Dans son rapport publié le 20 octobre 2016, le Conseil consultatif en matière de croissance économique, mis sur pied par le ministre fédéral des Finances Bill Morneau, recommande au gouvernement d’augmenter rapidement les seuils d’immigration de manière à accueillir 450 000 immigrants par année en 2021. Il s’agit là d’une hausse substantielle de 50 % par rapport aux 300 000 admissions prévues en 2016.

De nombreux arguments nous amènent à douter de la pertinence d’une telle recommandation et à mettre en garde le gouvernement contre son adoption. D’ailleurs, le ministre fédéral de l’Immigration John McCallum trouve que ce nouvel objectif sera non seulement coûteux mais aussi difficile à défendre auprès de la population.

Le Canada est déjà le pays le plus accueillant du monde

Sur le plan international, le Canada est reconnu comme un pays très ouvert à l’immigration. De tous les membres du G8, c’est lui qui compte la plus forte proportion d’immigrants dans sa population : 20,6 % en 2011, comparativement à 13 % en Allemagne et aux États-Unis en 2010, entre autres. En dehors des pays du G8, seule l’Australie peut se comparer au Canada à ce chapitre.

Quelques mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Justin Trudeau s’était fixé comme objectif d’accueillir 300 000 nouveaux résidents en 2016, soit 10 % de plus qu’en 2015. Pourquoi augmenter ce nombre à 450 000 désormais ? Les niveaux d’immigration doivent être compatibles avec la capacité d’absorption à la fois économique et sociale du pays. Il y a aussi un équilibre linguistique et culturel à respecter. En effet, l’immigration n’est pas uniquement une affaire économique où l’immigrant est considéré comme un facteur de production. Il faut aussi tenir compte des progrès que les échanges entre personnes d’origine différente permettent sur le plan culturel.

L’intégration difficile des nouveaux arrivants

Les politiques de sélection en vigueur au Canada attirent des immigrants hautement qualifiés, mais force est de constater que leur intégration sur le marché du travail se fait très difficilement. Il y a un large consensus scientifique à ce sujet.

De nombreux indicateurs économiques reflètent cette situation. Par exemple, en 2015, 66 % des immigrants récents au Canada (c’est-à-dire ceux qui ont été admis il y a cinq ans ou moins) de 25 à 54 ans occupaient un emploi. C’est 17 points de pourcentage de moins que le taux affiché par la population du même groupe d’âge née au Canada, lequel est de 83 %. Dans les faits, alors que la moitié des nouveaux arrivants possèdent un diplôme universitaire, leur taux d’emploi est comparable à celui de la population qui ne détient même pas un diplôme d’études secondaires.

Les problèmes d’intégration des immigrants sont structurels et exigent des mesures en profondeur. Les gouvernements misent davantage sur la sélection, mais les freins à l’emploi ne tiennent pas uniquement au profil des immigrants. Les problèmes de discrimination et de non-reconnaissance des compétences acquises à l’étranger ne peuvent pas être corrigés par la sélection. De même, les difficultés posées par l’accueil d’un trop petit nombre d’immigrants en région, par le taux d’emploi excessivement bas des femmes immigrantes, ou encore, dans le cas du Québec, par la francisation insuffisante ne seront pas résolues uniquement par la sélection.

L’immigration et la croissance économique : un mythe à dissiper

Dans le contexte actuel où les immigrants peinent à se tailler une place sur le marché du travail, l’immigration a un effet limité sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant, donc sur le niveau de vie moyen de la population d’accueil. Nombre de recherches scientifiques le confirment : l’accroissement de la population dans un pays augmente le revenu national, mais pas nécessairement le niveau de vie moyen. Cette distinction est essentielle. On peut vouloir amplifier la croissance totale en raison du prestige, du poids politique, voire de la puissance militaire que la taille du pays peut procurer au niveau international. Mais au moment d’évaluer l’effet de l’immigration sur le niveau de vie de la population, c’est la croissance du PIB par habitant qu’il faut prendre en considération. George Borjas, par exemple, estime cet effet à moins de 0,5 % pour les États-Unis (Immigration Economics, Harvard University Press, 2014). Pour le Canada, des simulations faites par Peter Dungan, Tony Fang et Morley Gunderson prédisent que l’ajout de 100 000 immigrants par année entraînerait une légère diminution du PIB par habitant à la fin d’une période de 10 ans (British Journal of Industrial Relations, vol. 51, no 1, 2013).

Pour une participation efficace au marché du travail

La position adoptée par le Conseil consultatif contraste avec celle du gouvernement du Québec, laquelle nous semble plus sage. Dans son plan d’immigration pour les années 2017 à 2019, la ministre québécoise de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Kathleen Weil, propose d’améliorer d’abord les processus de sélection et d’intégration des immigrants avant d’augmenter leur nombre de façon importante. Ce choix stratégique est sensé, et le gouvernement fédéral devrait s’en inspirer.

