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Au Canada, le territoire est immense, mais la population se concentre dans quelques grandes villes, près de la frontière. Il est donc facile de se sentir « petit ». Nous faisons partie du G7, avec l’une des plus grandes économies de la planète. Pourtant, la taille de notre population reste modeste, même si elle dépasse désormais les 40 millions d’habitants et continue de croître.

Dans un contexte où le potentiel de conflits augmente entre les grandes puissances, comme la Chine et les États-Unis, mieux vaut se faire discret, à défaut d’être une grande puissance nous-mêmes. Quand les tensions montent, nous n’avons guère d’autre choix que de nous retrancher.

C’est la meilleure stratégie. Après tout, notre voisin et principal partenaire commercial n’est-il pas le gendarme de la planète? Il l’était, jusqu’à tout récemment. Mais la guerre commerciale débridée du président Trump et ses menaces d’annexion démontrent que le Canada ne peut plus compter sur la bienveillance américaine.

Les États-Unis ne semblent plus vouloir jouer leur rôle de leader du monde libre. Le Canada doit donc se repositionner, tout comme ses alliés. Les démocraties doivent surpasser les autocraties.

Cela signifie bâtir davantage : plus de logements, plus de transports en commun et investir dans une défense plus robuste. En somme, nous devons grandir pour éviter d’être malmenés.

100 millions de Canadiens ?

Le Canada a de l’espace et des ressources en abondance. Ce qui lui manque, c’est une population plus grande. Les dirigeants visionnaires, comme Wilfrid Laurier l’avaient compris. Plus récemment, le professeur Irvin Studin, de l’Université de Toronto, a popularisé l’idée de fixer un objectif de 100 millions de Canadiens, tandis que l’écrivain Doug Saunders a plaidé en faveur d’un « Canada maximum ».

En 2023, des gens d’affaires, des universitaires et ex-politiciens regroupés au sein de l’Initiative du siècle ont repris l’idée d’atteindre 100 millions d’habitants d’ici 2100. Cette initiative a suscité à la fois éloges et critiques. Mais, comme l’a récemment fait valoir le chroniqueur du Globe and Mail, Andrew Coyne, le Canada est déjà en bonne voie d’atteindre cet objectif.

Devenir une puissance économique comporte plusieurs avantages d’un point de vue géopolitique. Un Canada plus peuplé aurait plus d’influence sur la scène mondiale, avance le professeur Studin. Il rappelle – ce qui peut sembler inquiétant – que cette réflexion n’est pas nouvelle.

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Plusieurs, écrit-il, ont oublié que la raison initiale du peuplement encouragé par le gouvernement fédéral à la fin du XIXe et au début du XXe siècle était en grande partie stratégique : affirmer la souveraineté canadienne et prévenir un éventuel empiétement américain, notamment dans l’Ouest.

Notre influence à l’échelle mondiale nous semblait secondaire sous la protection rassurante des États-Unis. Mais alors que cette protection s’effrite, avoir plus de poids comptera. Une économie plus forte offre les moyens de mieux se défendre, un défi crucial pour un territoire aussi vaste que le nôtre.

Cette vision a gagné de la crédibilité. Entre 2014 et 2024, la population canadienne a augmenté de près de six millions de personnes grâce à la décision du gouvernement de porter le plafond de l’immigration à 500 000 nouveaux arrivants par an, et à l’afflux de résidents temporaires. Cependant, les résultats restent mitigés.

Une tendance inquiétante

Cette croissance rapide a fait exploser les prix de l’immobilier et a alimenté les frustrations dans tout le pays. Le problème? Nous avons pris un raccourci. Nous avons accru la taille de la population sans renforcer les bases, dont le logement. Considérons la figure 1, que j’aime appeler le « graphique de la malédiction ».


Ce graphique est tiré d’un article que j’ai coécrit pour l’Institut MacDonald-Laurier en 2023. Le calcul n’a pas changé. Depuis les années 1970, nous construisons toujours environ 200 000 logements par année, alors que notre population a doublé.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement estime qu’il manquera 3,5 millions de logements d’ici 2030. Nous devons doubler la cadence. Tous les partis politiques s’accordent sur le principe, mais peu ont eu le courage d’imposer les réformes nécessaires.

