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Lorsque de nombreux Canadiens se sont retrouvés temporairement sans travail en raison de la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral s’est engagé à réformer son programme d’assurance-emploi (AE), l’un des principaux piliers du filet social du pays.
Mais la fin de la pandémie a vu l’économie rebondir et le taux de chômage baisser. Et le gouvernement fédéral a repoussé la réforme de l’AE derrière d’autres priorités. Aujourd’hui, alors que la guerre tarifaire avec les États-Unis menace l’économie canadienne, la réforme de l’AE revient sur le devant de la scène.
Peu de choses ont changé depuis, mais il n’est pas trop tard pour lui donner une assise plus solide.
Plutôt que d’introduire une nouvelle série de mesures palliatives comme pendant la pandémie, le gouvernement fédéral devrait apporter des changements significatifs et durables au système d’AE.
Même si le gouvernement a entrepris après la pandémie un examen de deux ans de l’AE afin de déterminer, entre autres, comment il pourrait mieux soutenir le nombre croissant de travailleurs qui n’a pas droit aux prestations en vertu des règles actuelles, il n’a encore annoncé aucune réforme d’importance.
Pour soutenir et informer les efforts du gouvernement, l’Institut de recherche en politiques publiques a réuni un groupe de travail d’experts en 2021 et 2022 afin de proposer des options pour moderniser le programme. Nous avons publié deux rapports de recherche. Le premier, publié en mai 2022, mettait l’accent sur les moyens de moderniser le régime, tandis que le second, publié plus tard dans la même année, examinait les moyens de financer les changements proposés.
Nous avons également publié un commentaire contenant des recommandations sur la manière d’améliorer le fonctionnement et le financement du programme.
Peu de gens auraient pu anticiper cette guerre commerciale à l’époque où nous avons entrepris ce travail. Mais les solutions que nous avons proposées conservent toute leur pertinence aujourd’hui face à ce nouveau choc économique.
Des droits de douane prolongés pourraient transformer l’économie
Le calendrier et les conditions d’application des droits de douane américains évoluant de jour en jour, les prévisionnistes économiques estiment qu’il est difficile de prédire leur impact potentiel. Leurs effets dépendront en grande partie de leur ampleur et leur durée.
Dans un discours prononcé fin février, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a déclaré que les conséquences économiques d’un conflit commercial prolongé seraient bien différentes du choc qui a suivi la pandémie. Il est peu probable que l’on assiste cette fois à un rebond rapide et les effets sur l’économie canadienne seraient probablement structurels, a-t-il déclaré.
Selon un scénario de la banque centrale, les exportations pourraient diminuer de plus de 8 %. Les exportateurs réduiraient probablement leur production et licencieraient des travailleurs. Les effets se propageraient rapidement, a averti M. Macklem.
Selon les projections de la banque CIBC, ce sont les travailleurs du secteur de l’exportation qui ressentiraient le plus durement les effets de la guerre commerciale. Son estimation des pertes d’emplois varie de 150 000 à 350 000 en fonction de la sévérité et de l’étendue des droits de douane. La CIBC avance aussi que le Québec et l’Ontario risquent de subir le plus gros du choc.
Les recherches de l’IRPP sur le niveau d’exposition des communautés aux droits de douane américains ont permis d’identifier plusieurs régions susceptibles d’être affectées de manière importante.
Au Québec, la région de L’Islet et son industrie du bois et de la fabrication de meubles verrait la plus grande part de ses travailleurs affectés. En Ontario, Ingersoll et Windsor, qui ont de fortes concentrations d’emplois dans la construction automobile, et Sault Ste. Marie, qui a une forte proportion d’emplois dans la production d’acier, pourraient être durement touchées. Les communautés à forte concentration d’emplois dans la production de pétrole et de gaz, notamment Fort McMurray et Cold Lake en Alberta, ainsi que Fort Nelson en Colombie-Britannique, seraient également exposées.
Le programme d’AE nécessite des changements importants et durables
L’ancien premier ministre Justin Trudeau a déclaré début mars que le gouvernement utiliserait « tous les outils à sa disposition » pour aider les Canadiens à surmonter la tempête, notamment en élargissant les prestations d’AE et en les rendant plus flexibles.
Le gouvernement fédéral a ensuite annoncé des modifications temporaires du programme de partage du travail de l’AE, qui permet aux travailleurs admissibles de recevoir des prestations partielles tout en travaillant à temps réduit. Cela permet aux employeurs de conserver les travailleurs expérimentés et d’éviter les licenciements pendant les périodes creuses.
