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Il fut un temps où le Canada s’enorgueillissait de ses systèmes d’immigration et d’enseignement supérieur très respectés. On ne s’en rendrait pas compte en lisant les gros titres d’aujourd’hui. 

Comment en est-on arrivé là ? 

Il y a une dizaine d’années, le gouvernement fédéral a apporté plusieurs modifications aux règles d’immigration du Canada, facilitant ainsi l’obtention de la résidence permanente pour les étudiants étrangers, principalement en leur permettant de rester et de travailler après l’obtention de leur diplôme. Au bout de trois ans, les résidents permanents pouvaient ensuite demander la citoyenneté canadienne. 

Ces changements avaient plusieurs objectifs. Le Canada souhaitait attirer une plus grande proportion d’étudiants étrangers et mieux rivaliser avec d’autres pays d’accueil prisés par ceux-ci, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. 

Mais ces changements ont également été perçus comme un moyen de résoudre l’un des principaux problèmes du système canadien d’immigration fondé sur des points : le Canada admet de nombreux travailleurs hautement qualifiés ayant souvent des difficultés à trouver un emploi dans leur domaine parce que leurs diplômes étrangers et leur expérience professionnelle ne sont pas reconnus par les employeurs. 

Les étudiants étrangers étaient considérés comme une poule aux œufs d’or. Formés au Canada, ils possédaient les compétences linguistiques, les diplômes canadiens ainsi que l’expérience professionnelle nationale recherchée par les employeurs. 

Pour les universités et les établissements d’enseignement supérieur, les étudiants étrangers ont élargi leur vivier d’étudiants de haut niveau et ont apporté des revenus supplémentaires à un moment où les inscriptions nationales diminuaient en raison des changements démographiques. Les étudiants étrangers paient des frais de scolarité beaucoup plus élevés que les étudiants nationaux. 

Le nombre d’étudiants étrangers au Canada, tous niveaux confondus, a atteint plus d’un million à la fin de 2023, soit une hausse de 29 % par rapport à 2022 et de plus de 200 % par rapport à la décennie précédente. Plus de la moitié d’entre eux se trouvaient en Ontario, la Colombie-Britannique étant la deuxième destination la plus populaire avec 20 % des inscriptions. 

Les partenariats public-privé en Ontario 

De nombreux établissements ont bénéficié des nouvelles règles, mais certains plus que d’autres. En Ontario, les établissements publics, en particulier ceux des régions du Nord et des petites villes, qui connaissaient une baisse plus prononcée des inscriptions nationales, ont eu du mal à attirer des étudiants étrangers. 

Pour surmonter cet obstacle, ils ont commencé à conclure des accords avec des établissements privés situés dans la région du Grand Toronto, région préférée par la plupart des étudiants internationaux. 

Dans le cadre de ces ententes, l’étudiant est admis dans un établissement public, mais la formation est dispensée par des établissements privés, principalement situés dans la région du Grand Toronto, souvent dans des centres commerciaux et des immeubles de bureaux. 

L’institution publique conserve une partie des frais payés par les étudiants étrangers et les diplômés obtiennent un diplôme qui leur permet d’obtenir un permis de travail postuniversitaire et, éventuellement, un permis de résidence permanente. En 2021, 11 établissements publics de l’Ontario avaient conclu des partenariats avec des établissements privés. 

En 2017, David Trick, ancien sous-ministre adjoint de l’enseignement postsecondaire en Ontario, a examiné ces partenariats et a conclu qu’ils présentaient des risques pour la qualité de l’enseignement et la réputation de l’ensemble du réseau postsecondaire. Il a recommandé d’y mettre un terme. 

Le gouvernement libéral de l’époque avait alors imposé un moratoire sur les nouveaux partenariats. Il a été levé après l’élection d’un gouvernement progressiste-conservateur dans la province, en 2018. 

En 2019, celui-ci a également réduit de 10 % les frais de scolarité postsecondaires et a imposé un gel sur les hausses futures des frais de scolarité qui est toujours en vigueur aujourd’hui. La perte de revenus provenant des frais de scolarité n’a pas été remplacée par une augmentation des subventions de fonctionnement. 

Un rapport publié en 2021 par le vérificateur général de l’Ontario indique qu’au cours des quatre années précédant la pandémie, les recettes provenant des frais de scolarité des étudiants étrangers ont augmenté pour atteindre 1,75 milliard $ en 2019-20, contre 696 millions $ en 2016-2017. Cette somme représentait 68 % de l’ensemble des recettes provenant des frais de scolarité. 

Le rapport a également tiré la sonnette d’alarme sur la popularité croissante des partenariats public-privé, constatant que la surveillance provinciale de ces accords faisait défaut et qu’il n’existait pas de stratégie pour atténuer le risque que représentait une dépendance aussi forte à l’égard des inscriptions d’étudiants étrangers pour les établissements d’enseignement postsecondaire de la province. 

