L’enseignement de l’art peut-il sauver le français? Il pourrait à tout le moins être à l’avant-plan du développement et du maintien des communautés francophones canadiennes et acadienne, à condition qu’on lui laisse occuper sa place légitime.

Les bénéfices de l’enseignement artistique sont nombreux et considérables pour tous les élèves, et particulièrement pour ceux qui fréquentent les écoles francophones du Canada. L’éducation artistique offre notamment des occasions concrètes de faire vivre le français dans les écoles, de transmettre et faire évoluer le patrimoine francophone à travers le pays, de contrer le décrochage scolaire et de développer des compétences cruciales chez les jeunes. Parmi celles-ci, mentionnons la créativité, la résolution de problèmes, la pensée critique et la communication, des aptitudes prisées dans tous les secteurs d’activité professionnelle et qui permettent aux élèves de faire face au monde d’aujourd’hui et de demain.

Trop peu de francophones dans les écoles françaises

La vitalité même de la francophonie canadienne est en jeu. Statistique Canada publiait en août dernier son analyse des données linguistiques du recensement de 2021. Celle-ci révélait que bien que le français soit la première langue officielle parlée d’un nombre grandissant de Canadiens, la proportion qu’ils représentent a baissé de 22,2 % à 21,4 % entre 2016 et 2021. Pour la première fois, le recensement a permis de dénombrer le nombre d’enfants et d’adolescents admissibles à une éducation en français à l’extérieur du Québec, soit 593 000. À peine les deux tiers d’entre eux (64,7 %) ont fréquenté une école de langue française pendant au moins un an durant la période recensée.

Ces données ont eu pour mérite d’éveiller les consciences des décideurs publics quant à la gravité du problème, pourtant dénoncé depuis des décennies par les milieux communautaires et institutionnels. Soulignons d’ailleurs les investissements de 1,4 milliard $ du nouveau Plan d’action pour les langues officielles annoncé en avril, et dont une partie pourrait améliorer l’accès à une éducation artistique de qualité pour les élèves francophones du Canada. Mais ce n’est là qu’une partie de la solution.

Trouver 10 000 enseignants en pleine pénurie de main-d’œuvre

La transformation démographique de la francophonie affecte aussi le personnel enseignant. On constate une véritable hémorragie au niveau national, une proportion importante des enseignants abandonnant la profession dans les cinq premières années de carrière. En Ontario, c’est un sur quatre (26 %) qui le fera.

Dans l’ensemble du Canada, entre les programmes de français langue seconde et d’immersion française, puis les besoins propres aux écoles francophones, il manquerait en tout entre 10 000 et 12 000 enseignants de langue française. Dans ce contexte de pénurie de main-d’œuvre, de plus en plus d’enseignants sont recrutés à l’international, à travers la francophonie. Le plan fédéral prévoit d’ailleurs un montant de 16,3 millions $ sur cinq ans pour la sélection et la rétention d’enseignants de langue française recrutés à l’étranger.

Celles et ceux qui enseignent les arts n’échappent pas à ces tendances. Et comme les autres enseignants, ils font face à la dévalorisation généralisée de leur discipline, mais encore davantage, puisque l’art et la culture sont trop souvent perçus comme un simple divertissement. Pourtant, les arts ont la capacité de bâtir des ponts interculturels. Encore faut-il que des ressources et des outils soient mis à la disposition du personnel scolaire.

Quatre personnes se tiennent autour d’une illustration au crayon montrant entre autres un soleil, un papillon, une rivière avec des poissons, et un personnage dans un petit bateau.
« Celles et ceux qui enseignent les arts font face à la dévalorisation généralisée de leur discipline, mais encore davantage, puisque l’art et la culture sont trop souvent perçus comme un simple divertissement. », soutiennent les auteures. PHOTO DANY LEPAGE

Il devient donc primordial de s’attaquer spécifiquement à la pénurie de personnel dans l’enseignement des arts. L’enseignant dans un contexte minoritaire a plus d’une mission, en étant à la fois pédagogue, bâtisseur de ponts et passeur culturel, et en assurant la pérennité de la francophonie dans l’identité canadienne. Avec un accompagnement et des outils de qualité, ces missions deviennent à la fois plus réalistes et plus réalisables. Ce sera non seulement bénéfique pour l’élève, mais aussi pour retenir le personnel et contrer la pénurie.

Solutions, innovation, mobilisation

Le potentiel de l’enseignement artistique est ce qui a poussé la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) à mettre sur pied La ruchée en 2020. Ce projet a pour mission de développer des solutions accessibles, utiles et pérennes afin de répondre aux besoins du milieu de l’éducation artistique de la francophonie canadienne et acadienne. Grâce à des services d’accompagnement, du mentorat, des ateliers et de la formation pour les enseignants actuels et futurs, l’approche intersectorielle d’innovation sociale de La ruchée permet d’appuyer concrètement des intervenants sur le terrain et de répondre à leurs besoins actuels et futurs.

La complexité de l’écosystème nécessaire à la mise en place, au maintien et au financement de politiques et de programmes d’éducation artistique peut être perçue comme un frein au progrès. Plusieurs acteurs travaillent d’arrache-pied avec les moyens et les structures dont ils disposent, mais la collaboration sera la clé du succès afin que l’art puisse servir les communautés francophones du Canada à son plein potentiel. C’est pourquoi les différents acteurs des secteurs de l’éducation, des arts – incluant les parents des élèves fréquentant les écoles francophones canadiennes – doivent se mobiliser pour éliminer les barrières systémiques qui font entraves à la vitalité de l’éducation artistique.

Il est temps de mettre en place les politiques qui donneront à l’éducation artistique la place qui lui revient dans les écoles de la francophonie canadienne et acadienne.

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Marie-Ève Desormeaux
Marie-Ève Desormeaux est directrice des contenus du Laboratoire d’éducation artistique La ruchée. Elle a travaillé comme gestionnaire dans le domaine de la mobilisation des connaissances et à titre d’évaluatrice de programme pour de nombreux organismes francophones en contexte minoritaire à travers le pays, particulièrement en lien avec le dossier de la pénurie de personnel enseignant de langue française.
Marie-Christine Morin
Marie-Christine Morin est Directrice générale de la FCCF depuis 2018. Elle y a developpé et mis en place plusieurs initiatives d'envergure nationale dans le domaine des arts et de la culture et de l'éducation aux arts, dont La ruchée et Passepart. Elle travaille depuis une vingtaine d'années dans le domaine de la gestion des organisations, de programmes, de politiques publiques et de projets qui favorisent l'innovation et le progrès.

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