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En avril 2021, Ottawa annonçait en grande pompe un investissement de 30 milliards $ sur cinq ans pour la mise en place d’un programme national de services de garde à 10 $ par jour à travers le pays.

Alors que le Canada fait face à une pénurie de main-d’œuvre d’un océan à l’autre, les difficultés de recrutement et de rétention des éducatrices pourraient miner les efforts des gouvernements provinciaux pour créer des places.

Le Québec, qui reste le chef de file en Amérique du Nord pour les services éducatifs de garde à l’enfance, recevra 6 milliards $ d’Ottawa au total, sans conditions. Il utilisera ces sommes pour compléter son réseau de places subventionnées.

Objectif : créer des places rapidement

À l’automne 2021, le gouvernement Legault annonçait son « Grand chantier pour les familles », un plan dont l’objectif est de compléter le réseau de services éducatifs de garde à la petite enfance, en créant 37 000 nouvelles places subventionnées en cinq ans.

Ce Grand chantier propose des pistes de solution innovantes pour attirer des éducatrices et les maintenir en poste, et dont le reste du pays pourrait s’inspirer, même si différents indicateurs montrent que les nouvelles places seront de qualité variable.

Les stratégies déployées par Québec incluent l’augmentation du nombre maximal d’enfants par installation de 80 à 100, l’allègement du processus d’ouverture des centres de la petite enfance (CPE) et l’autorisation des installations temporaires pour accueillir des enfants avant la finalisation d’un projet de construction ou d’agrandissement d’une installation.

Le nerf de la guerre consiste toutefois à recruter du personnel. En tenant compte des besoins pour la création de 37 000 nouvelles places, le gouvernement anticipe que 17 800 nouvelles éducatrices devront être embauchées.

Les enjeux du modèle québécois

Le modèle québécois a fait face à des enjeux de taille depuis sa création, dont ceux du manque de places, de la qualité variable – mais rarement excellentes – des services, de la sous-fréquentation des enfants de milieux défavorisés et des difficultés d’accès des enfants présentant des besoins particuliers.

À ces défis s’ajoute celui de la pénurie de main-d’œuvre, qui s’est amplifiée depuis la pandémie. Selon le gouvernement, les inscriptions au programme collégial de technique d’éducation à l’enfance ont chuté de 32 % entre les années scolaires 2015-2016 et 2020-2021.

La pandémie semble avoir aussi provoqué la fermeture de nombreux services de garde en milieu familial, un phénomène qui n’est pas propre au Québec. Selon les données du ministère,  89 953 places étaient offertes en milieu familial au Québec en mars 2016; six années plus tard, en 2022, ce nombre n’était que de 66 338.

Enfin, les centres de la petite enfance (CPE), garderies subventionnées et garderies non subventionnées ont eux aussi fait face à une vague de départs en 2021-2222, puisque 2956 éducatrices ont quitté leur emploi. Plus de 40 % d’entre elles (1225) étaient qualifiées, c’est-à-dire qu’elles détiennent un diplôme d’études collégiales (DEC) en techniques d’éducation à l’enfance, ou toute autre équivalence reconnue.

Créer de nouvelles places ou reconnaître celles déjà existantes?

Une des stratégies du Grand Chantier consiste à permettre l’intégration des services de garde qui ne sont pas légalement reconnus et qui ne détiennent pas de permis dans le réseau des services formels régis par le ministère. Cette stratégie comporte deux avantages évidents. Premièrement, elle permet d’avoir un portrait très complet du nombre total de places. Ensuite, elle répond à un souci d’efficacité et de création rapide de places dans le réseau formel, sans avoir à recruter de la nouvelle main-d’œuvre.

Cela dit, une partie de cette création de places est artificielle, au sens où il ne s’agit pas de « vraies » nouvelles places. Elles ne permettent à davantage de parents, et surtout de mères, de demeurer sur le marché du travail. Ces places sont simplement comptées, et leur qualité n’est pas garantie.

Attirer et retenir la main-d’œuvre en services de garde : mode d’emploi

Reconnaissant le lien entre la qualité des services et la formation du personnel, le ministère de la Famille souhaite mener en parallèle une grande opération de qualification pour les éducatrices non formées. Outre les mesures cruciales, mais déjà bien connues, de la bonification du salaire du personnel éducateur et de la valorisation de la profession d’éducatrice, trois initiatives semblent prometteuses.

1- Une diversité de parcours

Le Québec met en place différents parcours pour assurer la formation de sa main-d’œuvre. Si le DEC en éducation à l’enfance offre la formation la plus complète (2490 heures), l’attestation d’études collégiales (AEC) en éducation à l’enfance (1200 heures) à l’enfance est une option acceptable.