L’augmentation du nombre d’étudiants étrangers ne s’est pas limitée aux collèges de l’Ontario. Les universités ont également pris le train en marche. Les étudiants étrangers de l’Université du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, représentent les deux tiers du nombre total d’inscriptions et sont le moteur de l’augmentation globale des inscriptions ces dernières années. 

Un rapport distinct du vérificateur général de l’Ontario sur la gestion financière de quatre universités ontariennes – Algoma, Nipissing, Ontario Tech et Windsor – a noté que la grande majorité des étudiants de ces établissements étaient originaires de l’Inde, dont 85 % d’étudiants étrangers à Algoma et 60 % à Windsor. 

L’afflux rapide de migrants suscite des inquiétudes croissantes 

Les établissements d’enseignement supérieur font valoir à juste titre que ces étudiants apportent de nombreux avantages aux campus canadiens au-delà des considérations financières, notamment la diversité et les perspectives culturelles qui constituent des enseignements précieux pour les étudiants canadiens. Ils contribuent également à la main-d’œuvre hautement qualifiée du Canada et aident à compenser la pénurie de main-d’œuvre. 

Mais cet afflux rapide a également suscité de nombreuses inquiétudes. Les nouveaux étudiants se sont plaints des longs délais de traitement des demandes de visa et des retards dans l’obtention de leur permis de travail postuniversitaire, ainsi que de la pénurie de logements étudiants abordables, des pratiques contraires à l’éthique de certains recruteurs d’étudiants et des problèmes financiers et de santé mentale. Certains ont été contraints de se tourner vers les banques alimentaires. 

D’autres ont reproché à l’afflux d’étudiants d’aggraver la pénurie de logements au Canada et d’accroître la pression sur nos services de santé. 

En réponse, le ministre de l’Immigration Marc Miller a annoncé plus tôt cette année que le gouvernement fédéral fixerait un plafond pour les permis d’études internationaux pendant deux ans. En 2024, le plafond sera fixé à environ 360 000 permis, soit une baisse de 35 % par rapport à 2023. 

Les autorisations seront attribuées par province et par territoire, en fonction de la population. Les provinces répartiront ensuite les permis entre les établissements. Le plafond ne s’applique pas aux programmes de maîtrise et de doctorat ni aux études primaires et secondaires. 

En outre, à partir du 1er septembre, les étudiants internationaux qui commencent un programme dans le cadre d’un partenariat public-privé ne pourront plus bénéficier d’un permis de travail postuniversitaire. Cette mesure s’ajoute aux annonces précédentes qui ont relevé les exigences en matière de coût de la vie pour les demandeurs de permis d’études et d’autres réglementations. 

Le système d’enseignement postsecondaire canadien a toujours eu de nombreuses raisons de se réjouir. Nous arrivons régulièrement en tête des classements de l’OCDE en matière de niveau d’éducation. 

Nos établissements vont des universités de recherche de renommée mondiale aux petites institutions d’arts libéraux, en passant par le vaste réseau de collèges et cégeps censés répondre aux besoins de la communauté. On peut supposer que c’est ce qui a attiré les étudiants étrangers en premier lieu. 

Tout cela semble aujourd’hui menacé. Contraints de faire face à une réduction des permis d’études internationaux, de nombreux établissements vont se retrouver en difficulté. 

En Ontario, l’Université Laurentienne s’est placée sous la protection de la loi sur les créanciers en 2021 et l’Université Queen’s a publiquement fait état de ses difficultés financières, les attribuant à la réduction des frais de scolarité, à l’inflation élevée et à la baisse des inscriptions d’étudiants étrangers pendant la pandémie. Les gouvernements interviendront-ils ou verrons-nous d’autres établissements suivre le chemin de l’Université Laurentienne ? 

Les étudiants étrangers devraient jouer un rôle à part entière dans notre système d’immigration, mais ils ne devraient pas être utilisés comme un moyen de maintenir la rentabilité des établissements d’enseignement supérieur. Les gouvernements doivent rétablir un financement adéquat des universités et des collèges. 

Un rapport récent d’un groupe d’experts de l’Ontario a recommandé de mettre fin au gel des frais de scolarité dans la province et d’augmenter le financement par étudiant, en notant que « de nombreux collèges et universités ont dépassé le stade où ils pourraient survivre financièrement avec les seuls étudiants nationaux ». 

Le gouvernement de l’Ontario a récemment annoncé une augmentation d’un milliard $ sur trois ans, ce qui est loin de l’augmentation de 2,5 milliards $ recommandée par le groupe d’experts. 

Les institutions doivent également faire leur part. Ils n’ont pas voulu admettre que la diminution du nombre d’étudiants nationaux les obligeait à réduire leurs activités. 

Il est temps de renouer avec la fierté que nous avions autrefois à l’égard de nos établissements d’enseignement supérieur et de notre système d’immigration. 

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Rosanna Tamburri
Rosanna Tamburri est rédactrice et réviseure senior à l’IRPP. Elle a précédemment été journaliste économique, et responsable des publications de recherche au Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.

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