
Le Québec est souvent présenté comme un modèle de politique familiale pour la qualité de son régime fiscal et de ses services de garde. Le gouvernement fédéral s’en est d’ailleurs inspiré pour créer son propre programme national de services de garde. Pourtant, de nombreux parents québécois font face à des défis importants en matière de conciliation travail-famille. Entre la rareté des places en garderie et l’accès inégal aux services publics, la réalité contraste avec cette image de « paradis pour les familles ».
Faut-il revoir notre modèle providentiel de soutien aux familles?
La proportion croissante des dépenses publiques consacrée aux politiques familiales confirme l’importance accordée au soutien des familles au Québec. Entre 1996 et 2022, les dépenses en protection sociale liées aux responsabilités familiales sont passées de 6125 milliards à 13 502 milliards de dollars, soit une croissance plus rapide que celle du PIB. En 2022, ces dépenses représentaient 7,6 % de l’ensemble des dépenses de protection sociale engagées par le gouvernement du Québec. Incluant les dépenses fédérales, cette proportion atteint 8,9 %.
Ce soutien aux familles a eu des impacts positifs importants. D’un point de vue économique, la mise en place du réseau des services de garde subventionnés, en 1997, a permis à 70 000 mères québécoises d’intégrer le marché du travail, selon des données recueillies en 2008, contribuant à la croissance économique et à l’augmentation du revenu des ménages.
Rapidement, le Québec est devenu la province canadienne où la « pénalité à la maternité » était la moins importante au Canada. L’arrivée d’un enfant a un effet plus limité sur la trajectoire professionnelle des Québécoises que sur celle des Canadiennes ailleurs au pays. En 2024, 85,1 % des Québécoises ayant un enfant de moins de 6 ans participaient au marché du travail, comparativement à 78,6 % des Ontariennes. En 2022, dans les familles québécoises comptant deux enfants, les femmes étaient la principale source de revenu dans 30,9 % des cas, comparativement à 28, 9% dans le reste du Canada.
Des services insuffisants et mal adaptés
Les données du Réseau pour un Québec Famille dressent un tout autre portrait : 43 % des parents en emploi éprouvent des difficultés à concilier travail rémunéré et responsabilités familiales. Cette proportion grimpe à 48 % chez les parents d’enfants de 0 à 5 ans, et à 53 % chez les parents proche-aidants. Les constats de l’Observatoire des tout petits sont similaires. Dans une proportion de 65 %, les parents d’enfants d’âge préscolaire affirment que prendre soin de leurs enfants leur demandait plus de temps et d’énergie qu’ils en avaient à offrir.
Rien de surprenant, peut-être, compte tenu des écueils de la politique familiale québécoise. Cette politique « paradisiaque » offre certes de l’aide et plusieurs services, mais qui peuvent être difficiles à comprendre, inaccessibles ou incompatibles avec les besoins des parents. Par exemple, en vertu du Régime québécois d’assurance parentale, les nouveaux parents doivent choisir entre des prestations plus longues (avec un taux de remplacement du revenu moindre) ou plus courtes (et plus payantes), sans savoir quand ils auront accès à un service de garde.
En ce moment, plus de 28 000 enfants sont en attente d’une place en services de garde, dont la qualité est souvent inadéquate, en particulier lorsqu’il s’agit de garderies à but lucratif, avec ou sans subventions. Si le Québec brille par son programme de prestations parentales unique, la mise en place temporaire de prestations minimales à 500 $ par semaine en 2020 a révélé que plus de 40 % des prestataires (soit 30 000 personnes sur un total de 73 000 ) recevaient moins que ce montant.
Bien que novatrices, la durée des prestations de paternité est nettement plus courte que celle des prestations de maternité, limitant la durée du congé des pères et, par extension, leur engagement dans les soins aux enfants. À cet égard, les plus récentes données du Conseil de gestion de l’assurance parentale montraient que les femmes prennent un congé parental de 45,2 semaines en moyenne comparativement à 10,3 semaines pour les hommes.
Des parents trop…intenses?
Il faut dire aussi que l’essor de la parentalité intensive, où les parents sont très investis dans chacune des sphères d’activité de leur enfant, contribue sans doute à leur sentiment de fatigue. Depuis 2020, de nouvelles contraintes ont aussi intensifié les difficultés de conciliation travail-famille : la pandémie, les grèves à répétition, les interruptions de service dues à la pénurie d’éducatrices et, plus récemment, les fermetures liées aux tempêtes de neige, qui exacerbent la précarité et l’incertitude des familles.
Le décalage entre l’architecture des politiques publiques et l’expérience vécue par les familles révèle un paradoxe central du modèle québécois. Si l’investissement dans la politique familiale a augmenté, les mesures en place peinent à garantir aux parents un accès facilité aux prestations et aux services. Ce n’est pas un échec de l’État-providence, comme l’ont suggéré certaines chroniques parues récemment. Ces tensions soulignent plutôt la nécessité d’adapter la politique familiale au contexte actuel et aux risques sociaux rencontrés tout au long de la vie.
Une continuité et plus de flexibilité pour les parents
Nous avançons deux propositions pour améliorer la politique familiale québécoise afin que le Québec conserve son statut de chef file en matière de soutien aux familles avec de jeunes enfants.
D’abord, il faut adopter une approche intégrée entre la fin du congé parental et l’entrée en service de garde, peu importe le moment de l’année.
Plusieurs pays européens, dont la Suède, la Finlande et l’Allemagne, ont mis en place des politiques qui assurent une continuité entre la fin du congé parental et l’obtention d’une place en services de garde, éliminant toute période sans prise en charge pour les jeunes enfants. Ainsi, il sera pertinent de mieux arrimer ces deux pierres angulaires de la politique pour la petite enfance au Québec en assurant une place garantie dans une service de garde avant la fin de la période de prestations parentales.
Ensuite, il faut permettre aux parents d’utiliser les prestations parentales sur une plus longue période ou de cumuler des congés payés pour s’absenter en cas d’imprévu.
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Aussi généreuse soit-elle, la politique familiale du Québec est axée sur les tout-petits. Or les enfants d’âge scolaire nécessitent encore des soins à des moments ponctuels et difficiles à prévoir. Entre les petits virus, les grèves et les tempêtes, plusieurs parents doivent puiser dans leur banque de congés personnels pour être présents à la maison. En Suède, les parents peuvent fractionner leurs prestations parentales en journées et les utiliser jusqu’à ce que leur enfant atteigne l’âge de 12 ans.
Adopter une telle approche des congés, sans toutefois allonger le nombre de semaines de prestations, avec des jours non partageables entre parents, faciliterait la conciliation travail-famille sans renforcer les inégalités de genre dans la répartition des soins.
Pour que le Québec demeure un véritable paradis des familles, il doit éviter que la conciliation travail-famille ne devienne un enfer pour les parents et proches aidants. Une transition fluide entre le congé parental et les services de garde, combinée à une plus grande flexibilité du Régime québécois d’assurance parentale ou à l’ajout d’une banque universelle de congés familiaux, allégerait la pression quotidienne des parents et leur éviterait d’avoir à faire des choix déchirants entre l’activité économique et les soins aux enfants.