Une personne peut-elle être admissible à l’aide médicale à mourir (AMM) en Ontario et une autre, dans les mêmes circonstances, ne pas l’être au Québec ? Beaucoup d’inquiétude et de confusion entourent cette question au Québec. Avec raison.

En effet, les lois fédérale et québécoise ne disent pas la même chose. De plus, la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) du Québec a émis en mai dernier une interprétation restrictive de la loi provinciale. La loi fédérale stipule que pour être éligible à l’AMM, une personne doit, entre autres, « être atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable ». Quant à elle, la loi québécoise stipule que pour être éligible à l’AMM, une personne doit, entre autres, « être atteinte d’une maladie grave et incurable ». L’admissibilité en vertu de la loi québécoise est donc plus restreinte que celle en vertu de la loi fédérale (étant limitée à la maladie et n’incluant pas la maladie ou le handicap).

Le récent guide de la CSFV sur la signification de la « maladie grave et incurable » en vertu de la loi québécoise indique que pour être admissible, une personne doit être « dans une trajectoire de mort, prévisible ou non ». Selon ce document, les conditions suivantes ne répondent pas au critère d’admissibilité de la « maladie grave et incurable » :

  • « un symptôme ou un ensemble de symptômes » ;
  • « des pathologies ou des conditions fréquemment associées au vieillissement, notamment au très grand âge, qui peuvent entrainer un déclin avancé et irréversible des capacités ainsi que des souffrances importantes » ;
  • « la mort imminente, si aucune maladie grave et incurable n’a pu être identifiée » ;
  • « le handicap […] sauf s’il est causé par une maladie grave et incurable (par exemple, les séquelles d’un AVC causées par une maladie cérébrovasculaire) ».

L’admissibilité en vertu des directives de la CSFV est donc plus étroite que l’admissibilité en vertu de la loi fédérale. Par exemple, une personne ayant une incapacité causée par un accident pourrait être admissible en vertu de la loi fédérale mais pas de la loi québécoise, de même qu’une personne présentant une fragilité avancée.

La commission du Québec sur l’AMM rate la cible pour les troubles mentaux

We need to understand that psychological suffering can be unbearable, too

Le suicide et l’aide médicale à mourir : quelle est la relation ?

La récente déclaration du CSFV pourrait avoir un effet paralysant sur l’accès à l’AMM au Québec. On pourrait penser qu’une personne ne devrait pas y être jugée admissible à l’AMM à moins qu’elle ne réponde à cette interprétation étroite de la loi provinciale. Ce n’est heureusement pas tout à fait le cas.

Dans une affirmation qui semble reconnaître l’incohérence (mais sans carrément l’admettre) entre les lois fédérale et provinciale, la Commission conseille aux médecins « confrontés à des situations complexes » de « se référer au Collège des médecins du Québec ». Les médecins et les patients qui cherchent à obtenir l’AMM doivent donc se tourner vers le Collège.

En outre, les médecins québécois doivent signaler à la CSFV tous les cas dans lesquels ils administrent l’AMM. La Commission en évalue ensuite la conformité. Puis, si les deux tiers ou plus des membres présents sont d’avis que l’article 29 de la Loi concernant les soins de fin de vie n’a pas été respecté, elle envoie un résumé de ses conclusions au Collège des médecins. De plus, « toute personne qui constate qu’un médecin a contrevenu au présent article doit porter ce manquement à l’attention du Collège des médecins du Québec afin que celui-ci puisse prendre les mesures appropriées ». C’est donc au Collège des médecins qu’il incombe de faire respecter la loi.

Par conséquent, la façon dont le Collège comprend la relation entre les lois fédérales et québécoises est essentielle. Heureusement, il a déjà clarifié la situation. En mai 2021, il a reconnu que les lois fédérales et québécoises ne sont pas les mêmes en ce qui concerne le critère d’admissibilité « grave et incurable ». Il a également émis « une orientation clinique claire » à l’intention des médecins afin de dissiper l’incertitude quant à la façon de procéder :

  • Le Collège est d’avis que les Québécois, comme les Canadiens des autres provinces, ont droit au même accès aux soins de fin de vie et à l’aide médicale à mourir ;
  • Le Collège réaffirme que les médecins qui pratiquent l’AMM conformément aux dispositions de la loi fédérale ou de la Loi concernant les soins de fin de vie (la loi québécoise), ne feront pas l’objet d’une citation disciplinaire par le Collège, s’ils ont rigoureusement observé l’une ou l’autre loi, dans le respect des règles éthiques et déontologiques.

Alors, qu’est-ce que cela signifie pour l’admissibilité au Québec ? Que doivent faire les cliniciens et les patients face à l’incohérence entre les lois fédérales et québécoises (telles que récemment interprétées par la CSFV) ?

Eh bien, heureusement, malgré la récente déclaration de la CSFV, et malgré l’admissibilité apparemment plus restreinte à l’AMM au Québec que dans le reste du Canada, la déclaration du Collège de mai 2021 indique clairement que les cliniciens sont en fait libres de s’appuyer sur les critères fédéraux, tout comme les patients de le demander. Les patients du Québec peuvent recevoir l’AMM s’ils souffrent d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave, et la liste des conditions exclues par la CSFV ne doit pas restreindre l’accès à l’AMM.

Mais cet état du droit doit être connu des cliniciens et des patients afin que ceux-ci ne se voient pas refuser à tort l’accès à l’AMM.

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Jocelyn Downie
Jocelyn Downie est professeure aux Facultés de droit et de médecine de l’Université Dalhousie. Elle a été membre de l’équipe de services juridiques pro bono dans l’affaire Carter c. Canada, du groupe consultatif provincial-territorial d’experts sur l’aide médicale à mourir, et du groupe d’experts de la Société royale du Canada sur la prise de décision en fin de vie.

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