(English version available here)

Depuis 1981, le nombre de départs hebdomadaires d’autocars interurbains au Québec a diminué de 85 %. L’offre est 7 fois moins grande qu’elle ne l’était il y a 40 ans. Dans la province comme dans le reste du Canada, le transport interurbain par autocar traverse une crise depuis des décennies.

Tandis que le transport en commun urbain – métro, train léger, autobus – est financé par les gouvernements sur le mode d’un service public tarifé, le transport interurbain par autocar (TIA) ne bénéficie pas d’un tel soutien récurrent de l’État. Le TIA, en quasi-totalité financé par ses usagers, demeure partout au pays aux prises avec une logique de rentabilité qu’appliquent des transporteurs privés qui tentent tant bien que mal de maintenir une offre en dépit de la croissance du taux de véhicules par habitant.

Ce taux, qui presque triplé au Québec depuis les années 1970, représente en effet une concurrence accrue envers les autres modes de transport, dont l’autocar interurbain. Aux prises avec des trajets de plus en plus déficitaires, les transporteurs ont réagi comme toute entreprise privée raisonnable réagirait dans les mêmes circonstances : en diminuant la fréquence, voire en éliminant les itinéraires générant des pertes financières. Le graphique suivant montre l’évolution de l’offre de transport interurbain par autocar au Québec dans les 40 dernières années.

Même si les gens se déplacent davantage en voiture, les gouvernements, tant provinciaux que fédéral, n’ont pas modifié leur approche en matière de financement du TIA. Par conséquent, l’offre s’est effondrée, incapable d’être maintenue par des entreprises privées autofinancées par la vente de billets.

Le TIA est ainsi un parent pauvre des politiques publiques de transport en commun, comme en témoigne le tableau suivant. Celui-ci ventile la principale enveloppe budgétaire du ministère des Transports du Québec affectée au transport en commun selon les postes d’allocation. Ce sous-financement du TIA au regard du transport en commun urbain s’observe partout au pays.

Lorsque les États-Unis donnent l’exemple

Nos voisins du sud ne sont pas réputés pour être la Mecque du transport en commun. Pourtant et contrairement au Canada, l’administration fédérale dirige un programme de subventions du TIA qui est financé par une portion des recettes d’une taxe de 2,86 cents/gallon d’essence perçue partout au pays. La Federal Transit Administration distribue des fonds aux États qui en font la demande, avec l’objectif de financer de façon récurrente les itinéraires déficitaires d’autocars interurbains et d’ainsi d’éviter leur disparition.

L’État de l’Oregon se prévaut de ce programme. Non seulement on y observe un maintien des itinéraires en dépit des difficultés financières de l’industrie, mais le coût des billets au guichet est nettement inférieur aux tarifs en vigueur dans une province comme le Québec, pour des trajets de distance similaire. Le TIA soutenu par des fonds publics affiche une plus grande compétitivité. On peut le voir en comparant deux trajets similaires : un aller simple entre Montréal et Trois-Rivières (180 km) coûte 47 $ CA alors qu’un aller simple entre Astoria et Portland (150 km) coûte 18 $ US.

Le TIA par appel d’offres

Des États tels que la Californie, Washington ainsi que l’Oregon pratiquent un modèle innovateur où, forts des subventions fédérales, ces gouvernements planifient le TIA par le biais d’appels d’offres de desserte d’itinéraires identifiés. Contrairement aux provinces canadiennes qui sont dépendantes de l’initiative de transporteurs privés se proposant d’opérer des trajets, certains États des États-Unis organisent eux-mêmes l’offre de TIA.

Les appels d’offres concernent souvent des trajets autrement non desservis puisque non rentables, et procèdent par « montant compensatoire ». Les transporteurs soumettent un montant correspondant aux déficits d’opération annuels anticipés selon une grille tarifaire prescrite par l’appel d’offres. Ainsi, le TIA par appel d’offres dégage ce secteur de l’exigence de rentabilité, et permet de garantir un service de transport interurbain là où le marché privé ne voit autrement aucun intérêt.

