Le premier ministre canadien peut bien se vanter d’avoir constitué un cabinet paritaire, mais il reste que le Canada dégringole dans le classement mondial sur la représentation des femmes au sein des parlements.

Les femmes n’occupent en effet que 30 % des sièges à la Chambre des communes, ce qui place le pays au 59e rang, derrière le Zimbabwe et devant le Vietnam, parmi les 185 pays comptant un parlement en activité.

Au début du millénaire, il était au 27e rang.

D’autres pays l’ont depuis dépassé. Des États comme le Mexique, l’Argentine, la France, l’Espagne et la Belgique qui ont tous un nombre d’élues dépassant les 40 %. Le secret de leur réussite ? Des lois qui obligent les partis politiques à présenter des candidates dans des proportions précises.

Plus de 80 pays disposent d’une loi sur les quotas hommes-femmes, ce qui place le Canada en porte-à-faux de la tendance mondiale. Par ailleurs, la réussite de cette mesure dans un pays comme le Mexique – qui compte des partis politiques puissants et des circonscriptions uninominales – vient facilement contredire tout argument selon lequel les quotas seraient incompatibles avec le système politique canadien.

Il est grand temps que le Canada se mette au diapason de la tendance mondiale et instaure la parité des sexes au Parlement.

Parité hommes-femmes et démocratie

Les lois sur les quotas fixent des pourcentages minimaux variés pour les candidates, mais l’approche la plus courante est la parité des sexes, soit l’équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes.

L’Union européenne considère la parité des sexes comme une affaire d’équité et de démocratie. Il en va de même pour les 33 gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes, qui se sont engagés à respecter ce principe dans le cadre du Consensus de Quito de 2007.

Le raisonnement – auquel font écho les militantes féministes partout dans le monde – est que les gouvernements et les politiques publiques ne peuvent pas être représentatifs si les hommes et les femmes n’y participent pas en nombre égal. De fait, l’électorat perçoit comme plus légitimes et dignes de confiance les organes de décision paritaires, par rapport à ceux où dominent les hommes.

Cinq pays d’Europe de l’Ouest et du Sud et 11 pays des Amériques appliquent aujourd’hui la parité des sexes. Elle est même inscrite dans les constitutions de la France, du Mexique, de la Bolivie et de l’Équateur.

Déboulonner les mythes 

Au point de vue des chiffres, les quotas hommes-femmes et la parité donnent des résultats. L’Argentine est le premier pays de l’époque contemporaine à avoir adopté une loi en ce sens en 1991, ce qui a permis d’analyser ses retombées en profondeur. Les études confirment encore et encore que les pays qui ont instauré des quotas élisent davantage de femmes que les autres. En effet, les règles strictes telles que les lois sur les quotas sont plus efficaces pour renverser des siècles de discrimination que les mesures douces comme la formation offerte aux femmes en vue de se présenter aux élections.

Par ailleurs, il n’existe aucune preuve démontrant qu’en adoptant des quotas, on sacrifie la qualité. En réalité, les pays qui l’ont fait élisent des candidates plus compétentes que leurs collègues masculins. Les quotas permettraient même d’écarter ceux qui ne sont pas qualifiés. Selon le politologue Rainbow Murray, ils offrent un moyen de contrôler la qualité des candidatures et d’améliorer la représentativité politique pour l’ensemble de la population.

Un moyen de sélection des candidatures tout aussi démocratique

D’aucuns pourraient avancer que les quotas et la parité des sexes contreviennent aux règles des partis politiques canadiens et débouchent sur des résultats non démocratiques.

Leur raisonnement va comme suit : le choix des candidatures repose sur un processus de filtrage organique qui reflète les préférences des associations de circonscriptions. Ainsi, le fait d’obliger les partis à nommer des femmes porterait atteinte au droit des membres d’être représentés par le candidat ou la candidate de leur choix.

En réalité, la plupart des partis n’atteignent jamais cet idéal de démocratie populaire. Le Centre Samara pour la démocratie a découvert que, sur les cinq cycles d’élections tenues de 2004 à 2019, seulement 17 % des candidats et candidates élus à la Chambre des communes étaient issus d’une course à l’investiture.