Cette attestation peut être obtenue au terme d’une formation rémunérée qui permet l’alternance entre le travail et les études. Le Parcours travail-études en petite enfance comporte une formation théorique de 735 heures et un stage en milieu de travail de 240 heures, pour un total de 975 heures de formation. Par la suite, les étudiants doivent faire faire reconnaître leur acquis et leurs compétences.

À ce parcours s’ajoute la mise sur pied de nouvelles formations courtes spécialisées en éducation à la petite enfance afin de rehausser le niveau de formation du personnel.

2- Des bourses pour chaque session complétée

Depuis l’automne 2022, le gouvernement offre les Bourses Perspective Québec pour les programmes d’études où il existe une rareté de main-d’œuvre, dont l’éducation à la petite enfance. Ces bourses peuvent atteindre 9000 $ pour les étudiantes qui choisissent la formation la plus complète, soit le DEC en éducation à l’enfance.

L’originalité de cette mesure tient au calendrier du versement des bourses. Pour chaque session complétée, les étudiantes reçoivent 1500 $.  Dans un contexte où les éducatrices sont très sollicitées par les employeurs, cette mesure pourrait contribuer à garder certaines étudiantes un peu plus longtemps sur les bancs d’école.

3- Arrêter l’hémorragie dans l’offre de services en milieu familial

Face à une baisse de 20 % des places subventionnées en milieu familial entre 2014 et 2020, Québec s’est engagé à consolider ce secteur grâce à des incitations financières. Premièrement, les responsables d’un milieu de garde familial qui offrent neuf places plutôt que six peuvent se voir offrir jusqu’à 6000 $ de plus par année. Deuxièmement, un montant forfaitaire de 3000 $ (et qui peut s’ajouter à la première somme) est versé aux responsables d’un milieu familial ayant maintenu au moins six places subventionnées tout au long de l’année.

Enfin, pour stimuler la création de nouvelles places en milieu familial, Québec offre aussi une aide au démarrage de 3500 $. Certaines municipalités ont également leur propre programme de soutien financier, bonifiant ainsi l’aide offerte par le ministère.

Oui, mais est-ce que ça fonctionne?

En un mot : oui.  Il faut évidemment mettre plusieurs nuances et bémols, mais le Québec est passé d’une offre totale de 283 477 places reconnues par le gouvernement en mars 2021, à 292 987 places en février 2023, en dépit de la pénurie généralisée de main-d’œuvre.

Comme pour les places offertes, la majorité des nouvelles places créées le sont en installation (les services de garde les plus grands, qui peuvent accueillir jusqu’à une centaine d’enfants). Et pour la première fois depuis 2016, le nombre de places en milieu familial est en hausse. Le bilan est donc somme toute assez positif, du moins si on s’en tient uniquement au nombre de places créées.

La patate chaude : la qualité des services

Créer des places subventionnées et une chose, s’assurer que ces places soient de qualité en est une autre. Le Québec ne fait pas si bonne figure quand on se penche sur la qualité des services offerts. Rien n’indique que la situation est près de changer. Au contraire.

C’est d’abord le cas en ce qui a trait à la formation du personnel. De l’aveu même du ministère de la Famille, « l’intégration des personnes non [légalement] reconnues dans le réseau des services de garde éducatifs à l’enfance vise à offrir aux parents des garanties minimales quant à la qualité des services éducatifs ». On est loin de viser l’excellence!

Ensuite, les assouplissements temporaires au Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance (RSGEE) – qui diminuaient le ratio le ratio d’éducatrices qualifiées dans les services de garde de deux à une sur trois – ont permis l’embauche de plusieurs nouvelles employées. La fin de cet assouplissement était prévue neuf mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci ayant pris fin le 1er juin 2022, c’est depuis mars 2023 que le règlement sur le ratio de deux membres du personnel qualifié sur trois redevient graduellement en vigueur.

Que fera-t-on avec le personnel en poste, fraichement embauché et sans qualification? Ces personnes auront-elles accès à une voie rapide pour l’obtention de l’attestation d’études collégiales en techniques d’éducation à l’enfance, en vertu de la reconnaissance leur expérience de travail? Quelle est la valeur de cette expérience et de ce diplôme?

La question des ratios d’éducatrices qualifiées risque de devenir une patate chaude dans les prochains mois, alors que le gouvernement cherchera à augmenter le nombre de places pour les enfants, et le personnel pour y veiller. Il n’en demeure pas moins que les efforts déployés par le ministère de la Famille sont considérables. Et que les solutions du Québec, bien qu’imparfaites, pourraient tracer la voie à suivre pour le reste du pays.

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Sophie Mathieu
Sophie Mathieu est docteure en sociologie; ses recherches sont axées sur la politique familiale québécoise. Elle occupe le poste de spécialiste principale des programmes à l'Institut Vanier de la famille et siège sur le Conseil consultatif national sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants.

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