Le problème ne se limite pas au logement. Construire des infrastructures de transport dans les grandes villes est fastidieux et coûteux. Quant aux transports interurbains, ils sont rares, souvent lents et peu fiables. Se rendre à Toronto à partir d’Ottawa ou de Montréal pour une réunion matinale devrait être simple. Un train à haute vitesse entre Montréal et Toronto pourrait transporter jusqu’à 21 millions de passagers par an d’ici 2050. Il faut soutenir cette initiative.

Les communautés nordiques sont souvent isolées de façon saisonnière en raison d’infrastructures inadéquates. Elles souffrent généralement d’une connectivité limitée tout au long de l’année. Notre système de santé est en difficulté et nos universités crient famine. Bref, nous ne sommes pas prêts à accueillir une forte croissance démographique.

Nous devons aussi réduire notre dépendance aux États-Unis en développant nos infrastructures de transport d’énergie et de marchandises.  Bien que l’oléoduc Trans Mountain ait été coûteux et controversé, il illustre comment des infrastructures adéquates peuvent stimuler l’économie et nous aider à nous diversifier.

Nous devons nous défendre

Reconstruire notre armée est aussi essentiel. Cela permettrait non seulement de dissuader les attaques potentielles dans l’Arctique, mais aussi de s’imposer dans un monde de plus en plus hostile. C’est le prix à payer pour protéger notre souveraineté et notre démocratie.

Bien sûr, tout cela coûte cher. Il faut doubler d’effort en matière d’infrastructures et se doter d’une politique industrielle ambitieuse. Nous pouvons l’ignorer et espérer que la tempête se calme, ou nous pouvons nous renforcer et ne pas nous laisser abattre.

Nous avons déjà relevé des défis majeurs : construction du chemin de fer, réseaux de canaux reliant les Grands Lacs à l’Atlantique, expansion industrielle après la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, nous avions la quatrième plus grande marine du monde. Nous avons su nous surpasser. Nous pouvons recommencer.

Cela ne signifie pas nous replier sur nous-mêmes. Au contraire, nous devons resserrer nos liens avec d’autres alliés. L’instabilité mondiale actuelle prouve que le libre-échange n’est pas toujours garanti sur le terrain. Or l’histoire et la théorie économique sont claires sur ses avantages, en particulier pour un pays riche en ressources comme le Canada. Si les États-Unis se rétractent, nous devons nous ouvrir davantage aux autres marchés. Commercer est dans notre ADN. Nous devons continuer à le faire en ne dépendant plus d’un seul client.

Pour cela, nous devons être autonomes. Il nous faut des capacités de production stratégique : armements, vaccins et énergie. La croissance démographique et économique est la clé.

Rendre l’immigration populaire à nouveau

Nous devons attirer les meilleurs talents, comme les États-Unis l’ont fait après la guerre. S’ils ne le font plus, profitons de l’occasion. Devant l’incertitude quant à la politique d’immigration américaine et un possible déclin des États-Unis, certains travailleurs qualifiés pourraient choisir de demeurer au Canada plutôt que de s’expatrier à Silicon Valley ou à New York.

Un ami s’est vu proposer récemment un poste permanent dans une université américaine réputée. Il a refusé, préférant accepter un poste au Canada. Mais si on lui avait offert le poste six semaines plus tôt, il l’aurait peut-être accepté.

Les Canadiens prennent conscience des enjeux géopolitiques. Les droits de douane, les tensions civiles aux États-Unis et les conflits internationaux nous affectent directement. La meilleure façon de s’adapter et d’éviter d’être malmené par les grandes puissances est d’en devenir une. Et pas seulement en matière de population, mais aussi sur les plans économique et militaire.

Les tarifs douaniers peuvent ralentir notre économie, voire la plonger dans une profonde récession. Nous devons saisir cette occasion pour jeter les bases essentielles à notre survie et investir dans ce qui nous permettra de prospérer. Mieux vaut façonner l’histoire que de la subir.

Un Canada plus grand et plus fort est un rempart contre la tyrannie. Devant le repli progressif des États-Unis, nous avons tout intérêt à renforcer le pays. Il faut se mettre au travail sans attendre. Il faut construire, partout, en même temps, afin de développer nos pleines capacités économique et démographique.

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Steve Lafleur
Steve Lafleur est directeur de recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), où il dirige le programme de recherche Refonder la croissance économique sur de nouvelles bases. Il dirige également l’initiative de l’IRPP qui explore le rôle de la politique industrielle dans la prochaine transformation économique du Canada.

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