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Dans un message publicitaire diffusé par le Parti québécois quelques jours avant la Saint-Jean-Baptiste, on entend sur fond de musique douce et d’images empreintes de convivialité le chef de ce parti, Paul St-Pierre Plamondon, déclamer ceci :

La Fête nationale, c’est un moment pour s’unir au-delà de nos différences. À une époque où on tente de nous diviser et de nous classer par catégories de citoyens, c’est important de célébrer ce que nous avons en commun, le fait que nous avons un avenir en commun, entre nos mains. 

Alors que vous soyez francophone, francophile, polyglotte, à gauche, à droite, et peu importe l’année d’arrivée de votre famille au Québec. Si vous êtes fier de vivre au Québec, fier de notre différence linguistique et culturelle, si vous refusez d’être catalogué et mis dans une case, venez tenir le drapeau avec nous. Car nous sommes toutes et tous Québécois à part entière!

On comprendra aisément que plusieurs y aient immédiatement vu un message d’inclusion. Sur Twitter par exemple, une intervenante enthousiasmée a tôt fait de relayer le message : « Bien dit. La fête de tous les Québécois, sans exception ». Une seconde a renchéri à l’effet que « le français, langue commune au Québec, est ce qui nous unit. Que vous ayez une ou plusieurs autres langues, pas de souci bien sûr, mais c’est quand même le français qui est le socle des Québécois ».

Par contre, si on s’étonne – comme je l’ai fait – de l’absence de toute référence à l’anglophonie québécoise dans les propos du chef du PQ, on se fait répondre que « les anglophones sont montréalais ou canadiens. That’s it. Ils en ont rien (sic) à cirer du Québec ».

On pourrait aligner d’autres messages analogues, affichés sur les réseaux sociaux au cours des derniers jours et qui vont dans un sens ou l’autre, tous en marge de la publicité du Parti québécois. Comment un seul et même message peut-il être interprété de manières aussi diamétralement opposées?

D’entrée de jeu, il n’est pas surprenant que la délimitation de la population visée par M. St-Pierre Plamondon se joue sur la langue, et qu’il en aille de même pour qui fait implicitement partie de la nation québécoise. La surenchère à laquelle se livrent la CAQ et le PQ au sujet du soi-disant « déclin du français » au Québec l’explique au moins en partie.

Toutefois, le découpage de la population québécoise que l’on met de l’avant et, surtout, la sélection des pans de la population que l’on encourage à se sentir incluse, est fort inhabituel : non pas les francophones, les anglophones et les allophones, comme on pourrait s’y attendre, mais plutôt les francophones, les francophiles, et les… polyglottes. Autrement dit, ceux dont la langue est le français, ceux qui aiment le français, et ceux qui parlent plusieurs langues, dont on peut présumer que l’une d’elles est le français.

Où sont les anglophones, qui constituent la plus importante minorité, linguistique en plus, du Québec? Et les allophones?

Certains se sont efforcés de banaliser l’affaire. Les uns ont laissé entendre que tous les anglophones sont francophiles. D’autres ont fait valoir que les anglophones sont inclus dans les polyglottes. Problème réglé? Non, car on ne peut supposer que tous les anglophones ou allophones soient francophiles, ni polyglottes (même si, statistiquement, au Québec, la grande majorité l’est). De toute façon, si l’objectif était d’inclure les anglophones et les allophones, pourquoi ne pas simplement les avoir mentionnés explicitement?

Quelle que soit l’intention qui a sous-tendu la catégorisation « francophone/francophile/polyglotte », ce curieux découpage exclut d’office les anglophones, ou plus précisément, des anglophones, et ce en raison de leur nombre au Québec et de l’attrait de l’anglais pour certains immigrants.

Comment peut-on en arriver à une telle conclusion? Il suffit d’écouter : qui n’est ni francophone, ni francophile, ni polyglotte n’est pas « Québécois à part entière » et ne fait partie de la nation québécoise, sans qu’on ne le dise directement.

Cela inclut donc ceux qui n’aiment pas – ou qui prétendument n’aimeraient pas le français, chose difficilement mesurable –, et ceux qui ne parlent pas le français, qu’ils fassent partie de la minorité d’anglophones unilingues ou d’allophones qui ont fait de l’anglais leur seconde langue au Québec.

En somme, on découpe la population anglophone et allophone en deux groupes. Ceux qui « aiment le français » et ceux qui le parlent sont des « Québécois à part entière ». Mais il y a aussi les anglophones et allophones qui n’aimeraient pas le français, et ceux qui ne le parlent pas, qui sont quelque chose d’autre, mais manifestement pas Québécois, en tout cas pas tout à fait.

Ce qui étonne par-dessus tout est l’adoption par un aspirant premier ministre d’une posture aussi clivante. Ce qui heurte, toutefois, est le choix du moment pour ce faire : était-il vraiment nécessaire de profiter d’une occasion qu’on souhaite normalement inclusive pour exclure à un tel point?

Comme le dit lui-même le chef du PQ dans son message : « À une époque où on tente de nous diviser et de nous classer par catégories de citoyens, c’est important de célébrer ce que nous avons en commun ».

On ne saurait mieux dire. Il aurait été tellement plus simple et plus rassembleur de souhaiter une bonne Fête nationale à tous les Québécois, de toutes langues et de toutes origines.

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Denis Hurtubise
Denis Hurtubise est vice-recteur aux études de l’Université de Sudbury.

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