Les changements élargissent les types d’entreprises qui peuvent accéder au programme, y compris les organisations à but non lucratif et celles qui emploient des travailleurs saisonniers. Elles prolongent également la durée pendant laquelle les employés peuvent participer au programme, qui passe de 38 à 76 semaines.
Bien que ces mesures soient utiles, il reste encore beaucoup à faire.
Lors de la première table ronde de l’IRPP sur la réforme de l’AE en décembre 2021, notre groupe de travail composé de 12 chercheurs nous a dit que le programme était trop complexe et qu’il comportait trop de lacunes en matière de couverture, ce qui le rendait de plus en plus inefficace. Le nombre de chômeurs canadiens qui reçoivent des prestations d’AE est actuellement inférieur à 40 %, alors qu’il était de plus de 80 % dans les années 1990.
L’une des raisons de ce déclin est le nombre important de travailleurs autonomes, en particulier les « travailleurs à la tâche » et autres travailleurs précaires, qui n’ont pas droit aux prestations d’AE parce qu’ils ne cotisent pas. Pour aggraver le problème, les règles d’admissibilité ont été renforcées et le programme est devenu moins généreux.
Après l’éclosion de la COVID-19, le gouvernement fédéral a mis en place diverses mesures d’urgence pour accélérer le traitement des demandes et le versement des prestations, pour combler les lacunes en matière de soutien et pour créer de nouveaux programmes pour les chômeurs canadiens qui n’avaient pas droit à l’AE. Mais ces mesures ont été supprimées avec la fin de la pandémie.
Notre groupe de travail a largement convenu que le programme d’AE devrait être simplifié et que les règles d’admissibilité devraient être assouplies. Beaucoup de membre de notre groupe ont également demandé au gouvernement fédéral de rendre le programme plus généreux en prolongeant la durée des prestations, en augmentant le taux de remplacement de la rémunération, en relevant le plafond annuel de la rémunération assurable ou en combinant ces trois mesures.
Plusieurs experts ont également déclaré qu’il était temps de s’attaquer à l’exclusion des travailleurs autonomes, en particulier ceux qui occupent des emplois précaires.
Bien entendu, ces changements se traduiraient par une augmentation des coûts du programme et des cotisations, tant pour les travailleurs que pour les employeurs qui cotisent au fonds. Le Commissaire des employeurs, la Commission de l’assurance-emploi du Canada et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante se sont opposés à l’idée d’une augmentation des cotisations.
Pour en savoir plus : Un Canada plus fort à l’ère Trump
Il n’existe pas de solution miracle qui satisferait tout le monde. À la fin de nos travaux en 2022, nous avons proposé un ensemble de solutions de compromis qui renforceraient le régime d’AE, qui protégeraient mieux les travailleurs canadiens et qui réduiraient le fardeau pesant sur les petites et moyennes entreprises qui cotisent au fonds.
À court terme, nous avons proposé que le gouvernement fédéral adopte une condition d’admissibilité uniforme de 420 heures travaillées au cours des 52 semaines précédentes, comme il l’a fait pendant la pandémie, au lieu des 9 conditions actuellement en vigueur qui varient en fonction des taux de chômage régionaux.
Cela n’augmenterait peut-être pas la participation dans les régions où les taux de chômage sont déjà élevés, mais cela permettrait de remédier à la lenteur du programme à déterminer l’admissibilité. Cela permettrait également de résoudre certains problèmes liés aux limites des régions de l’AE.
Nous avons également proposé que le taux de remplacement des revenus passe de 55 % à 60 %.
Ces changements, bien que modestes, augmenteraient tout de même les coûts du programme. Pour limiter l’augmentation des taux de cotisation, nous avons recommandé au gouvernement de prendre trois mesures :
- Porter de sept à dix ans le délai pour atteindre le taux d’équilibre du fonds de l’AE.
- Limiter les réductions des taux de cotisation lorsque le compte de l’AE est déficitaire.
- Verser des fonds fédéraux au compte de l’AE pour couvrir les déficits encourus pendant les récessions, en particulier lorsque la réponse comprend une augmentation des prestations.
Nous l’avions signalé à l’époque et le temps nous l’a confirmé : il était peu probable que les lacunes du système d’AE disparaissent en même temps que la pandémie.
Ils sont toujours présents aujourd’hui, alors que le Canada est confronté à un nouveau choc économique, potentiellement plus préjudiciable que le précédent. Il est temps d’agir.