(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Les personnes dont un trouble mental est le seul problème médical invoqué devraient-elles être admissibles à l’aide médicale à mourir (AMM) ? Voilà la question sur laquelle le Parlement doit se pencher. La Chambre des communes a adopté le projet de loi C-7 qui rend inaccessible l’AMM pour les personnes dont un trouble mental est la seule condition médicale. De son côté, le Sénat a amendé ce projet de loi pour ajouter une clause crépusculaire à cette exclusion ; ainsi, celle-ci cesserait de s’appliquer 18 mois suivant l’entrée en vigueur éventuelle de la loi. Le projet de loi révisé sera de nouveau soumis à la Chambre, qui devra accepter ou non cet amendement.

Dans son rapport au sujet du projet de loi C-7, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles mentionne que certains témoins « ont souligné que le régime de l’AMM doit prévoir de solides mesures de sauvegarde pour protéger les Canadiens qui vivent avec une maladie mentale, surtout parce que les idées suicidaires peuvent souvent constituer le symptôme de certaines maladies mentales ». Malheureusement, formuler ainsi la relation entre les idées suicidaires, la maladie mentale et l’AMM entretient une certaine confusion.

Il est vrai que la suicidalité (le risque de suicide) est associée à certains diagnostics psychiatriques, mais certainement pas à tous, ni même à la plupart. Inversement, plusieurs personnes suicidaires n’ont aucun trouble mental. Le suicide rationnel ― le désir de mettre fin à ses jours porté par des individus exempts de diagnostic de trouble mental ― a toujours existé. En effet, rappelons que l’AMM est fondée sur la prémisse qu’il est justifiable qu’un individu souhaite hâter sa mort dans certaines circonstances. De plus, le Parlement a déjà pris position à ce sujet, affirmant que la simple présence d’un trouble mental n’exclut pas la possibilité d’un désir rationnel de mourir : les personnes souffrant de comorbidités physiques et psychiatriques ont déjà accès à l’AMM.  (Nous référons le lecteur au  témoignage du 2 février 2021 du Dr Derryck Smith devant le Comité sénatorial permanent, à 18:02:40.)

Soulignons que, cliniquement, la décision d’intervenir pour empêcher une personne de mourir ne s’appuie pas sur la présence ou l’absence d’une psychopathologie caractérisée. Plutôt, notre intervention se fait dans le but de modifier des circonstances individuelles, comme les symptômes psychiatriques, mais aussi dans une situation de crise, par exemple. Nos actions dépendent aussi de la capacité de l’individu à agir dans son propre intérêt. Nous sommes généralement prompts à intervenir auprès d’une personne qui a des idées suicidaires si nous doutons de son aptitude de prendre une décision au moment de l’évaluation, par exemple si elle est intoxiquée, sans qu’elle ait nécessairement un historique psychiatrique.

Dans le même ordre d’idées, nous n’intervenons pas systématiquement pour protéger une personne qui refuse un traitement essentiel au maintien de sa vie ou qui demande l’AMM, même si elle souffre d’un trouble psychiatrique concomitant, sérieux et chronique. Bref, la réponse à la question « Cette personne souffre-t-elle d’un trouble mental ? » n’oriente pas notre conduite clinique lorsqu’il s’agit de décider si nous intervenons pour prévenir sa mort ou si nous l’assistons pour hâter sa mort.

Pour ce qui est de l’AMM lorsqu’il y a une psychopathologie, il nous faut établir si l’individu désirant mettre fin à ses jours devrait être empêché de le faire ou non. Caractériser la personne comme « suicidaire » représente un raccourci qui évoque les différentes circonstances mentionnées précédemment ― une situation de crise, des symptômes aigus de psychopathologie, l’inaptitude, pour ne nommer que celles-ci ―, pour lesquelles nous avions déjà déterminé, collectivement, qu’elles relèvent de notre devoir d’intervention protectrice. Contextualisée de cette façon, la possibilité qu’une personne atteinte d’un trouble mental puisse demander l’AMM n’entre pas en contradiction avec les efforts de prévention du suicide.

Conséquemment, affirmer que « les idées suicidaires peuvent souvent constituer le symptôme de certaines maladies mentales » est un jugement à la fois trop général et trop étroit. Le terme « symptôme » est utilisé de manière imprécise pour désigner l’ensemble des situations où nous considérons souhaitable de prévenir le décès. Il limite notre perception aux contextes où la suicidalité est associée à la psychopathologie et occulte ces autres circonstances où nous pourrions prévenir la mort d’individus qui n’ont pas de troubles mentaux.

En légalisant l’AMM, le Parlement canadien a déjà décidé que, dans certaines situations, il est acceptable de prêter assistance à quelqu’un pour mettre fin à sa vie. Plutôt que d’exclure les personnes souffrant d’un trouble mental en associant automatiquement suicide et psychopathologie, nous proposons de recadrer le débat : en tant que société, dans quelles circonstances cherchons-nous à prévenir la mort ? Dans quelles circonstances, et selon quelles mesures de sauvegarde, sommes-nous prêts à agir pour hâter l’arrivée de la mort ? En évitant un recours inadéquat aux termes médicaux, nous pouvons clarifier les enjeux et centrer le débat sur des critères et des mesures de sauvegarde qui préviennent plus particulièrement ces décès que nous souhaitons éviter.

Photo : Shutterstock / Africa Studio

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Amélie Guilbault
Amélie Guilbault est médecin résidente en troisième année de psychiatrie à l'Université de Montréal. Elle travaille avec le groupe de recherche en bioéthique du Centre de recherche du CHUM.
Mona Gupta
Mona Gupta est psychiatre et chercheuse en bioéthique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Elle est également professeure agrégée au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal.

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