Les partis se sont donc bornés à désigner les autres 83 %. Dont la majorité était des hommes.

Au Mexique, les partis avaient souvent contourné les règles sur les quotas en prétendant que le choix des candidats découlait de primaires démocratiques à l’interne. La cour électorale fédérale a supprimé cette échappatoire en 2011, en statuant que l’égalité des sexes constituait un principe démocratique qu’on ne pouvait subordonner aux autres – par exemple la sélection équitable des candidatures.

Autrement dit, puisque le Mexique et d’autres pays d’Amérique latine considèrent qu’il revient aux partis de mettre en œuvre la démocratie, la parité des sexes fait du processus de sélection des candidatures un exercice plus démocratique – plutôt que moins.

Appliquer la parité aux circonscriptions uninominales

Une autre idée fausse est que les quotas ou la parité ne peuvent pas fonctionner au Canada à cause de son système électoral fondé sur les circonscriptions uninominales.

La plupart des pays comptent des circonscriptions plurinominales. Les partis présentent des listes de candidatures dans lesquelles il est possible d’intégrer des femmes suivant les proportions requises. Mais s’il n’y a qu’une seule candidature par circonscription, lesquelles parmi celles‑ci iront à une femme?

Ici encore, le Mexique a trouvé la solution. Les partis politiques doivent respecter la parité hommes-femmes sur l’ensemble des 300 circonscriptions électorales où ils proposent des candidatures.

Les partis peuvent choisir celles où ils présenteront des candidates, mais à la différence du Canada, ils doivent les proposer dans des circonscriptions où elles peuvent gagner. L’institut électoral fédéral du Mexique se fonde sur les résultats de l’élection précédente pour répartir les circonscriptions en trois catégories pour chacun des partis (gagnant, concurrentiel ou perdant), pour ensuite évaluer la parité des sexes dans chaque cas.

Depuis l’entrée en vigueur de sa règle sur la parité, le Mexique a tenu trois élections fédérales. Les partis politiques, autrefois réputés pour avoir résisté au principe des quotas, se font maintenant concurrence pour faire bonne figure.

Prenons par exemple la réforme constitutionnelle de 2019, connue comme celle de la « la parité des sexes sur tous les plans. » Après que des sénatrices eurent présenté une mesure sur la parité dans les instances législatives, exécutives et judiciaires aux échelons fédéral, étatique et municipal, les partis se sont tous précipités pour s’en accorder le mérite. La mesure a même été adoptée sans qu’un seul vote négatif n’ait été exprimé à la Chambre des députés ou au Sénat.

Un autre monde est possible 

Le Mexique compte les règles les plus exhaustives en matière de parité des sexes, mais le Chili pourrait bientôt lui dérober ce titre. En effet, la nouvelle constitution chilienne – qui sera soumise au vote de l’électorat le 4 septembre prochain – définit le Chili comme une démocratie paritaire, constitutionnalise la règle de 50 % en matière de représentativité minimale des femmes (incluant les femmes transgenres) et instaure des mécanismes supplémentaires pour les individus non binaires.

Ces innovations ont pour effet de faire glisser le Canada encore plus bas dans le classement mondial sur la représentation des femmes.

Le Canada s’est doté d’une Politique d’aide internationale féministe et prône l’analyse comparative entre les sexes, mais le nombre relativement faible de femmes au sein du Parlement parle de lui‑même. Le premier ministre Trudeau a beau prétendre que le Canada est un chef de file mondial en matière d’égalité des sexes, au vu de la réussite mexicaine il ne peut même pas revendiquer ce titre en Amérique du Nord.

Des sénatrices ont proposé que les partis politiques instaurent la parité des sexes dans leur processus de mise en candidature ou soient sanctionnés s’ils refusent. S’il franchissait ce pas, le Canada passerait enfin de la parole aux actes.

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Jennifer M. Piscopo
Jennifer M. Piscopo est professeure agrégée de science politique et directrice du Center for Research and Scholarship au Occidental College de Los Angeles, en Californie. Ses travaux de recherche sur les femmes, le genre et la politique ont été publiés dans des revues scientifiques et diffusés par des organes de presse internationaux. Ils ont influencé les réformes électorales un peu partout en Amérique latine. @Jennpiscopo

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