Même si l’immigration présente des avantages à long terme, les conditions actuelles du marché du travail commandent la prudence quant au nombre d’immigrants à admettre. Le Canada devra d’abord s’attacher à promouvoir la pleine utilisation des ressources qu’offre l’immigration en favorisant une participation efficace de ses immigrants au marché du travail. Sinon, une hausse accélérée des seuils d’immigration ne fera qu’augmenter le nombre de travailleurs inactifs, de chômeurs, d’employés en situation précaire, d’assistés sociaux et d’indigents.

Loin de vouloir décourager l’immigration ou d’en prôner la réduction, nous pensons que le bien-être collectif sera mieux servi si les niveaux d’immigration demeurent stables ou augmentent graduellement, et si on met d’abord en place les conditions qui permettront aux immigrants de contribuer au bien-être collectif à la hauteur de leurs aspirations.

Par ailleurs, l’immigration à elle seule ne résoudra pas les problèmes de la pénurie de main-d’œuvre. Présentement, le Canada compte 4,2 millions de personnes de 20 à 64 ans qui ne participent pas au marché du travail. C’est en intégrant un plus grand nombre de ces personnes au marché de l’emploi que l’on pourra vraiment améliorer le bien-être des Canadiens. Il faudra notamment redoubler d’effort en matière de persévérance scolaire, améliorer les compétences de base des travailleurs, promouvoir leur formation continue, amener les employeurs à s’ouvrir réellement aux immigrants, favoriser une meilleure conciliation entre les responsabilités familiales et professionnelles, et décourager les retraites anticipées. Ce sont quelques-uns des moyens que nous pouvons mettre en œuvre pour accroître le taux d’activité des 20 à 64 ans.

En favorisant une meilleure intégration des immigrants au marché du travail, nous pourrions faire progresser la productivité de notre économie et le bien-être collectif.

Une opinion répandue est qu’une immigration plus massive aiderait le Canada à mieux affronter le vieillissement démographique et, notamment, à hausser le poids de la population active par rapport à celui des enfants et des retraités. L’âge moyen des nouveaux immigrants est en effet inférieur à celui des Canadiens de naissance. Toutefois, des recherches ont montré qu’une augmentation, même considérable, du nombre d’immigrants n’aurait qu’un effet négligeable sur l’âge moyen de la population. Ainsi, dans une étude de l’Institut C.D. Howe, les chercheurs Robin Banerjee et William Robson ont calculé qu’il faudrait accroître l’immigration annuelle par un facteur de 2,5 pour contrebalancer l’effet de la faible fécondité passée sur la croissance de la main-d’œuvre. Et ils concluent en observant qu’une augmentation si importante ne serait acceptable au plan politique.

Enfin, la question de la régionalisation de l’immigration représente un autre enjeu de taille. Ainsi, en 2011, 95 % des immigrants étaient répartis dans quatre provinces : l’Ontario, la Colombie-Britannique, le Québec et l’Alberta. Une hausse accélérée du volume d’immigration augmenterait encore le nombre de nouveaux arrivants dans ces quatre grandes provinces, et accentuerait le déséquilibre économique, social et culturel avec le reste du pays. Elle intensifierait aussi la pression démographique sur le parc immobilier et les infrastructures urbaines.

Pour toutes ces raisons, nous jugeons que la proposition du Conseil consultatif est mal fondée et fort imprudente. L’état actuel de nos connaissances ne permet aucunement de conclure qu’une augmentation du contingent annuel d’immigrants internationaux à 450 000 d’ici à 2021 aurait des effets favorables sur le niveau de vie moyen des Canadiens. De plus, la hausse accélérée que propose le Conseil nous semble dépasser nettement la capacité d’absorption du pays. Nous disposons de moyens alternatifs efficaces pour faire progresser la productivité de notre économie et le bien-être de notre collectivité. Enfin, contrairement à plusieurs autres pays, l’opinion publique au Canada par rapport à l’immigration est positive. Il est important qu’elle le demeure, mais il faut alors une politique responsable qui évite les excès.

Photo: Shutterstock.com


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Brahim Boudarbat
Brahim Boudarbat est professeur titulaire à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal et fellow au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Il a publié plusieurs études sur l’intégration des immigrants, les inégalités de revenu, les choix de carrière et les conditions de travail des Canadiens.  
Gilles Grenier
Gilles Grenier est professeur émérite de science économique à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de plusieurs publications qui portent sur les salaires et d’autres attributs du marché du travail. Il s’est intéressé principalement aux caractéristiques reliées à la langue et à l’immigration.
Pierre Fortin
Pierre Fortin est professeur émérite de sciences économiques à l’Université du Québec (Montréal), membre de la Société royale du Canada et ancien président de la Canadian Economics Association. Il se spécialise en macroéconomie et en politiques sociales. 

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