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Quand est-il acceptable de parler anglais dans les hôpitaux du Québec? La réponse est plus compliquée qu’on pourrait le penser. 

Le 18 juillet dernier, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec émettait une Directive précisant la nature des situations dans lesquelles le réseau de la santé et des services sociaux entend utiliser une autre langue que le français dans les cas où le permettent les dispositions de la Charte de la langue française. Cette directive succinctement nommée donne suite à une exigence de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, aussi connue sous le nom de loi 96.  

La loi, adoptée en juin 2022, oblige en effet les ministères et organismes relevant du gouvernement du Québec à préciser quand l’utilisation d’une autre langue que le français – essentiellement l’anglais – sera permise.  

La règle étant que le français soit réaffirmé « en tant qu’unique langue officielle de l’État québécois », les organismes du réseau sont soumis à trois obligations générales : ils doivent utiliser exclusivement le français à l’écrit; ils doivent utiliser exclusivement le français dans les communications orales; si une situation exceptionnelle fait en sorte qu’on utilise une autre, langue, il faut revenir au français dès que possible. 

Les sept pages que consacre la directive aux communications écrites et orales avec les patients et leurs proches renferment un inventaire non exhaustif des exceptions à l’obligation de ne communiquer qu’en français. On y identifie les circonstances où il est possible bénéficier de telles exceptions, de même que les consignes linguistiques à l’intention des employés du réseau de la santé.  

Ainsi, on peut utiliser une autre langue que le français à l’oral comme à l’écrit lorsque la santé l’exige. On entend par là « toute situation d’urgence ou circonstance » dans laquelle un patient doit recevoir des soins, consentir à des soins ou participer aux décisions affectant sa santé.  

On peut aussi utiliser une autre langue que le français avec les « personnes déclarées admissibles à recevoir l’enseignement en anglais », de même qu’avec celles avec lesquelles un organisme du réseau correspondait en anglais avant le 13 mai 2021 (la date à laquelle le projet de loi 96 a été déposé). Il est aussi possible de communiquer autrement qu’en français avec les membres des Premières Nations et les Inuit, de même qu’avec les personnes immigrantes. Encore une fois, c’est un peu plus compliqué qu’il n’y parait à première vue. 

Des exceptions dans les exceptions 

Les Québécois admissibles à recevoir l’enseignement en anglais devront avoir reçu le document Déclaration d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais du ministère de l’Éducation du Québec, et avoir formulé une demande expresse à ce que les échanges aient lieu en anglais. Quant à la correspondance des organismes dans une langue autre que le français qui avait lieu avant le 13 mai 2021, elle pourra se poursuivre à condition que la correspondance ait concerné directement les mêmes personnes, qu’elle n’était pas uniquement motivée par l’état d’urgence sanitaire (la pandémie), et que l’organisme en question dispose d’une trace de cette correspondance.  

Les membres des Premières Nations et les Inuit devront eux aussi demander de manière expresse que la communication ait lieu dans une autre langue que le français. Dans le cas des communications écrites, une version française doit devra aussi être rédigée. Enfin, pour ce qui est des personnes immigrantes, un organisme ne pourra communiquer avec elles dans une autre langue que le français qu’au cours des six mois suivant leur arrivée au Québec. 

D’un point de vue gouvernemental, on devait donner suite à un article de la loi de 2022 sur le français au Québec. Au vu du contenu de la directive qui en a résulté, il appert que les fonctionnaires du ministère de la Santé se sont livrés à un imposant exercice de casuistique, identifiant et balisant les exceptions pouvant être autorisées. 

Toutefois, la précision avec laquelle les exceptions sont décrites n’est pas sans inconvénient, lorsque considérée par des parties autres que le gouvernement du Québec. Par exemple, l’obligation de disposer d’un document du ministère de l’Éducation prouvant l’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais a été interprétée comme une condition pour que les Anglo-Québécois puissent recevoir des soins dans leur langue. 

En additionnant les exceptions, les conditions pour qu’elles s’appliquent et toutes les circonstances qui pourraient justifier l’utilisation d’une langue « autre que le français », on peut sourciller en imaginant le questionnaire auquel seront soumis ceux qui voudront faire l’objet d’une exception linguistique. 

Dans le même ordre d’idées, on pourra aussi sourire (ou ressentir de l’exaspération) en imaginant le jeu du chat et de la souris entre un patient et une infirmière ou un médecin qui attend que ce patient exprime son attente d’être servi en anglais, pour se sentir justifié de lui adresser la parole dans cette langue. Enfin, qu’arrivera-t-il aux personnes immigrantes qui devront se rendre à l’hôpital le matin du premier jour du septième mois après leur arrivée au Québec? 

Concéder à reculons 

La directive laisse l’impression que le gouvernement du Québec concède des exceptions uniquement parce qu’il n’a pas le choix de le faire. Pis encore, sa formulation laisse penser qu’il balise les exceptions de manière tatillonne, cherchant à bloquer toute issue possible et imaginable. 

Et que dire des risques de dérapage au détriment des patients? Il est en effet plausible qu’un employé interprète de manière littérale, par exemple, la nécessité de détenir une preuve d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais, et refuse de transiger en anglais avec un patient anglophone, avec les risques potentiels qu’une telle interprétation pourrait entraîner pour la santé de ce patient. 

Le gouvernement aurait pu formuler la directive d’une autre manière. Il aurait pu dire plus explicitement que l’affirmation du français dans le réseau de la santé ne se fera pas au détriment des Québécois qui sont plus à l’aise dans une autre langue, comme il le fait présentement en jonchant d’obstacles quasi kafkaïens leur accès aux soins. 

Des clarifications seraient encore requises, notamment quant aux critères d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais ou en ce qui a trait aux immigrants qui ne maîtriseront pas suffisamment le français une fois écoulés leurs six premiers mois au Québec. Toutefois, on aurait moins l’impression que le gouvernement ne fait que concéder des exceptions linguistiques à reculons. 

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Denis Hurtubise
Denis Hurtubise est vice-recteur aux études de l’Université de Sudbury.

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