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La pandémie de COVID-19 a durement mis à l’épreuve les capacités réelles de gouvernance du fédéralisme canadien. En réalité, si nos plus grandes villes continuent de souffrir de contrecoups économiques et sociaux liés à la pandémie, c’est en bonne partie parce que les gouvernements provinciaux refilent aux municipalités des responsabilités constitutionnelles dont ils souhaitent se débarrasser. On pourrait dire que les « créatures provinciales » que sont les villes sont le proverbial tapis sous lequel les provinces balaient depuis longtemps la poussière de leurs problèmes.
Or, la COVID-19 a soulevé ce tapis et mis au grand jour toute une série de crises de longue date dont les provinces se sont déchargées sur des municipalités mal outillées pour y faire face, ce qui a forcé Ottawa à leur accorder une aide financière d’urgence sans précédent. Compte tenu des crises à venir, mais aussi du peu de considération des provinces pour les municipalités, le gouvernement canadien devrait formaliser les échanges entre l’exécutif fédéral et les élus municipaux en rétablissant, par exemple, un ministère délégué aux Affaires municipales – un poste qui n’a existé que brièvement pendant les années 1970.
Toute discussion sur la réponse canadienne à la COVID-19 exige qu’on se souvienne, d’abord, que plus de 52 000 Canadiens sont morts de la maladie et que les groupes défavorisés ont été les plus touchés. Bien sûr, la distribution rapide de vaccins et les transferts financiers aux particuliers et aux entreprises ont sans aucun doute permis de sauver d’innombrables vies. Il en va de même pour les gouvernements provinciaux qui ont appliqué d’importantes mesures de santé publique, telles que la distanciation physique, l’obligation de porter un masque et les mesures d’urgence dans les hôpitaux afin de réduire les taux d’infection.
La réponse canadienne à la COVID-19
Les données de l’Organisation mondiale de la santé pour les pays du G7 montrent que le Japon est le pays ayant connu le taux de mortalité COVID-19 le plus faible, avec 59 décès par 100 000 habitants, tandis que le Canada arrive en deuxième position, avec 138 décès par 100 000 habitants. Les deux pays devancent largement les États-Unis et leurs 340 décès par 100 000 habitants.
Lorsque j’étais maire de Vancouver, entre 2018 et 2022, j’ai participé à de nombreuses conversations confidentielles sur la réponse du gouvernement fédéral et du gouvernement de la Colombie-Britannique à la pandémie de COVID-19. Je sais de mes conversations avec des maires du monde entier que la réponse globale du Canada a été meilleure que celle de la plupart des autres pays. Lors des conférences internationales auxquelles j’ai assisté sur Zoom au début de 2020, des maires italiens pleuraient en décrivant l’impensable : leurs villes, submergées par la COVID-19, creusaient des fosses communes pour disposer de l’afflux de dépouilles des victimes. C’était terrifiant.
Le gouvernement canadien a établi un approvisionnement continu en produits et équipements essentiels et rapidement fermé les frontières, tandis que le gouvernement de la Colombie-Britannique a décrété des mesures sanitaires extraordinaires pour lutter contre le virus. Les exigences de distanciation physique étaient essentielles pour empêcher les gens d’être infectés, c’est incontestable, mais elles ont également transformé Vancouver et d’autres villes du jour au lendemain.
Nos quartiers commerciaux se sont tus subitement, ce qui a eu un effet dévastateur sur les travailleurs, les entreprises et, ce dont on parle moins souvent, sur de nombreuses administrations municipales. Concrètement, ces mesures ont eu (et continuent d’avoir) un impact disproportionné sur les clientèles marginalisées – une réalité dont la population en général n’a pas encore bien pris conscience. Les personnes les plus touchées sont celles qui vivent de l’insécurité sur le plan de l’emploi et du logement, et qui sont souvent aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Elles ont aussi tendance à faire partie des minorités visibles.
Un demi-milliard en moins, des problèmes en plus
Les mesures sanitaires d’urgence prises en début de pandémie ont eu un impact économique immédiat sur Vancouver. Alors que les entreprises fermaient et que les gens perdaient leur emploi, l’hôtel de ville a dû faire face à une baisse spectaculaire des recettes provenant des activités tarifées, avec une perte de revenus anticipée de 189 millions $ pour l’année budgétaire 2020. Nous avons également évalué que 25 % des propriétaires n’arriveraient à payer que la moitié de leurs taxes foncières en 2020, ce qui entraînerait une perte de revenus additionnelle estimée à 325 millions $.
Bref, à ce stade précoce de la pandémie et dans le cadre du premier état d’urgence de l’histoire de la ville, nous étions confrontés à une perte de revenus d’environ 500 millions $, soit près de 30 % de notre revenu annuel total. N’ayant pas la possibilité de faire des déficits, nous avons immédiatement licencié près de 20 % de nos 8000 employés et envisagé d’autres expédients, tels que la vente de terrains municipaux, afin d’être en mesure de maintenir un minimum de services pendant la pire catastrophe à frapper la ville depuis l’incendie de 1886.
Sur le plan humain, il faut savoir qu’une grande partie des logements sociaux de la Colombie-Britannique se retrouve dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, où environ 160 hôtels fournissent quelque 7000 chambres minimalistes. Les résidents y vivent seuls, tout en partageant les salles de bains et d’autres espaces communs.
