(Cet article a été traduit en anglais.)

L’immigration a toujours été au centre de la politique de développement économique du Canada, l’un des pays qui comptent la plus forte proportion d’immigrants dans sa population.

Cependant, puisque les immigrants ont tendance à s’établir dans les grandes régions métropolitaines, les politiques d’immigration ne semblent pas profiter à toutes les provinces, notamment aux provinces de l’Atlantique, qui ne réussissent pas à attirer un grand nombre de nouveaux arrivants. Elles craignent donc que les nouvelles cibles d’immigration du Canada ― plus de 400 000 immigrants par année ― accentuent les inégalités entre les diverses régions canadiennes.

La difficile situation démographique des provinces de l’Atlantique

Le vieillissement de la population s’est accentué dans les provinces de l’Atlantique, qui affichent depuis des années des soldes migratoires interprovinciaux négatifs. De plus, les personnes qui partent vers d’autres provinces sont souvent des jeunes en âge de travailler, ce qui aggrave les problèmes de pénurie de main-d’œuvre.

Ces effets sont déjà visibles. Selon l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, la population active dans les provinces de l’Atlantique a diminué de 2,4 % entre 2012 et 2018. La situation n’est pas près de s’améliorer, car on prévoit environ 229 000 départs à la retraite dans les 10 prochaines années, ce qui représente 19 % de la population active actuelle. Ce déclin démographique pourrait affecter plus gravement les régions rurales, où vit une grande partie de la population.

Ces facteurs accentuent les difficultés démographiques des provinces de l’Atlantique, dont la population risque même de décroître à partir de 2035, selon des projections de Statistique Canada.

L’immigration : un espoir pour la région ?

L’immigration est souvent considérée comme un outil pour contrer certains de ces problèmes, mais les provinces de l’Atlantique ont toujours eu des taux d’attraction plus faibles que le reste du Canada. En 2019, elles ont attiré 5,2 % des nouveaux résidents permanents, alors que leur population représente 6,4 % des Canadiens. Si ce taux est assez bas, il s’agit néanmoins d’une nette amélioration par rapport à 2009, où il n’était que de 2,7 %. Cette remontée est due en grande partie au succès des nouveaux programmes d’immigration.

Les provinces de l’Atlantique bénéficient de programmes d’immigration traditionnels comme le Programme des travailleurs qualifiés, lancé en 1967, qui a pour but d’attirer au Canada des travailleurs d’expérience. Toutefois, ces programmes n’ont pas réussi à augmenter de manière importante le nombre d’immigrants.

Vers la fin des années 1990, le gouvernement fédéral a créé le Programme des candidats des provinces, qui accorde à celles-ci plus de flexibilité dans le choix de leurs immigrants. Fondé sur l’offre d’emplois dans la province de destination, ce programme a atteint son but en contribuant à augmenter le nombre de nouveaux arrivants au Canada atlantique, qui a plus que triplé entre 2002 et 2017.

Le programme qui a le mieux atteint ses cibles est le Programme pilote d’immigration au Canada atlantique, mis sur pied en 2017 par le gouvernement du Canada et les provinces atlantiques. Il vise à stimuler l’embauche de travailleurs étrangers qualifiés qui veulent s’établir dans les provinces de l’Est, ainsi que d’étudiants internationaux qui ont obtenu leur diplôme dans la région. Tout comme le Programme des candidats des provinces, il repose sur l’offre d’emplois, mais mise aussi sur l’intégration des nouveaux immigrants. En 2019, seulement deux ans après sa création, environ 29 % des immigrants économiques des provinces atlantiques ont été accueillis grâce à ce programme.

Lorsqu’on regarde le taux de rétention des nouveaux arrivants qui ont profité de ce programme, le tableau est aussi encourageant. Selon l’évaluation du programme pilote publiée en 2020, le taux de rétention des nouveaux résidents deux ans après leur arrivée était d’environ 90 %, comparativement à 82 % pour le Programme des candidats des provinces et pour certains programmes d’immigration traditionnels.

Quel serait l’impact à plus long terme de ce programme pilote ? En 2017, donc avant sa mise sur pied, les taux de rétention des nouveaux arrivants 10 ans après leur établissement à Terre-Neuve-et-Labrador, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick se situaient entre 54 et 45 %. L’Île-du-Prince-Édouard traînait en arrière avec un taux de 24 %. Ces taux demeuraient donc largement inférieurs à la moyenne canadienne, qui était alors de 86 %.

L’attraction des étudiants internationaux pourrait être une des clés de l’immigration future dans les provinces de l’Atlantique. Ces étudiants représentent des candidats idéaux : ils sont très qualifiés grâce à leur éducation postsecondaire et, connaissant déjà bien le pays, ils s’intègrent facilement dans leur milieu.

Quelle politique d’immigration pour le Canada ?

Le Canada a récemment décidé d’augmenter considérablement ses seuils d’immigration ; il vise à accueillir 401 000 immigrants en 2021, 411 000 en 2022 et 421 000 en 2023, tandis que les plans précédents fixaient ces objectifs à 351 000 en 2021 et 361 000 en 2022. Selon certains intervenants, le pays devrait aller plus loin encore. Toutefois, on doit se demander si, d’une part, des niveaux d’immigration élevés sont vraiment nécessaires pour assurer la prospérité du Canada et, d’autre part, s’ils ne risquent pas d’accentuer les déséquilibres entre les régions.

Bien sûr, une immigration massive stimule la croissance économique, mais elle n’est pas un remède miracle. La croissance résulte principalement de l’augmentation de la population, l’immigration ne représentant qu’une partie de la solution pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. D’autres initiatives, comme le maintien au travail des personnes plus âgées, l’augmentation de la fécondité et l’innovation technologique, peuvent avoir des impacts plus importants.

Même si les programmes mentionnés plus haut ont contribué à augmenter l’immigration au Canada atlantique, ils sont loin d’avoir réussi à renverser la tendance. Les niveaux élevés d’immigration que vise le Canada pourraient accentuer les inégalités entre les régions si les provinces de l’Atlantique ne réussissent pas à attirer et à retenir suffisamment d’immigrants.

En outre, le Nouveau-Brunswick, à l’instar d’autres provinces, essaie d’attirer des immigrants francophones. Compte tenu de l’importance de l’anglais comme langue internationale, il faut s’attendre à ce que la grande majorité des futurs immigrants aient plutôt l’anglais que le français comme langue d’usage. Cette situation risque d’affecter la dualité linguistique canadienne telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Les niveaux d’immigration toujours plus élevés que propose Ottawa semblent favoriser surtout les grandes provinces. Les immigrants se sentent davantage à l’aise dans les métropoles du pays que dans les régions. Pour que les plus petites provinces puissent elles aussi profiter pleinement de l’immigration, il faut faire des efforts supplémentaires pour convaincre les nouveaux arrivants de s’y établir et d’y rester. Sinon, l’immigration à elle seule ne pourra résoudre les problèmes du Canada atlantique.

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Paul Bates
Paul Bates est étudiant en mathématiques et science économique à l’Université d’Ottawa.
Gilles Grenier
Gilles Grenier est professeur émérite de science économique à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de plusieurs publications qui portent sur les salaires et d’autres attributs du marché du travail. Il s’est intéressé principalement aux caractéristiques reliées à la langue et à l’immigration.

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