqu’à ce qu’ils soient finalement assez malades pour obtenir des soins efficaces.

Peut-être suis-je trop désillusionnée en raison de mes propres expériences. Il m’a fallu 24 ans de rendez-vous chez le médecin pour que mes douleurs pelviennes intenses soient diagnostiquées comme une endométriose et une adénomyose de stade quatre, et une autre attente simultanée de 22 ans pour qu’une radiographie révèle que mes douleurs dorsales étaient dues à une fracture d’une facette articulaire et à deux glissements de vertèbres lombaires, survenus au cours d’exercices de volley-ball à l’école secondaire.

Au cours de ces décennies d’attente, on m’a dit que me fournir des soins appropriés serait trop lourd pour le système. Peut-être, disait-on, que j’avais simplement besoin d’antidépresseurs et d’un tapis roulant.

Un paternalisme persistant

J’ai ri lorsque le comité permanent de la santé de la Chambre des communes du Canada, majoritairement blanc et masculin, a annoncé qu’il mènerait une étude sur la santé des femmes.

Je n’ai donc pas été surprise lorsque, pendant la réunion de la commission parlementaire de la santé du 29 novembre sur l’endométriose, le député libéral Marcus Powlowski, médecin de formation, a admis en plaisantant avoir reçu tout au plus une heure de formation sur l’endométriose à l’école avant de suggérer à la commission que cette maladie était peut-être surdiagnostiquée.

Ceux qui connaissent à la fois les systèmes politique et médical devraient savoir où se trouvent les failles. Mais ce sont souvent ces mêmes personnes qui sont les moins susceptibles de les remarquer ou de les reconnaître.

Les systèmes politiques et les systèmes médicaux se ressemblent parce qu’ils sont tous deux fondés sur un paternalisme bien ancré qui continue encore aujourd’hui de les façonner : le « père du système » aime être le héros, mais n’a ni la patience ni la capacité de répondre à nos besoins quotidiens.

Souvent, il aime dire aux gens ce qui est bon pour nous – sur le plan social, médical, éducatif, économique – sans nous aider réellement. C’est pourquoi il aime parler des personnes handicapées, mais rarement avec elles.

Le mouvement pour la justice des personnes handicapées a un dicton : « Rien sur nous sans nous ».

Il a été créé après des générations de politiques et de décisions prises par des personnes au pouvoir pensant savoir ce dont les personnes handicapées ont besoin en raison de ce que les systèmes politiques et médicaux disent d’elles.

Malheureusement, ce que ces personnes au pouvoir ont à dire est souvent au mieux décevant, surtout dans un pays où 41 % des personnes vivant dans la pauvreté sont handicapées, la majorité d’entre elles étant des femmes.

Pour opérer un véritable changement systémique dans les soins de santé, il faut que nos dirigeants écoutent les personnes souffrant de problèmes de santé chroniques, car elles sont les canaris dans la mine. Le handicap n’est pas une exception ; il fait partie de la vie de tous les jours.

En réalité, si vous n’êtes pas handicapé aujourd’hui, vous le serez peut-être demain. Et même si vous ne devenez jamais handicapé, vous connaissez sûrement ou finirez par connaître et aimer quelqu’un qui l’est.

C’est pourquoi il est dans l’intérêt de tous les Canadiens d’améliorer le système pour ceux qui vivent avec des maladies complexes et souvent mal comprises. Nous risquons tous de développer des problèmes de santé qui peuvent nous exposer à des soins inadéquats, à un accès inéquitable à l’aide et à une baisse de la qualité de vie.

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Tracey Lindeman
Tracey Lindeman est une journaliste indépendante qui écrit pour The Guardian, Fortune, The Walrus et bien d’autres. Elle est l’auteure du livre BLEED : Destroying Myths and Misogyny in Endometriosis Care.

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