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Il n’y a plus aucun doute, le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis est une secousse sismique pour le monde entier.

Cependant, l’ordre international libéral menacé aujourd’hui par Trump et dont le Canada a si longtemps profité s’effrite depuis plus de deux décennies.

Par conséquent, les politiques et les mentalités canadiennes enracinées depuis la fin du XXe siècle sont complètement dépassées. L’heure n’est plus à la complaisance. Le Canada doit se réveiller, s’adapter et s’armer face aux dures réalités d’aujourd’hui.

En bref, nous avons besoin d’une commission royale visant à sécuriser l’avenir du Canada.

Le monde dans lequel le Canada évolue a fondamentalement changé au cours des 20 dernières années. Et tout a commencé par les attentats terroristes du 11 septembre.

La sécurité a alors pris le pas sur le commerce aux États-Unis. De nouvelles mesures de contrôle ont rendu la frontière plus « étanche ». L’augmentation des normes, de la réglementation et de la paperasse a entraîné des délais et une augmentation des coûts du transport tranfrontalier. Le commerce entre le Canada et les États-Unis en a souffert.

Ce virage a mis en évidence les risques liés à la forte dépendance économique du Canada envers son voisin du sud. Notre réaction a alors été de travailler encore plus étroitement avec les États-Unis pour maintenir la frontière ouverte au commerce.

Depuis lors, la crise climatique, la transformation numérique, la crise financière mondiale, l’essor économique et politique de la Chine, la résurgence autoritaire de la Russie et les craintes américaines du déclin de leur hégémonie n’ont fait qu’intensifier l’attention accordée par les États-Unis à la sécurité nationale. Cette dernière est devenue une caractéristique déterminante de leurs relations économiques, poussant d’autres pays à faire de même.

Les politiques et les mécanismes de gouvernance qui sont à la base de la société, de l’économie et de la sécurité du Canada n’ont pas été conçus pour le paysage politique international actuel, plutôt antilibéral.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada a cherché à s’intégrer davantage aux États-Unis, une tendance qui s’est renforcée avec les accords de libre-échange des années 1980 et 1990. Lors de la même période, notre pays s’est aussi joint aux États-Unis pour promouvoir un ordre mondial multilatéral ouvert et fondé sur des règles de droit.

Les Canadiens ont supposé, à juste titre, que leurs voisins continueraient à respecter et à soutenir un tel système parce qu’ils en tiraient des avantages économiques et militaires. La mondialisation, la démocratisation et l’unipolarité qui ont suivi la fin de la guerre froide ont constitué la base des « dividendes de la paix ».

Notre pays a prospéré dans un système que nous tenions pour acquis, sans nous demander si ses fondations pouvaient changer. Alors que le monde se transformait autour de nous, la complaisance s’est installée, comme si les bouleversements mondiaux et les changements de politique des États-Unis étaient des préoccupations lointaines. Cet état d’esprit a affaibli notre influence, détérioré notre rôle sur la scène mondiale et étouffé la croissance de la productivité bien avant que la crise actuelle ne révèle le véritable coût de notre inaction.

Aucune crise n’a aussi clairement mis en évidence les défis existentiels du Canada que le choc Trump 2.0. Le retour de Trump a brisé nos illusions, forçant les Canadiens à affronter le monde tel qu’il est. Des éditoriaux des journaux jusqu’à l’hymne national qui résonne plus fort que jamais lors des matchs de hockey, une prise de conscience s’est installée. Les Canadiens réalisent que notre pays fait face à son plus grand défi depuis des décennies.

Au cours des derniers mois, les Canadiens ont fait preuve d’une détermination inébranlable face aux menaces non provoquées de Trump à notre indépendance. Nous avons clairement indiqué qu’il valait la peine de se battre pour le Canada, et de le faire les coudes bien hauts.

Toute crise entraîne deux types d’action : contenir la menace imminente et s’attaquer à ses causes profondes.

Les gouvernements canadiens ont relativement bien géré les crises à court terme. Il suffit de regarder le succès de la réponse d’Équipe Canada à l’ère Trump 1.0.

Mais la gestion de crise ne suffit pas. Nous devons rallier les Canadiens dans un effort collectif pour forger un nouveau modèle socioéconomique audacieux, un modèle qui ne servirait pas seulement à survivre aux turbulences, mais qui nous permettrait d’en sortir plus forts que jamais.

Cela nécessite une nouvelle façon de penser. Pour construire l’avenir, nous devons d’abord l’imaginer.

Une commission royale pour sécuriser l’avenir du Canada

Historiquement, les commissions royales ont été la pierre angulaire de la manière dont le Canada a abordé ses défis les plus importants. Contrairement à une idée répandue, la plupart ne se contentent pas de produire des rapports qui prennent la poussière. Au contraire, elles façonnent le cadre même par lequel les Canadiens et leurs dirigeants politiques appréhendent les complexités de leur pays et du monde, orientant ainsi leurs réponses.

