Lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclarée, entraînant la perte d’emploi temporaire de millions de travailleurs, on s’est vite aperçu que le pourcentage de chômeurs éligibles à des prestations d’assurance-emploi était inférieur à 40 %, contre plus de 80 % dans les années 1990. Face au plus grand choc subi par l’économie canadienne depuis des décennies, le programme d’assurance-emploi a échoué à offrir des prestations à une portion importante des chômeurs du pays. Il ne pouvait pas non plus traiter l’augmentation des demandes en temps opportun.

À preuve, des mesures exceptionnelles se sont avérées nécessaires pour soutenir le revenu des travailleurs qui ont perdu leur emploi pendant la pandémie. Au cours des deux dernières années, le gouvernement fédéral a mis en place divers programmes d’urgence et mesures pour accélérer le traitement des demandes et le versement des prestations, combler les lacunes en matière de soutien et créer de nouveaux programmes pour les chômeurs canadiens qui n’étaient pas admissibles aux prestations. Bon nombre de ces mesures ont déjà pris fin et celles qui demeurent doivent prendre fin en septembre 2022.

Or, les lacunes de l’assurance-emploi étaient évidentes bien avant le début de la pandémie. Le gouvernement fédéral a entrepris une révision du programme qui durera deux ans afin de tenir compte, entre autres, du nombre croissant de Canadiens qui occupent des emplois non traditionnels et qui ne sont pas admissibles à l’assurance-emploi.

L’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) a réuni un groupe de travail de 12 experts pour proposer des options de modernisation du programme. L’IRPP a récemment publié un rapport soulignant les défis auxquels le programme fait face et des solutions pour y répondre. Un message est lancé haut et fort : le programme actuel est trop complexe et souffre de défauts dans la couverture qui le rendent de plus en plus inefficace, surtout pendant les périodes de récession.

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C’est que beaucoup de choses ont changé depuis la dernière révision de l’assurance-emploi, il y a près de 30 ans. D’une part, il y a eu une augmentation du nombre d’entreprises basées sur des applications comme Uber et DoorDash, dont les employés sont considérés comme des travailleurs autonomes et donc inéligibles aux prestations d’assurance-emploi, puisqu’ils ne cotisent pas au fonds. Le programme n’a pas été conçu pour ces travailleurs.

La structure du marché du travail canadien était très différente lorsque l’assurance-emploi a vu le jour, en 1940, dans la foulée de la Grande Dépression (voir la figure 1). Au fil des ans, la portée du programme s’est élargie considérablement jusqu’à inclure une mosaïque complexe de congés de maternité, parentaux, de maladie et de compassion, de mesures soutien du revenu pour les travailleurs saisonniers et de financement de programmes de formation à l’emploi.

Les règles d’admissibilité et la générosité des diverses prestations d’assurance-emploi se sont élargies ou réduites en fonction des conditions économiques et fiscales du moment. La complexité tentaculaire du programme, la multiplication de nouveaux modes de travail et les changements apportés aux critères d’éligibilité en ont entravé l’efficacité. En conséquence, la proportion de chômeurs qui perçoivent des allocations a diminué.

Que peut-on faire pour rendre l’assurance-emploi plus efficace et mieux adaptée aux réalités économiques d’aujourd’hui?

Les membres du groupe de travail de l’IRPP conviennent généralement que le programme devrait être simplifié et les règles d’admissibilité assouplies, de façon à le rendre plus accessible à travers le pays. Ils invitent également le gouvernement fédéral à rendre les prestations plus généreuses, soit en prolongeant la durée de versement des prestations, soit en augmentant le taux de remplacement des gains actuel de 55 %, soit en augmentant le niveau de la rémunération assurable annuelle maximale (actuellement établie à 60 300 $), ou même en combinant judicieusement ces possibilités.

L’accès aux prestations spéciales — telles que les prestations de maternité et parentales — devrait également être amélioré, disent-ils, notant que les niveaux de prestations sont trop bas et que les règles d’octroi sont trop complexes. Par ailleurs, les règles qui stipulent comment diverses prestations régulières et spéciales d’assurance-emploi peuvent être combinées désavantagent certains prestataires. Par exemple, une femme qui a reçu des prestations de maternité ou parentales et qui est mise à pied avant ou peu de temps après son retour au travail ne sera pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi, puisqu’elle n’aura pas accumulé suffisamment d’heures de travail pour y être éligible.