Beaucoup de ceux qui vivent dans ces petites chambres individuelles – souvent délabrées – sont pauvres, souffrent de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, sont des minorités visibles ou encore des survivants du génocide autochtone. En temps normal, ces hôtels acceptent des clients pour la nuit, ce qui permet aux couples et aux familles de demeurer ensemble, et ce qui signifie qu’un proche est là pour aider ceux qui se retrouvent en surdose de drogues empoisonnées.
Toutefois, les mesures de distanciation physique ont contraint ces hôtels à cesser d’accueillir des clients pour la nuit, ce qui a eu deux conséquences négatives majeures. Premièrement, des centaines de personnes n’ont plus eu d’endroit où trouver refuge pour dormir et ont été contraintes de se débrouiller dans les rues et les parcs, ce qui a entraîné une explosion des campements. Deuxièmement, le Bureau du coroner et les responsables de santé publique ont constaté une augmentation massive des décès liés à la consommation de drogues illicites, car les toxicomanes intimés de s’isoler se droguaient désormais seuls dans des tentes et des ruelles. Alors que 248 personnes sont mortes de surdose à Vancouver en 2019, 423 personnes sont mortes en 2020, une hausse de 71 %.
Ces circonstances catastrophiques étaient déjà difficiles à gérer pour les gouvernements municipaux, mais il faut y ajouter les perturbations des militants antivaccins qui terrorisaient les travailleurs de la santé, et les manifestations dans la foulée du décès de George Floyd à Minneapolis, dans le but de revoir à la baisse les budgets policiers.
Heureusement, la Fédération canadienne des municipalités a commencé à organiser régulièrement des visioconférences du caucus des maires des grandes villes, dont j’étais membre. Le premier ministre Justin Trudeau et ses collègues du cabinet y ont fréquemment participé, et nous avons eu des échanges francs et substantiels sur l’impact de la COVID-19 et sur les mesures à prendre.
L’abandon des provinces
Par contre, même si les provinces sont responsables des municipalités en vertu l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, il y avait très peu de communication entre les municipalités et le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il est triste que je n’aie pu obtenir qu’un seul appel personnel avec John Horgan, alors premier ministre de la Colombie-Britannique, pendant toute la durée de la pandémie.
Le gouvernement fédéral est intervenu lorsque la situation s’est aggravée sur le terrain et, pour la première fois dans l’histoire du Canada, il a fourni un financement opérationnel direct aux municipalités. De plus, les programmes fédéraux de soutien au revenu ont aidé les gens à payer leurs taxes municipales et atténué la menace qui pesait sur cette source essentielle de revenus pour les villes. En toute justice, certaines provinces ont elles aussi débloqué des fonds pour maintenir leurs villes à flot, mais ce n’est arrivé qu’après que le gouvernement fédéral les eût traînées à la table des négociations.
Ottawa a également mené la réponse aux campements de Vancouver. Ahmed Hussen, ministre de l’Habitation, a transféré des millions directement à la ville pour acquérir des hôtels et construire des logements modulaires temporaires. Patty Hajdu, alors ministre de la Santé, a rehaussé le financement des programmes de lutte contre les surdoses, dont ceux visant un approvisionnement plus sûr.
En rétrospective, je me demande souvent pourquoi Justin Trudeau a fait de son mieux pour aider Vancouver alors que John Horgan, lui, nous a laissés nous débrouiller seuls. La seule explication qui me vient est que, dans les moments difficiles, les bons gouvernements fédéraux n’ont pas peur de se salir les mains et de faire ce qui doit être fait, même si cela implique de s’ingérer dans des domaines qui ne relèvent pas de leur compétence constitutionnelle. Les provinces, quant à elles, considèrent généralement les municipalités comme des « problèmes » à gérer, plutôt que comme des partenaires avec lesquels elles ont la responsabilité de travailler.
Puisque nous réexaminons la pandémie pour en tirer des leçons, le moment serait bien choisi pour que les politiciens provinciaux revoient la façon dont ils considèrent les municipalités. Mais je n’ai pas beaucoup d’espoir que les choses changent vraiment, car il est bien commode pour les provinces de blâmer les municipalités dans les moments difficiles. Je pense également qu’Ottawa doit reconnaître qu’il n’aura d’autre choix que d’intervenir lors de futures crises.
Une avenue pour mieux s’y préparer est d’améliorer les lignes de communication fédérales/municipales, en particulier avec les maires des plus grandes villes du Canada. La dernière initiative en ce sens a eu lieu sous le gouvernement de Pierre Trudeau, en 1971, lorsque Robert Andras a été nommé ministre délégué aux Affaires municipales.
Cette responsabilité n’a pas fait long feu : elle a été supprimée en 1972 en raison de l’opposition des gouvernements provinciaux et de luttes intestines au sein du cabinet. Il pourrait cependant valoir la peine d’essayer l’idée à nouveau, alors que nous cherchons collectivement à trouver des solutions aux enjeux municipaux en ces temps de crises apparemment perpétuelles.
Cet article fait partie de la série Vers des institutions publiques plus résilientes : apprendre de la pandémie de COVID-19.