Ces commissions proposent des solutions cohérentes et réalisables, ancrées dans les politiques, les valeurs et la gouvernance, tout en tenant pleinement compte de la composition diversifiée, multiculturelle, multilingue et multinationale des économies régionales du Canada au sein d’une structure fédérale complexe. Elles jouent un rôle essentiel pour orienter le pays vers des actions significatives et éclairées.

Les commissions royales nous permettent de développer des initiatives d’édification nationale à plusieurs volets, du type de celles que les Canadiens ont fortement soutenues par leurs actions au cours des derniers mois.

La Commission royale d’enquête sur les relations fédérales-provinciales (1937-1940) a joué un rôle clé dans l’élaboration du modèle social et économique canadien au lendemain de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale.

Plus de quarante ans plus tard, la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada (1982-1985), également connue sous le nom de Commission Macdonald, a servi de fondement intellectuel à l’ère de la libéralisation des échanges qui est maintenant révolue.

Bien que la détérioration des relations entre le Canada et les États-Unis ait pu motiver notre demande d’une commission royale, son objectif est profondément constructif, et non défensif.

Notre ambition n’est rien de moins que de réaliser la promesse nationale faite aux générations présentes et futures : une nation qui offre à ses citoyens et résidents la paix et la prospérité, fondée sur la coopération et un engagement indéfectible envers les droits de l’homme et la démocratie. Une nation qui illustre également les réalisations remarquables que les gens peuvent accomplir lorsqu’ils se respectent mutuellement et travaillent ensemble pour un bien commun.

Nous avons besoin d’un véritable effort pour élaborer une politique nationale qui correspond aux réalités du XXIe siècle, tout en reconnaissant les échecs du passé. Au cours des deux dernières décennies, les gouvernements ont traversé de nombreuses crises, souvent interconnectées, offrant une série de réponses fragmentées et déconnectées qui n’ont pas permis de faire face à la nouvelle réalité.

Créer un nouveau modèle pour assurer l’avenir du pays implique un changement transformationnel sur deux dimensions.

Tout d’abord, une commission royale doit imaginer une nouvelle architecture politique qui aligne tous les grands secteurs de manière à nous protéger efficacement contre les menaces géopolitiques et climatiques.

Ensuite, elle doit formuler des propositions audacieuses pour réformer notre système de gouvernance, afin de garantir une coordination et une collaboration efficaces et légitimes entre toutes les parties prenantes.

Notre Constitution envisageait un système fédéral fondé sur l’illusion que les pouvoirs pouvaient être clairement séparés grâce à une double inscription dans les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, anciennement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. En réalité, cependant, la plupart de nos politiques impliquent des responsabilités partagées, nécessitant une coordination permanente.

Pourtant, nos relations intergouvernementales sont restées notoirement faibles.

Planifier l’avenir nécessite l’adhésion de tous les Canadiens afin de mettre à profit l’expertise de classe mondiale du pays pour relever nos défis multidimensionnels. Les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux, les communautés culturelles, les entreprises, les travailleurs, les consommateurs et les organisations de la société civile doivent être entendus, tout comme les Premières Nations, les Inuit et les Métis.

Nous sommes tous dans le même bateau et chacun de nous mérite de contribuer à façonner l’avenir du Canada. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est un effort unifié, multipartite et collectif pour élaborer un plan audacieux qu’il est d’une importance capitale de mettre en action immédiatement.

Une commission royale pour sécuriser l’avenir du Canada n’est pas un luxe, mais une nécessité. Si nous, Canadiens, ne parvenons pas à tracer notre propre voie, d’autres le feront pour nous. Si nous ne faisons rien, nous risquons de dériver vers l’annexion américaine rejetée haut et fort par les amateurs de hockey dans les arénas partout au pays.

Le moment d’agir, c’est maintenant. L’avenir est à portée de main, mais seulement si nous agissons avec détermination.

Une liste des signataires de cette lettre ouverte et leurs affiliations est disponible ici.

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Érick Duchesne
Érick Duchesne est professeur titulaire et directeur du Département de science politique de l’Université Laval. Il est spécialiste des négociations économiques internationales, de l’aide alimentaire et des programmes du Groupe de la Banque mondiale.
Patrick Leblond
Patrick Leblond est titulaire de la Chaire CN – Paul M. Tellier en entreprises et politiques publiques et professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. Il est également senior fellow au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI) et professeur affilié au Département des affaires internationales de HEC Montréal.
Jörg Broschek
Jörg Broschek est professeur de sciences politiques et titulaire de la chaire de recherche Laurier à l’Université Wilfrid-Laurier.
Blayne Haggart
Blayne Haggart est professeur agrégé de science politique à l'Université Brock. Il est également chercheur principal au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale et co-auteur (avec Natasha Tusikov) de The New Knowledge: Information, Data and the Remaking o

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