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Entre 1976 et 1990, environ 80 % de chômeurs canadiens recevaient des prestations d’assurance-emploi, en moyenne. Cette proportion est passée sous les 50 % entre 2000 et 2010, puis à environ 40 % entre 2011 et 2019 (voir figure 2). Autrement dit, aujourd’hui, la majorité des chômeurs ne reçoivent plus de prestations du régime censé les soutenir !

Les collaborateurs de l’IRPP s’entendent pour dire qu’il est temps de s’attaquer aux exclusions systémiques, dont les travailleurs autonomes, particulièrement ceux qui occupent des emplois précaires. Avant la pandémie, les chômeurs qui ne versaient pas de cotisations au régime, un groupe composé de travailleurs indépendants et de personnes sans revenu assurable au cours des 12 mois précédents, représentaient plus de 35 % des chômeurs. Cependant, trouver des moyens de les inclure ne sera pas facile.

L’expérience d’autres pays suggère en effet que proposer aux travailleurs indépendants l’accès à un programme volontaire d’assurance-emploi ne fonctionnera pas, parce que ceux qui occupent des emplois stables sont susceptibles de se retirer. Cependant, un programme obligatoire qui obligerait les travailleurs indépendants à payer les taux de cotisation nécessaires risquerait d’être tout aussi impopulaire. Bien que les travailleurs autonomes canadiens puissent opter pour des programmes de prestations spéciales depuis 2010, la participation a été faible : moins de 0,1 % des travailleurs admissibles y ont souscrit.

Bien sûr, certains des changements proposés entraîneraient des coûts de programme plus élevés et, par conséquent, des cotisations plus élevées pour les travailleurs et les employeurs qui contribuent à la caisse. Les participants ont discuté de diverses façons de financer ces mesures, certains réclamant un retour des contributions du gouvernement fédéral, qui ont pris fin en 1990.

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En effet, le gouvernement fédéral supportait à l’origine les coûts administratifs du programme d’assurance-emploi et versait à sa caisse un montant correspondant à 20 % des cotisations annuelles des employeurs et des employés. Mais en 1971, les contributions fédérales ne couvraient plus que l’équivalent des coûts liés à l’augmentation rapide du nombre de bénéficiaires pendant les périodes de chômage élevé. En 1990, alors que le gouvernement fédéral commençait à relever les grands défis budgétaires de l’époque, le programme est devenu entièrement autofinancé, ce qui signifie que les travailleurs et les employeurs sont désormais les seuls cotisants.

Il est peu probable que les failles systémiques du système d’assurance-emploi disparaissent, même lorsque la pandémie prendra fin. En fait, la main-d’œuvre vieillissante du Canada, l’effet des changements technologiques, les nouvelles modalités du travail, l’aggravation des pénuries de main-d’œuvre et les suppressions d’emplois qui découleront de la transition du Canada vers une économie à faibles émissions de carbone vont déstabiliser encore davantage le marché du travail et exercer une pression supplémentaire sur un régime déjà chancelant. Dans le même temps, le bassin important de travailleurs indépendants et le passage à davantage d’emplois à court terme et contractuels signifieront qu’une grande partie des travailleurs pourraient continuer à être exclus.

Le Canada doit moderniser son programme d’assurance-emploi pour l’ajuster aux réalités économiques d’aujourd’hui. Nous l’avons fait dans le passé. Il est temps de le refaire aujourd’hui.

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Colin Busby
Colin Busby est directeur des politiques et du développement à l'Institut sur la retraite et l'épargne de HEC Montréal. Il était précédemment directeur de recherche à l’IRPP. Il a aussi été directeur associé de la recherche à l’Institut C. D. Howe et travaillé à Industrie Canada et à l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel. Spécialisé en politiques budgétaires et sociales, ses recherches portent plus généralement sur les questions économiques. Twitter @cbusby_eco
Ricardo Chejfec
Ricardo Chejfec est analyste principal de données à l’Institut de recherche sur les politiques publiques.  Twitter @ricardochejfec.
Rosanna Tamburri
Rosanna Tamburri est rédactrice et réviseure senior à l’IRPP. Elle a précédemment été journaliste économique, et responsable des publications de recherche au Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.

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