À une fréquence quinquennale, un état des lieux de l’offre de TIA est mené par plusieurs juridictions états-uniennes de manière à identifier les obstacles et mieux planifier l’offre, par exemple par l’intermédiaire du modèle de l’appel d’offres. Un tel exercice, où les pouvoirs publics affichent une responsabilité vis-à-vis de l’offre de TIA, est à notre connaissance inédit au Canada. Les provinces continuent chez nous de s’en remettre au marché privé, à l’exception près de la Saskatchewan qui s’était dotée d’une société d’État responsable du TIA, la Saskatchewan Transportation Company. Celle-ci a été toutefois dissoute en 2017.

La libéralisation : une fausse bonne idée ?

Au pays, la plupart des provinces préconisent le modèle du monopole réglementé, où les transporteurs se voient attribuer par une instance réglementaire provinciale une exclusivité sur les trajets opérés.

L’Ontario a décidé en 2020 de libéraliser le secteur en mettant fin au monopole. Aux prises avec un effondrement du secteur accéléré par la pandémie, le gouvernement a jugé que l’incitatif de la concurrence allait stimuler l’offre. Cette solution de marché peut possiblement avoir certains effets positifs pour les corridors rentables jouissant d’une demande plus soutenue, tels que les axes reliant Toronto à Niagara ou London. Or, cette approche demeure muette vis-à-vis des axes périphériques et régionaux, qui souffrent d’une diminution de l’offre de TIA ne pouvant être attribuée au monopole.

Dans la littérature portant sur le TIA, l’exemple du Michigan est érigé en cas d’école en matière de libéralisation. À partir de 1976, cet État avait mis en place des subventions publiques pour soutenir les trajets devenus non rentables, puis s’était résigné à libéraliser le secteur six ans plus tard. Les conséquences de cette politique ont eu tôt fait de se manifester : cinq années après la libéralisation, l’étendue totale du réseau avait diminué de 40 %, accompagné d’une contraction de 30 % des arrêts desservis. Le risque permanent de concurrence a poussé les transporteurs à se tourner vers le transport nolisé et à délaisser le service régulier. Le nombre d’entreprises de ce secteur a chuté de 12 à 3, tandis que celui du transport nolisé est passé de 55 à 120 joueurs. À compter de 1988, l’État du Michigan s’est résolu à modifier son approche, en mettant sur pied plusieurs programmes de soutien public au TIA.

La faillite de l’offre de TIA partout au Canada est moins le fait de transporteurs trop habitués à une position monopolistique sur leurs trajets que la conséquence de la motorisation de la population et des politiques publiques de mobilité et d’urbanisme axées sur la voiture ayant été adoptées dans les dernières décennies.

En procédant à la libéralisation, l’Ontario pose le mauvais diagnostic, puisque celui-ci suppose que l’effondrement du TIA relève d’un mauvais choix d’approche réglementaire. Le problème est malheureusement beaucoup plus profond et concerne principalement le cercle vicieux du taux croissant de voitures par habitant, qui entraîne en retour une diminution de l’offre de TIA, renforçant davantage la dépendance à la voiture.

En somme, la politique de libéralisation est une solution bien commode pour un gouvernement qui souhaite éviter d’engager des fonds publics pour soutenir une offre de TIA phagocytée par l’industrie automobile. Cette solution n’est toutefois pas adaptée aux axes difficilement rentables pour le secteur privé, et ce peu importe le modèle réglementaire.

Une mobilité à la croisée des chemins

Les changements climatiques précipitent le système de transport articulé autour de la voiture individuelle dans une crise aiguë. Faut-il renouveler sur un mode électrique ce système, à coup de subventions publiques pour des usines de voitures électriques et de rabais à l’achat, ou plutôt transformer les infrastructures de mobilité pour un modèle de transport de type collectif ?

Sans aucun doute, s’il s’agit de choisir la deuxième option, les pouvoirs publics du Canada doivent envisager le transport en commun interurbain comme un service public. En la matière, nos voisins du sud peuvent nous inspirer des pistes de réformes.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Colin Pratte
Colin Pratte est sociologue, juriste et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) où il travaille entre autres sur les enjeux relatifs au transport de personnes.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License